Des barrages routiers sont apparus hier en Guadeloupe, forçant l'État français à montrer ses muscles face à des manifestants indignés par le coût de la vie et «l'exploitation outrancière» de la population par une minorité privilégiée.

Le bras de fer qui paralyse l'archipel antillais depuis un mois se complique alors que les troubles s'étendent à d'autres départements d'outre-mer français comme la Martinique et l'île de la Réunion. Et que le président Nicolas Sarkozy s'apprête à tenir à Paris une rencontre cruciale avec les centrales syndicales hexagonales pour tenter de les convaincre de ne pas retourner dans la rue.

 

Au cours de la fin de semaine, les dirigeants du collectif Liyannaj Kont Pwofitayson (LKP), en Guadeloupe, avaient prévenu les autorités locales qu'un «cyclone de force 9» allait bientôt s'abattre sur la région.

Bien que les barricades aient été rapidement démantelées par les forces de l'ordre, elles traduisent une aggravation marquée du conflit, demeuré exempt jusqu'à maintenant de tout dérapage violent. Plusieurs dizaines de personnes ont été appréhendées, certaines se plaignant d'avoir été brutalisées.

Après avoir obtenu une révision des prix de l'essence et plusieurs promesses d'aide, le dirigeant du LKP, Elie Domata, réclame que l'État français bonifie de 300$ la rémunération mensuelle des personnes disposant de faibles salaires.

Le syndicaliste de 42 ans accuse le gouvernement français d'avoir manqué à sa parole en désavouant une entente de principe conclue à ce sujet avec le secrétaire d'État à l'Outre-mer, Yves Jégo, qui avait été rappelé illico à Paris.

»Tuer des Guadeloupéens»

M. Jégo, qui presse syndicats et patrons de régler entre eux sur la question salariale, a déclaré que le conflit était «à la croisée des chemins» et qu'on «risque l'affrontement» faute d'une résolution rapide.

Il a promis du même souffle que le gouvernement ferait «respecter l'État de droit si besoin est avec fermeté et aucune brutalité».

Quatre escadrons de gendarmes ont été envoyés en renfort depuis l'Hexagone au cours des derniers jours. Au grand dam des manifestants, qui y voient un acte d'intimidation.

«Vu le nombre de gendarmes qui sont arrivés en Guadeloupe, l'État français a choisi sa voie naturelle: celle de tuer des Guadeloupéens», a déclaré samedi M. Domata.

Derrière le conflit plane la question des séquelles du colonialisme puisque le collectif estime que les populations noires et métissées demeurent marginalisées, la part de lion de l'économie restant sous le contrôle d'une riche minorité blanche.

La question est aussi très sensible en Martinique, qui est paralysée depuis plus d'une semaine par une grève. Le collectif qui fédère le mouvement d'opposition en Martinique s'est retiré il y a quelques jours de négociations avec des représentants des commerces de grande distribution, faute d'avoir obtenu une promesse de réduction de prix touchant une gamme exhaustive de produits.

Un tollé a suivi la récente diffusion d'un documentaire dans lequel un riche homme d'affaires blanc du secteur agroalimentaire a déclaré vouloir «préserver sa race».

Inquiétudes à Paris

«Il sera désormais impossible à la France métropolitaine d'ignorer ce que dénoncent depuis 161 ans nos compatriotes de l'outre-mer: une discrimination quotidienne basée sur la couleur de la peau, des conséquences du passé esclavagiste que nous évitons collectivement de regarder», juge Patrick Lozès, président du Conseil représentatif des associations noires de France.

Bien que Nicolas Sarkozy se montre peu loquace sur le sujet, le conflit outre-mer est suivi de près par le gouvernement français, qui s'inquiète de le voir s'étendre à l'Hexagone.

La semaine dernière, la première secrétaire du Parti socialiste, Martine Aubry, a déclaré qu'un tel scénario était tout à fait plausible. Un point de vue partagé, selon un récent sondage, par près de 70% des Français.