Le «dernier dictateur d'Europe» veut se refaire une virginité démocratique. Après plus de 14 ans d'isolement international, le président biélorusse Aleksander Loukachenko a promis à l'Occident que les élections législatives de demain se tiendraient dans «des conditions de transparence sans précédent». De la poudre aux yeux, selon l'opposition. Elle n'y voit qu'une opération de relations publiques qui ne changera rien à l'autoritarisme du régime.

Andreï Kim ne se fait pas d'illusions. Si lui et deux autres prisonniers politiques ont bénéficié de la grâce présidentielle le mois dernier, ce n'était qu'une tactique «temporaire» du président Aleksander Loukachenko pour amadouer l'Occident le temps d'une élection.

 

«L'une des exigences inconditionnelles pour un dialogue avec l'Union européenne et les États-Unis était la libération des prisonniers politiques», rappelle l'opposant de 22 ans, libéré le 20 août, quatre jours après l'ex-candidat à la présidentielle de 2006, Aleksander Kozouline.

Andreï Kim a passé sept mois à la prison Volodar, la «Bastille» biélorusse, en plein coeur de Minsk, la capitale. Il avait été arrêté en janvier lors d'une manifestation de gens d'affaires contre le régime, puis condamné à un an et demi de prison pour avoir frappé un policier, une accusation souvent utilisée par le pouvoir pour neutraliser ses opposants.

La libération des trois derniers prisonniers politiques aura été payante pour le président Loukachenko, toujours qualifié de «dernier dictateur d'Europe» par Washington: deux semaines plus tard, les États-Unis ont levé leurs sanctions contre deux sociétés d'État biélorusses.

Pas de miracle démocratique

Le 15 septembre, c'était au tour de l'Europe d'annoncer qu'elle pourrait revoir ses restrictions contre l'ex-république soviétique si les élections législatives de demain répondent aux normes démocratiques internationales.

«L'Occident sait bien qu'il n'y aura pas de miracle démocratique. Mais il est prêt à fermer les yeux sur certaines falsifications», estime l'analyste Aleksander Klaskovsky, de l'agence de presse privée Belapan. «Pour une fois, les observateurs de l'OSCE pourraient ne pas rendre un constat dévastateur.» La dernière élection biélorusse reconnue comme légitime par l'Occident est celle de 1994, qui a porté à la tête de l'État... Aleksander Loukachenko.

Tant la Biélorussie que l'Europe voient un intérêt dans le rapprochement. À l'heure où la Russie hausse le ton face à l'Occident, Bruxelles aimerait bien attirer vers elle le principal allié de Moscou, limitrophe de trois pays de l'UE.

La Biélorussie, elle, doit trouver des solutions de rechange à sa dépendance économique à l'égard de la Russie, qui lui a bien fait comprendre que l'heure du gaz et du pétrole au rabais serait bientôt terminée. Elle cherche aussi des investisseurs étrangers alors que 500 entreprises industrielles seront privatisées d'ici trois ans dans ce pays où 75% de l'économie relève toujours de l'État.

Vers l'Iran?

D'où le changement de ton du président, qui espère que son pays au coeur de l'Europe sera courtisé de toutes parts. «La tactique de Loukachenko est d'essayer de manoeuvrer entre la Russie et l'Occident», explique M. Klaskovsky.

Lors du déclenchement de la guerre russo-géorgienne, le 7 août dernier, le leader biélorusse a ainsi préféré garder le silence au lieu d'appuyer Moscou sans réserve comme à l'habitude.

Dans sa volonté d'amorcer un dialogue avec l'Occident, Aleksander Loukachenko reçoit même un appui des plus inattendus: celui de la maigre opposition biélorusse. «Puisque la révolution colorée n'a pas réussi (lors de la présidentielle de 2006), l'opposition et les Européens se disent qu'il faut peut-être choisir le chemin du compromis», explique Aleksander Klaskovsky.

Le président Loukachenko, qui a affirmé plus d'une fois au cours des derniers jours qu'il souhaite que l'Europe reconnaisse son nouveau Parlement, a toutefois visiblement encore du mal à adopter un langage diplomatique.

«Si l'Europe ne fait pas un pas vers nous, alors la Biélorussie pourrait remplacer cette relation, principalement économique, par une relation avec des États comme le Venezuela et l'Iran», a-t-il menacé cette semaine.

 

Le flair de Loukachenko

Plusieurs le détestent, mais tous reconnaissent le flair politique d'Aleksander Loukachenko, ancien directeur de ferme collective devenu chef d'État à 39 ans.

Depuis qu'il est passé de président du comité anticorruption à président du pays en 1994, le «Batka» (»petit père») a réussi à construire un régime à son goût. Il a rapidement muselé l'opposition et les médias, tout en conservant une réelle popularité, particulièrement chez les retraités, qui lui attribuent la relative stabilité du pays depuis la chute de l'URSS.

Dans une volonté de trouver les bons mots pour dialoguer avec l'Occident, le politicien à la mentalité encore très soviétique a embauché le mois dernier un faiseur d'image britannique réputé Lord Tim Bell, à qui la «Dame de fer» Margaret Thatcher doit plus d'une victoire électorale.

Un leurre, croit son ancien ministre du Travail, Aleksander Sosnov. «C'est pour l'apparence. Il était un dictateur et il le restera.»