En temps normal, la rue Canal est l'une des plus festives de La Nouvelle-Orléans. Ce boulevard bordé de palmiers est situé au coeur du célèbre Quartier français. Depuis hier, il ressemble à une zone de guerre. Le sol est jonché de feuilles, de branches, de tôle, de briques fracassées. Des voitures de police et des convois militaires circulent à toutes les intersections.

Profitant d'une brève accalmie, Charlene Motwani gare son Hummer devant le commerce de son père et constate les dégâts. Des bourrasques, certaines atteignant 200 km/h, ont arraché le panneau publicitaire de la boutique de souvenirs, fracassant la vitrine située en bas.

« C'est beaucoup moins grave que lors du passage de Katrina, soupire-t-elle, nous n'avons pas été volés. Nous sommes propriétaires de trois boutiques et elles avaient toutes été pillées la dernière fois. »

Même si les rues sont désertes, même si 95 % de la population a fui, les criminels en puissance sont invisibles. On ne voit que des patrouilleurs, gyrophares allumés, qui sillonnent la ville. Toute personne marchant sans raison évidente est abordée sur-le-champ. Le maire de la ville, Ray Nagin, a prévenu que ceux qui seraient pris la main dans le sac seraient jetés à la prison d'Angola, sans autre forme de procès. La mise en garde semble porter ses fruits : derrière l'hôpital Tulane, la vitrine d'une boutique d'équipement électronique a volé en éclats. Et les téléviseurs reposent intouchés sur les tablettes.

Lors du passage de La Presse, hier, une pluie fine tombait sur La Nouvelle-Orléans. Les puissantes bourrasques de vent, qui continuaient d'arracher des branches, témoignaient de la puissance destructrice de Gustav, un ouragan de classe 2 sur une échelle de 5.

Malgré l'état d'alerte, quelques citoyens montrent le bout de leur nez. Dans une petite rue du Quartier français, Crissy Bushman sirote un rhum avec son amie Cassandra Gross et son chien Mooch. Depuis 24 heures, les trois sont enfermés dans leur petit café.

Le maire Nagin avait ordonné une évacuation obligatoire, samedi, affirmant que Gustav serait « la mère de toutes les tempêtes ». Cela n'a pas impressionné Cassandra Gross. Elle préférait être isolée dans sa propre demeure plutôt que d'être envoyée dans un camp de fortune, sans savoir quand elle pourrait rentrer.

« Il y avait un sourd sifflement du vent, et le bâtiment tremblait par moments, raconte-t-elle. Il y a eu un moment où j'ai commencé à paniquer et dire « mon dieu, il faut qu'on sorte d'ici «. »

Sept morts

Même si le désastre tant appréhendé semble avoir été évité, les autorités comptaient sept morts hier en Louisiane à la suite du passage de Gustav. La chute d'un arbre sur une maison a tué deux personnes à Baton Rouge. Un homme a péri dans des circonstances semblables à Lafayette.Dans le sud de l'État, quatre patients sont morts avant l'arrivée de l'ambulance qui devait les évacuer de leur hospice, selon CNN.

En fin d'après-midi hier, 800 000 foyers étaient privés d'électricité en Louisiane.

Malgré tout, la police fait régner l'ordre, et les inondations qui ont englouti une bonne partie de la ville lors du passage de Katrina n'ont pas eu lieu. Les 350 km de digues qui entourent La Nouvelle-Orléans tiennent le coup, du moins pour le moment. Seule celle qui protège le quartier industriel inspirait de la crainte hier. L'eau a atteint le sommet du mur de béton et certaines vagues passaient par-dessus.

Un imposant travail de nettoyage attend La Nouvelle-Orléans. La rue de l'Esplanade est verte. Littéralement. Il y a tant de branches et de feuilles par terre qu'on ne voit plus l'asphalte. Coin Loyola et Perdido, côté est, des bourrasques font claquer des toits de tôle. Le son rebondit sur les bâtiments des environs et semble s'amplifier en revenant. Sur l'autoroute 10, qui mène au centre-ville, des panneaux publicitaires se sont envolés. À chaque coin de rue, des pigeons se bousculent pour dévorer le contenu des poubelles renversées par le vent.

Préparés

Les citoyens rencontrés hier sont formels : les autorités ont bien retenu les leçons de Katrina. Dès vendredi, ceux qui voulaient partir ont pu le faire sans frais à bord des autobus postés partout dans La Nouvelle-Orléans. Le maire Nagin et le gouverneur de la Louisiane, Bobby Jindhal, ont multiplié les mises en garde. L'armée a été appelée en renfort pour éviter les pillages. Et les digues, renforcées au coût de 1,3 milliard US, ont tenu le coup face à l'ouragan Gustav.

« Ils ont demandé aux gens de partir avant la tempête, pas après », résume Michael Dyal, assis sur son patio.

Mais son ami Ott Highwall reste soucieux. « Je pense que nos élus ont monté une trop grosse production, dit-il. Ils ont tellement effrayé les gens pour un ouragan de classe 2 que la population ne prendra pas leurs avertissements au sérieux au prochain Katrina. »