La mort controversée d'un opposant a ouvert une nouvelle période de troubles en Ingouchie, petite république du Caucase russe limitrophe de la Géorgie, où des voix s'élèvent contre la politique du Kremlin dans la région et agitent des menaces séparatistes.

Une manifestation déclenchée lundi par un millier de personnes au centre de Nazran, la capitale ingouche au lendemain du «meurtre politique» de cet opposant, Magomed Evloïev, et exigeant la démission du leader ingouche Marat Ziazikov a été dispersée à coups de matraques et par des tirs de semonce par les autorités mardi au petit matin.

«Nous demandons une démission immédiate de Ziazikov et la nomination à sa place du général Rouslan Aouchev», l'ex-président ingouche très populaire dans sa patrie, a déclaré à l'AFP l'un des organisateurs de la manifestation, Magomed Khazbiïev.

«Depuis l'arrivée au pouvoir de Ziazikov, en 2002, 2000 personnes ont été illégalement arrêtées et quelque 700 autres sont portées disparues», a affirmé à l'AFP un autre leader de l'opposition ingouche Akhmed Kotiev.

La manifestation a été convoquée au lendemain de la mort dans des circonstances controversées de Magomed Evloïev, officiellement à la suite d'un «incident» alors qu'il se trouvait en voiture avec des policiers. Selon les autorités ingouches, un coup de revolver serait parti par accident.

Le représentant de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en charge de la liberté des médias, Miklos Haraszti, l'a qualifié d'«assassinat» soigneusement «orchestré» par les autorités, à l'instar de plusieurs opposants et ONG russes.

Une partie de l'opposition locale menace à présent le Kremlin d'entamer une procédure visant à obtenir l'indépendance de l'Ingouchie, comme sa voisine la Tchétchénie avant elle.

«Si le Kremlin fait fi de nos problèmes, s'il ne veut pas nous défendre, qu'il nous donne l'indépendance, nous n'avons pas d'autre solution que de commencer à collecter des signatures pour lancer cette procédure», a déclaré à l'AFP Akhmed Kotiev, président d'un «Parlement populaire» autoproclamé.

«Avant la mort de Evloïev, l'opposition accusait seulement les autorités locales, en appelant le Kremlin à destituer Ziazikov. Maintenant pour la première fois, l'opposition menace directement le Kremlin d'une scission de l'Ingouchie de la Fédération russe», relève Tatiana Lokchina de l'organisation de défense des droits de l'homme russe Demos.

«Même si ce n'est qu'une tentative pour attirer l'attention du Kremlin sur la politique de Ziazikov, cela risque de déstabiliser encore plus la situation en Ingouchie», conclut l'experte.

Magomed Khazbiïev a toutefois relativisé les visées séparatistes du mouvement, indiquant que «pour l'instant ce n'est qu'un projet en vue». Une véritable quête d'indépendance serait «un acte de désespoir», a-t-il jugé.

Le 4 août, l'opposition avait déjà déposé au Kremlin environ 80 000 signatures d'Ingouches demandant au président russe Dmitri Medvedev de remplacer le «corrompu» Ziazikov par le général Aouchev, «garant de stabilité», selon La Presse russe.

Rouslan Aouchev, 53 ans, avait lui-même quitté le poste de président en 2002, pour ses prises de position sur le réglement politique en Tchétchénie. Il vit actuellement à Moscou et dirige une Commision des vétérans de guerre auprès du Kremlin.

Fin juin, l'organisation de défense des droits de l'homme, Human Rights Watch (HRW) avait mis en garde contre les dérives policières -- enlèvements, tortures, exécutions sommaires -- en Ingouchie, estimant qu'elles rappelaient celles de la Tchétchénie voisine, et avait appelé la Russie à y mettre fin.