Deux jours après la conclusion d'un cessez-le-feu, la situation demeurait extrêmement volatile hier en Géorgie. De nombreuses explosions ont été entendues dans la ville géorgienne de Gori, que l'armée russe n'avait toujours pas évacuée hier et où elle semblait procéder au démantèlement des installations militaires géorgiennes. Pendant ce temps, de nouvelles voix s'élevaient, appelant Moscou à retirer ses troupes du territoire géorgien. Pour mieux comprendre les origines de cette crise, La Presse s'est entretenue hier avec Kevin Tuite, ethnolinguiste de l'Université de Montréal, grand spécialiste du Caucase en général et de la Géorgie en particulier.

Q: Il y a moins d'une semaine, le président géorgien Mikheïl Saakachvili a lancé ses troupes contre Tskhinvali, la capitale de la région sécessionniste de l'Ossétie-du-Sud. Pourquoi?

R: Les raisons qui ont motivé la Géorgie à choisir précisément ce moment pour cette attaque restent en grande partie un mystère. Mais il faut dire que durant tout le mois de juillet, on a assisté en Ossétie-du-Sud à des hostilités de basse intensité. Également cet été, il semble que des sites Internet du gouvernement géorgien aient fait l'objet d'une cyberattaque russe. La fréquence des incidents à la frontière a beaucoup augmenté au cours de l'été, ce qui a pu agir comme un déclencheur du conflit.

Q: Le président géorgien pouvait-il vraiment croire qu'il avait intérêt à déclencher une opération militaire de cette importance?

R: Il ne fait pas de doute, pour moi, que la Russie voulait provoquer une attaque géorgienne en Ossétie-du-Sud. Sa réponse militaire extrêmement rapide montre que l'armée russe était prête à cet affrontement. Pourquoi Mikheïl Saakachvili est-il tombé dans ce piège? Il a peut-être été dupé par les Russes et n'a pas cru qu'ils réagiraient aussi vite. Mais il a aussi pu être dupé par les États-Unis en pensant qu'ils viendraient l'aider. Aucune de ces deux hypothèses ne s'est confirmée. Et on peut penser que Saakachvili a fait une bêtise gigantesque.

Q: Les tensions autour de l'Ossétie-du-Sud durent depuis la guerre qui a suivi l'éclatement de l'Union soviétique, au début des années 90. Quelle était la situation avant la récente escalade?

R: Depuis environ un an et demi, l'Ossétie-du-Sud vit sous une sorte de double administration. Parallèlement au gouvernement pro-russe de Tskhinvali, plusieurs villages sont contrôlés par un politicien pro-géorgien appuyé par Tbilissi. Cette administration parallèle pouvait être interprétée comme une manière pour la Géorgie de réincorporer lentement l'Ossétie-du-Sud. D'ailleurs, depuis deux ou trois ans, il n'était pas rare d'entendre des ministres géorgiens dire à la blague qu'ils fêteraient Noël à Tskhinvali Le pouvoir géorgien menait une campagne politique pour rétablir l'intégrité territoriale du pays et cette campagne a donné beaucoup de faux espoirs aux Géorgiens.

Q: Puisque la communauté internationale a reconnu au printemps l'indépendance du Kosovo, pourquoi ne pas permettre à l'Ossétie-du-Sud et à l'Abkhazie de se séparer?

R: La reconnaissance du Kosovo a effectivement créé un précédent dangereux en permettant de dessiner de nouvelles frontières en Europe. Cela dit, pour les Géorgiens, l'Ossétie-du-Sud est très importante stratégiquement, sa frontière se situe à seulement quelques dizaines de kilomètres de Tbilissi! En revanche, l'Ossétie-du-Sud représente peu d'intérêt économique, alors que l'Abkhazie est une région beaucoup plus riche. Globalement, il est d'ailleurs plus réaliste de penser à la création d'un État abkhaze qu'à la création d'un État ossète. Sauf que le problème, ici, c'est que le but ultime des sécessionnistes n'est pas d'acquérir l'indépendance, mais bien plutôt d'être incorporés à la Russie. Autrement dit, la guerre des derniers jours ne met pas seulement en cause le statut des Ossètes, mais aussi la politique de Moscou qui vise à rétablir l'empire russe dans le Caucase.