Jonas n'avait même pas un mois quand il a été trouvé au milieu de détritus. Il avait été déposé dans un carton, enveloppé dans un bout de tissu. Il pleurait. Il était sale et sentait mauvais. Un inconnu l'a pris et est venu le porter à l'orphelinat Espoir d'enfants à Croix-des-Bouquets, près de Port-au-Prince.

Jacqueline Lessard l'a recueilli et l'a baptisé Jonas Lespérance. C'est le dernier arrivé parmi la cinquantaine de ti-moun âgés de 0 à 13 ans qu'abrite l'orphelinat. Cette frêle grand-maman québécoise de 82 ans tient le projet à bout de bras depuis sa fondation, il y a sept ans. Elle reçoit comme seule aide des dons de bienfaiteurs canadiens.

 

À Croix-des-Bouquets, il y a de l'électricité moins de trois heures par jour. L'eau n'est pas potable. «Les enfants ont des bobos à cause de l'eau lorsqu'ils se lavent. Pour le moment, on n'a pas assez d'eau purifiée pour les repas et la toilette», explique le directeur de l'orphelinat, Étienne Bruny. Mais, au moins, les enfants ont un toit et mangent trois repas par jour. C'est mieux que la majorité des enfants des bidonvilles de Port-au-Prince, affirme le directeur. En Haïti, la majorité de la population a moins de 25 ans. Plus de 70% des gens vivent avec moins de 2$ par jour.

L'orphelinat de Mme Lessard ne suffit pas à la demande. Les enfants sont répartis dans quatre chambres. Le bâtiment à deux étages est si petit qu'il faut faire la classe à l'extérieur. Il y a une «maman» pour 14 enfants. Ces «mamans» viennent des quartiers pauvres avoisinants. Elles sont logées, nourries et gagnent un minuscule salaire en échange de quoi elles surveillent les petits six jours sur sept, 24h sur 24. «Les mamans sont si démunies qu'elles restent souvent à l'orphelinat même durant leur journée de congé», raconte Mme Lessard.

Ces mamans font ce qu'elles peuvent, mais les enfants arrivent souvent traumatisés, maltraités. «Nos enfants mangent beaucoup trop. On a consulté un psychologue qui nous a expliqué qu'ils comblaient leur manque d'affection par la nourriture», raconte Étienne Bruny. Il aimerait bien embaucher plus de mamans si son budget le lui permettait.

»Ici, tout est dur»

L'orphelinat peut compter sur l'aide d'une poignée de bénévoles, comme Hanel-Jean Simard, Montréalais d'origine haïtienne. Le jeune homme de 32 ans a décidé de venir passer six mois ici avec sa conjointe. Adopté à l'âge de 4 ans, il est bien placé pour comprendre les enfants abandonnés. «Mon père était méchant avec ma mère, mes frères et ma soeur. Un jour, il a décidé de me donner sans en parler à ma mère», raconte celui qui a récemment retrouvé sa mère biologique à Port-au-Prince.

Revenir dans son pays d'origine a été un choc. «Ici, tout est dur. C'est terrible comment certains parents sont violents avec leurs enfants. Ils les éduquent comme il y a 100 ans», explique cet entraîneur dans un gym à Montréal.

En Haïti, les enfants abandonnés sont envoyés dans des crèches en vue d'être adoptés. «L'État n'y met pas le nez. Les conditions de vie sont horribles», raconte un employé de la Mission des Nations unies pour la stabilisation d'Haïti (MINUSTAH), préoccupé par le dossier.

Mme Lessard émet aussi des réserves sur les crèches: «Au début, quand un enfant de l'orphelinat était en voie d'être adopté, je devais l'envoyer dans une crèche. Aujourd'hui, je ne le fais plus. Ils y sont moins bien traités que des petits cochons.»

Mme Lessard a déjà confié une fillette en pleine santé à une crèche. Quatre mois plus tard, quand ses parents canadiens sont venus la chercher, l'enfant était «infectée des pieds à la tête», se désole-t-elle.

Les orphelinats haïtiens ont eu mauvaise presse, l'an dernier, lorsque deux travailleurs humanitaires de Québec ont été arrêtés à leur retour au pays après avoir agressé une dizaine de jeunes garçons dans un orphelinat de la région des Cayes, dans le sud d'Haïti. Ils ont tout deux plaidé coupable et purgent actuellement une peine de prison au Québec.

«Ce n'est pas un cas unique, bien sûr. Nous, on s'intéresse de près à tous nos bénévoles et si quelque chose ne va pas, on appelle la MINUSTAH», indique le directeur, M. Bruny. Rien pour décourager Mme Lessard, non plus. Elle part pour le Québec cette semaine afin de trouver d'autres fonds. Mais c'est pour mieux revenir ensuite auprès de son petit Jonas Lespérance, petit rayon de soleil trouvé dans une boîte de carton, et de la cinquantaine d'autres ti-moun qui l'attendront avec impatience.