La Corée-du-Nord a franchi le Rubicon hier. Le royaume ermite a interdit aux inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique qui surveillaient une usine de fabrication d'uranium militaire de pénétrer dans l'immeuble, et va recommencer dès la semaine prochaine le retraitement de l'uranium.

«C'est un pas important qui ramène le dossier vers la case départ», explique Erich Weingartner, spécialiste ontarien de l'aide humanitaire qui séjourne régulièrement en Corée-du-Nord. «On s'en retourne vers la situation tendue qui prévalait avant les accords à six signés au début 2007. La Corée-du-Nord semble vouloir recommencer à zéro avec le nouveau président américain l'an prochain. Ça rappelle les progrès puis l'échec des deux dernières années de la présidence Clinton.»

En février 2007, un accord impliquant les États-Unis, le Japon, la Chine, la Russie et les deux Corées a convenu que le Nord arrêterait la production d'uranium militaire et permettrait aux observateurs internationaux de retourner au site nucléaire de Yongbyon. Une série de gestes des États-Unis et de la Corée-du-Nord devait culminer dans le démantèlement de Yongbyon. Mais depuis le printemps, les États-Unis retardent le retrait de la Corée-du-Nord de la liste des États terroristes, qui selon les Nord-Coréens était un préalable au démantèlement de l'usine de retraitement.

La tension a grimpé durant l'été. En juillet, notamment, la Corée-du-Nord a testé le moteur d'un nouveau missile intercontinental pouvant atteindre la Californie.

L'Agence de l'énergie atomique a indiqué qu'elle ne savait pas encore si ses inspecteurs pourraient rester à Yongbyon, ou même en Corée-du-Nord. Mais Peter Hayes, directeur de l'institut californien Nautilus, relève que les États-Unis ont toujours sur place des observateurs, même s'ils n'en ont pas le titre formel.

Provocation?

M. Hayes, qui organise régulièrement des conférences dans les pays bordant le Pacifique Nord, a une thèse audacieuse: les provocations nord-coréennes comme celle d'hier sont une tactique visant à établir une relation d'aide militaire avec les États-Unis, pour protéger la Corée-du-Nord du Japon, de la Russie et de la Chine. «Je pense que la Corée-du-Nord n'est pas un État voyou dirigé par des gangsters, ni un ennemi juré; je pense que c'est l'équivalent d'un «stalker» qui cherche à conquérir un être aimé mais méfiant en multipliant les provocations.»

La crise survient au moment où l'état de santé du leader nord-coréen, Kim Jong-il, est incertain. «Il est à peu près certain qu'il a eu un trouble aigu, comme un ACV, dit M. Weingartner. Le fait d'avoir manqué le défilé militaire du 60e anniversaire de la fondation du pays est très important, même s'il a manqué d'autres anniversaires. Il se pourrait que l'armée, qui défend résolument le programme nucléaire, gagne en influence.»