Depuis l'hiver dernier, Choi Gyukwon étudie l'allemand à Munich. Pour les quatre prochaines années, il habitera à Francfort, en mission commandée de la Banque centrale coréenne. L'économiste sud-coréen devra tirer des leçons de la réunification de l'Allemagne, voilà déjà plus de 15 ans. Presque inévitablement, son pays devra suivre la même voie pour rectifier une aberration causée par la guerre froide.

«L'expérience de l'unification de l'Allemagne de l'Est et de l'Allemagne de l'Ouest est fondamentale pour la Corée, explique M. Gyukwon. On ne sait pas combien d'années ou de décennies cela prendra, mais il y a de fortes chances que la Corée-du-Nord et la Corée-du-Sud forment à nouveau un seul pays.»

Si les deux unifications sont similaires, il existe de nombreuses différences. L'Allemagne a été divisée en deux après la guerre sur la base des zones d'occupation. La Corée, elle, a toujours été la victime: une «crevette parmi les baleines» que sont la Russie, la Chine et le Japon, dit un proverbe. Après 40 ans d'occupation japonaise, l'entrée en guerre de l'Union soviétique dans le Pacifique, quelques mois avant la reddition du Japon, visait en partie à étendre la domination communiste en Asie. La division de la Corée a survécu à une guerre sanglante de 1950 et 1953.

Beaucoup plus pauvres

Après un demi-siècle d'armistice musclé, la Corée-du-Sud a décidé à la fin des années 90 de tendre la main vers son voisin du nord. Jusqu'à maintenant, l'aide du Sud a surtout permis d'éviter une répétition des famines qui ont tué des millions de Nord-Coréens au milieu des années 90. Des entreprises sud-coréennes ont établi des usines dans le Nord, mais les possibilités de réunification demeurent faibles à court terme.

Cela n'empêche pas la Corée-du-Sud de multiplier les études sur le sujet. «Nous ne voulons pas être dépourvus si les événements se précipitent», explique M. Gyukwon.

D'autant plus que la Corée-du-Sud est beaucoup moins bien placée que la République fédérale d'Allemagne (RFA) ne l'était en 1990, lors de la réunification. Le pays est beaucoup moins riche, et les Nord-Coréens sont beaucoup plus pauvres que ne l'étaient les Allemands de l'Est. Les Nord-Coréens qui réussissent à fuir leur État policier en transitant par la Chine ont d'énormes difficultés à s'adapter au capitalisme de la Corée-du-Sud, malgré l'aide gouvernementale qui leur est fournie.

Éviter la catastrophe

Les leçons que les économistes allemands ont tiré de leur propre réunification sont aussi problématiques. L'est du pays a toujours un niveau de vie inférieur du quart à l'ancienne RFA, malgré des transferts de plus de 5000 milliards d'euros équivalant à 5% du PNB. Le principal coupable, paradoxalement, a été la volonté d'atteindre rapidement la parité salariale.

«La productivité est-allemande était et reste beaucoup moins grande qu'à l'Ouest», explique Alan Auerbach, professeur d'économie à l'Université Berkeley en Californie qui a écrit plusieurs articles sur les deux réunifications.

«Mais le gouvernement a insisté pour que les salaires soient égaux dès 1997. Inévitablement, les entreprises ont fui les provinces orientales comme la peste: pour un même salaire, elles avaient moins de rendement. Il y a eu une forte émigration interne. Il aurait mieux valu accepter les différences salariales, pour stimuler l'emploi à l'Est. Le problème, avec la Corée, c'est que l'employabilité au Nord est tellement faible qu'on peut craindre un transfert massif de population s'il n'y a pas une période tampon. Les économistes coréens que je connais sont très intéressés par l'exemple allemand mais réalisent qu'une absorption du Nord aussi rapide serait catastrophique.»