En pleine crise géorgienne, la Pologne a pris le risque d'irriter davantage la Russie en laissant les États-Unis implanter son bouclier antimissile dans l'ancienne Europe centrale communiste.

Jeudi soir, un accord préalable sur le bouclier a été paraphé à Varsovie au terme de 15 mois de négociations difficiles, provoquant la colère attendue de Kremlin qui s'est traduite par l'annulation le soir même de la visite du chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov à Varsovie prévue les 10 et 11 septembre.

Et vendredi, un haut responsable militaire russe a prévenu que la Pologne devenait une cible «prioritaire» pour d'éventuelles frappes contre ce nouveau système de défense.

L'accord permet aux États-Unis d'installer sur le sol polonais à l'horizon 2012 dix intercepteurs capables de détruire en vol d'éventuels missiles balistiques à longue portée.

Couplé avec un puissant radar qui sera installé en République tchèque, le bouclier permettra de protéger le territoire américain d'éventuelles menaces de pays imprévisibles comme l'Iran.

Washington et Varsovie ont beau plaider que le bouclier est un système uniquement défensif, la Russie y voit une menace directe contre elle.

«Seuls les gens malintentionnés peuvent craindre notre accord. C'est un accord bon pour la Pologne, pour les États-Unis, pour l'OTAN, pour la sécurité internationale,» cherchait a réfuter jeudi soir le chef de la diplomatie polonaise Radoslaw Sikorski.

L'emplacement prévu de la base américaine peut irriter et sonner comme une revanche de la guerre froide de la deuxième moitié du XXe siècle.

Redzikowo, petite commune du nord de la Pologne choisie par les stratèges américains, est situé à 200 kilomètres à peine en ligne droite de l'enclave russe de Kaliningrad, l'avancée la plus à l'ouest de la Russie, entre la Pologne et la Lituanie.

L'implantation dans cette région d'une première base américaine avec quelque 200 soldats, est d'autant plus difficile à accepter pour la Russie que la région fut l'endroit où, sous le communisme, étaient localisées de nombreuses bases soviétiques, avec leurs batteries de missiles pointés contre l'Ouest.

«Ce sera la première installation militaire américaine dans l'ancien bloc communiste qui sera aussi proche des frontières de la Russie», souligne Beata Gorka-Winters, une analyste de l'Institut polonais des affaires internationales.

La présence américaine en Pologne sera même plus importante que prévu car Washington a fini par céder aux revendications du gouvernement polonais, qui souhaitait que soit installée une batterie antimissile Patriot opérée par l'armée américaine.

Pour l'analyste militaire Wojciech Luczak, ce n'est pas le conflit en Géorgie qui a joué en faveur d'un accord mais plutôt le désir de George W. Bush d'engranger un succès de politique étrangère. «L'administration Bush a pris en compte les revendications de la Pologne, quand elle a compris que c'était la rencontre de la dernière chance».

«Pour les États-Unis, ce fut un prétexte pour se dire qu'ils ne doivent plus avoir d'états d'âme envers la Russie ni se préoccuper de leur hostilité à ce projet, si la Russie est capable de se comporter de cette manière en Géorgie», ajoute Beata Gorka-Winters.

Le conflit a cependant servi à faire plus facilement accepter l'accord à une opinion polonaise plutôt hostile au bouclier, note-t-elle.

De nombreux commentateurs et analystes pensent que la Russie pourrait être tentée par des mesures de représailles envers la Pologne, en décrétant par exemple à nouveau un embargo sur les produits agro-alimentaires polonais comme elle l'a déjà fait en 2006 et 2007.

«Mais la Russie ne devrait pas riposter immédiatement de manière militaire, en déployant des missiles Iskander ou autres systèmes aux frontières de la Pologne», pense Beata Gorka-Winters.

«De plus la Russie est tellement compromise aux yeux de l'Occident que si elle veut garder les jeux Olympiques d'hiver à Sotchi, et signer un accord avec l'OMC elle devra faire preuve de retenue et de réalisme», ajoute-t-elle.