Le réchauffement climatique est généralement source d'angoisse. Sauf peut-être au Groenland, où le recul des glaces facilite l'accès à de précieuses ressources naturelles. Les indépendantistes de l'île de 56 000 habitants, qui rêvent depuis longtemps de s'émanciper définitivement du Danemark, entendent utiliser cette manne pour parvenir à leurs fins.

La fonte des glaces de l'Arctique provoquée par le réchauffement climatique menace de transformer des millions de personnes en réfugiés en entraînant une substantielle crue des eaux.

 

Difficile de rencontrer une âme qui trouvera matière à réjouissance dans le scénario catastrophe esquissé par les spécialistes en environnement. Sauf, peut-être, au Groenland.

Bien que le mode de vie de la population locale risque d'être touché, les indépendantistes de l'île voient dans les chambardements climatiques en cours une occasion pour s'émanciper définitivement de la tutelle danoise.

C'est que le dégel rend possible l'exploitation de ressources naturelles autrefois inaccessibles sur le vaste territoire de deux millions de kilomètres carrés. En prime, il laisse entrevoir des revenus mirobolants qui pourraient permettre, à terme, de remplacer les subventions versées par Copenhague.

«Il est vrai que chaque année qui passe nous donne accès à de nouvelles ressources et à de nouvelles possibilités», souligne en entrevue Lars Emil Johansen, un des deux députés du Groenland au Parlement danois.

Boom pétrolier possible

M. Johansen a siégé durant plusieurs années à une commission mixte qui a dévoilé au début de l'année un projet d'entente devant accroître l'autonomie du territoire nordique, rattaché au Danemark depuis 1721.

Il précise notamment comment devra être distribuée la manne découlant de l'exploitation des ressources, en particulier dans le secteur pétrolier. Plusieurs grandes sociétés étrangères multiplient les recherches pour tirer profit des réserves situées au nord-est de l'île, qui seraient parmi les plus importantes de la planète, selon une récente étude américaine.

Le texte prévoit que le soutien financier offert par le Danemark aux 56 000 résidants du Groenland -quelque 650 millions de dollars par année- sera progressivement éliminé à mesure que les revenus locaux augmenteront.

Le projet d'accord sera soumis à la population, composée à plus de 80% d'Inuits, au cours d'un référendum au mois de novembre.

Un vote positif marquerait une étape de plus dans l'émancipation politique du Groenland, le «dernier pas avant l'indépendance», estime Aleqa Hammond, ministre des Finances et des Affaires étrangères du gouvernement local.

«Les décisions relatives à un pays doivent être prises par ses résidants. C'est une approche sensée et elle est valable pour le Groenland aussi», souligne la politicienne.

L'île est dotée de son propre Parlement depuis 30 ans et a le pouvoir de légiférer dans un grand nombre de domaines. La politique étrangère et la défense demeurent cependant sous la tutelle du Danemark.

Noël et exotisme

Le territoire présente un intérêt géostratégique important, notamment pour les États-Unis, qui disposent d'une base radar dans le Nord. Elle pourrait être élargie pour soutenir le programme de bouclier antimissile américain.

La perspective d'une séparation du Groenland ne fait guère sourciller la classe politique danoise, même si elle entraînerait, en absolu, une réduction de 98% du territoire national. Seul le Parti du peuple danois, formation d'extrême droite, s'emporte et souligne que ce serait une très grave erreur de laisser aller l'île «au moment même où elle commence à gagner de l'argent».

Dans les rues de Copenhague, le sujet ne soulève pas les passions. «D'une certaine manière, le Groenland a un côté exotique. Mais il n'a pas de liens réels avec le Danemark», souligne Ditte Draeby, spécialiste en marketing de 29 ans, qui doute de la viabilité économique du nouveau pays en cas de séparation.

Même indifférence de la part de Selina, 35 ans, qui dit entendre parler du Groenland seulement une fois par année, au cours d'une émission traditionnelle de Noël.

«Nous ne nous voulons pas nous séparer parce que les relations avec le Danemark sont mauvaises. Beaucoup de gens ont de la famille sur le continent. C'est simplement normal pour une nation d'avoir son propre pays», souligne Lars Emil Johansen.

Le politicien, qui a été premier ministre du Groenland de 1991 à 1997, entend quitter le Parlement danois une fois le référendum passé pour retourner définitivement dans l'Arctique. «Ici, mon travail sera fini», conclut-il avec satisfaction.