Coup de théâtre en Thaïlande: le premier ministre Samak Sundaravej, qui tient tête depuis deux semaines aux opposants de droite voués à sa chute, a été destitué hier par la Cour constitutionnelle pour son amour excessif de la cuisine.

Accusé d'avoir accepté de l'argent pour deux émissions culinaires télévisées où il était en vedette, Samak a été déclaré coupable de conflit d'intérêts à l'unanimité des neuf juges de la Cour.

Samak, 73 ans, passionné de cuisine et au pouvoir depuis à peine sept mois, a été reconnu coupable d'avoir été payé par la maison de production Face Media, pour deux émissions culinaires télévisées (Goûter et Râler et Tous à table à 06h00).

«Le premier ministre a violé l'article 167 de la Constitution et ses fonctions cessent. Comme son statut ministériel n'est plus, l'ensemble du gouvernement doit partir», dit le verdict lu à la télévision par le juge Chat Chonlaworn, président de la Cour constitutionnelle.

Au camp de tentes doté de téléviseurs et installé par ses opposants autour du palais du gouvernement au coeur de Bangkok, c'était la fête dans l'ambiance de foire avec fast food, concerts pop, discours et massages sous les cocotiers.

La crise se complique

Mais loin de mettre fin à la crise, ce verdict la complique un peu plus: Samak peut se succéder à lui-même et la coalition de six partis menée par son PPP a annoncé qu'elle proposerait son nom à la Chambre basse du Parlement, qui pourrait voter dès demain.

«L'infraction était insignifiante et n'était pas le résultat d'une mauvaise gestion», a déclaré un dirigeant du PPP, Witthaya Buranasiri.

Samak a dit à la Cour qu'il avait accepté de l'argent de Face Media seulement pour acheter des ingrédients et payer ses déplacements.

Ses opposants sont restés tout aussi fermes. «Si Samak est de nouveau premier ministre, nous resterons ici jusqu'à ce qu'il parte à la retraite», a lancé Somsak Kosaisuk, un leader des manifestants.

Les protestataires accusent Samak d'être une «marionnette» de l'ancien homme fort de la Thaïlande, Thaksin Shinawatra, renversé par un coup d'État en 2006 et qui s'est exilé en Grande-Bretagne pour fuir des accusations de corruption.

Selon la Cour, le gouvernement se limitera à gérer les affaires courantes jusqu'à l'élection du nouveau premier ministre par le Parlement.

L'intérim est assuré par Somchai Wongsawat, beau-frère de Thaksin, ce qui en soi garantit que les opposants ne sont pas prêts à désarmer.

Une «démocratie» des élites

Après deux semaines de siège au centre de Bangkok, la crise, qui entre dans une nouvelle phase, apparaît de plus en plus comme une épreuve de force entre un courant modernisateur, mais populiste et des clans réactionnaires accrochés à leurs privilèges.

Ainsi, la soi-disant Alliance populaire pour la démocratie (PAD), qui milite contre Samak, refuse la démocratie parlementaire et veut un Parlement nommé. Elle juge que les pauvres et les paysans sont des illettrés, naïfs et manipulables, dont Thaksin et Samak ont «acheté les votes» pour se hisser au pouvoir.

Thaksin, de son côté, ancien policier, est un milliardaire démagogique qui a trouvé le secret du pouvoir chez les paysans, tout en gérant sa fortune au-dessus des lois. Quant à Samak, fils d'aristocrate aux manières rustres, son nom reste lié au massacre de l'Université Thammassat en octobre 1976 quand il était ministre de l'Intérieur.

«Samak s'est mijoté une soupe chaude», titrait hier le Bangkok Post.