Londres est devenu un champ de bataille pour les jeunes. Ils s'affrontent pour de la drogue, pour un territoire, pour un regard de travers. Les codes postaux sont les nouvelles lignes de tranchées. Accusées d'avoir fait l'autruche trop longtemps, les autorités se réveillent avec une gueule de bois. Et des gangs par centaines.

Jimbo, 16 ans, baigne dans la culture de gang depuis toujours. Son secteur, Wood Green, situé dans le nord de Londres, en compte une bonne dizaine, dont «Money over Bitches». Il y a des bagarres au couteau chaque semaine. Pour des histoires de drogue, d'armes et de territoire.

«Les policiers se font régulièrement agresser», dit Jimbo, qui porte un petit afro et un faux diamant à l'oreille. En mars dernier, deux agents ont été pourchassés par des jeunes armés de battes cloutées et de haches. Ils étaient intervenus dans un affrontement entre deux bandes rivales. Précisons qu'en Grande-Bretagne, seules des unités policières spéciales ont le droit de porter une arme à feu.

Jimbo, né de parents jamaïcains, disputait le ballon rond à des jeunes de quartiers ennemis vendredi dernier, dans un parc du nord de Londres. Ce tournoi spécial réunissait une quarantaine d'adolescents de cinq secteurs chauds de la capitale.

«Ces jeunes sont à l'âge où ils se font recruter par les gangs», explique Micky Dowsett, dont le centre communautaire, Winchester Project, a organisé l'événement. Les ravages des gangs, il connaît. Deux de ses protégés ont perdu la vie cet été. Sharmaarke «Sharky» Hassan, d'origine somalienne, a été tué à bout portant dans un règlement de comptes. Ben Kinsella, 16 ans, a été poignardé à la sortie d'un bar.

«C'est triste, mais ça ne me choque plus, dit l'intervenant. Je connais au moins 20 jeunes qui sont morts ces deux dernières années.»

Une épidémie de violence

Londres fourmille de gangs. La capitale en compte 171, selon Scotland Yard. Les experts estiment que le nombre réel oscille autour de 400. Dans le seul secteur de Brent, un des 32 arrondissements de Londres, une équipe de chercheurs en a dénombré 40 l'année dernière.

«Même les quartiers riches sont touchés», assure Andy Newsam, de Youth Justice Board, organisme de prévention de la criminalité juvénile.

L'empire des gangs a créé une épidémie de violence. Ainsi, le tiers des jeunes de moins de 16 ans portent à l'occasion une arme blanche, selon le Youth Justice Board. Pas moins de 324 adolescents ont été hospitalisés pour des blessures au couteau l'an dernier, presque trois fois plus qu'en 2002. Depuis le début de l'année, 23 jeunes ont été tués dans la capitale.

Alarmée par cette hécatombe, la police a lancé une vaste opération de fouilles dans des zones sensibles en juin. Cela a mené à 2500 arrestations liées au port d'arme blanche.

Un nouveau phénomène serait à l'origine de cette culture du couteau: les guerres des codes postaux. «Les jeunes gangsters défendent maintenant un territoire, une rue», dit l'experte Charlotte Pickles, du Centre pour la justice sociale. Ils en portent d'ailleurs souvent le nom, comme les «Peckham Boys» ou les «Tottenham Man Dem».

Les footballeurs en herbe rencontrés vendredi dernier se sentent prisonniers de leur quartier. «Quand je vais quelque part où mon visage n'est pas connu, je risque de me faire attaquer», dit Louie, 16 ans.

Le prix à payer

Des enfants de plus en plus jeunes se font happer par les gangs. «Des gamins de 9 ans en font partie dans mon coin», dit Jimbo. Ils agissent comme coursiers avant de monter dans la hiérarchie. Pour beaucoup, le gang a remplacé la famille.

Le gouvernement britannique vient de promettre aux communautés touchées l'équivalent de 40 millions de dollars canadiens sur trois ans. Un budget de misère, selon les intervenants locaux. En comparaison, la police de Montréal recevra la même somme sur cinq ans pour sa lutte antigang.

Le fléau des gangs est né d'un manque de programmes sociaux dans les quartiers pauvres, selon John Pitts, professeur à l'Université Bedfordshire. «Les gouvernements des 25 dernières années croyaient que la prospérité nationale allait profiter à tous. Or, le fossé entre les riches et les pauvres s'est creusé.»

«Les quartiers défavorisés ont été traités comme des décharges publiques. Maintenant, toute la Grande-Bretagne en paie le prix», renchérit Charlotte Pickles.