La semaine dernière, je me suis rendu dans un petit cinéma du centre-ville de Los Angeles voir le documentaire Gonzo: The Life and Work of Dr Hunter S. Thompson.

Pour tout dire, j'ai toujours été méfiant face à ce qui se rattache à Hunter S. Thompson, un journaliste mort il y a trois ans. Le culte des anti-héros m'agace encore plus que le culte des célébrités. Pourquoi toute personne de moins de 40 ans qui lit Bukowski se sent-elle obligée de porter un t-shirt délavé avec sa photo dessus? D'avoir une citation sur son frigo? Ou d'en glisser un mot dans son blogue?

Bref, je suis heureux de dire que le documentaire sur Thompson est très bon. On y voit l'auteur dans sa folie, sa démesure (il a planifié son «party funéraire» 30 ans avant sa mort). On voit aussi le Thompson déséquilibré, le Thompson qui se perd dans des rages infinies, qui fait passer sa carrière avant sa famille.

Si Hunter S. Thompson me préoccupe ces jours-ci, c'est parce que Fear and Loathing on the Campaign Trail 1972 est sur ma table de chevet. Brique compacte de 505 pages, Fear and Loathing est un recueil des reportages sur la campagne présidentielle de 1972 écrits par Thompson pour le magazine Rolling Stone.

C'était la première fois que le Rolling Stone, magazine de drogués et de freaks, s'intéressait à la politique. Et Thompson n'avait pas l'intention de publier des reportages pasteurisés...

Causer foot avec Nixon

Sous sa plume, la campagne électorale Nixon-McGovern devient un marathon absurde et interminable, où les candidats se lèvent à 4h du matin pour aller serrer la main de travailleurs indifférents qui arrivent à l'usine.

«C'est insupportable, écrit Thompson. Je ne sais pas si les candidats sont humains pour pouvoir endurer ça.»

Suivre Nixon, note-t-il, est une expérience pénible: le chef républicain déteste les journalistes. «Nixon communique avec nous par l'entremise de Ron Ziegler, un ancien porte-parole de Disneyland qui traite les journalistes comme une bande d'alcooliques qu'il ne faut tolérer que lorsqu'ils ne cherchent pas de poux au patron.»

Un des moments les plus surréalistes survient lorsqu'un assistant de Nixon invite Thompson à s'asseoir dans la limousine du président. Nixon a deux heures de route à faire pour se rendre à une activité de financement, et il cherche quelqu'un pour relaxer et causer football. Thompson était le seul journaliste du groupe à connaître le sujet à fond. C'est lui qui a eu la place.

«Nixon est malhonnête à propos de tout, sauf du football, a-t-il écrit après la rencontre. Il vit pour le football. Il peut en parler pendant des heures. Je ne suis pas fier de le dire, mais j'ai aimé discuter avec lui.»

Journalistes complaisants

Pourquoi relire ce livre aujourd'hui? Parce que c'est la meilleure façon d'avoir un vrai portrait d'une campagne présidentielle. Les reportages de Thompson nous montrent que, au royaume des blogues et des scandales minute, on en sait moins aujourd'hui sur la folie d'une campagne qu'au temps où les machines à écrire portatives étaient louées à l'heure et où les beuveries pouvaient avoir lieu à toute heure de la journée.

Des dizaines et des dizaines de sites web dissèquent cette année la course à la Maison-Blanche. Mais la vérité, c'est qu'aucun franc-tireur ne suit les candidats. L'affaire est beaucoup trop sérieuse et calculée pour qu'un original ne monte à bord de l'avion de McCain ou d'Obama et ne se mette à écrire ce qu'il pense vraiment des candidats et de leur entourage...

L'irrévérence de Thompson est introuvable aujourd'hui dans La Presse politique américaine, composée de vedettes surpayées qui sont au sommet de leur carrière (et qui veulent y rester). L'ancien éditeur du magazine Harper's, Lewis Lapham, a souligné ce fait dans un récent discours vitriolique sur l'état de la presse politique.

«Il fut un temps en Amérique où les journalistes et les politiciens étaient chacun de leur côté de la clôture, a-t-il dit. Le rôle de la presse était de parler au nom des citoyens. Aujourd'hui, la presse parle au nom du gouvernement. Les journalistes sont devenus les porte-parole des puissants des riches, des privilégiés...»

Un noeud dans la gorge

En 1972, le démocrate George McGovern se battait contre le président sortant Richard Nixon. Sans avoir le charisme d'un Kennedy, McGovern avait des idées progressistes qui électrisaient les gens de gauche et les pacifistes. Surtout, il représentait un mur pare-feu contre la politique de droite de Nixon et son dédain de tout ce qui était intellectuel ou innovateur.

La campagne de 2008 n'est pas si différente. Après huit années de Bush, les progressistes ont la nausée et ne reconnaissent plus leur pays. Et bien des conservateurs n'ont aucune intention d'appuyer un "libéral" comme candidat à la présidence.

En 1972, Thompson est devenu un ardent partisan de McGovern. Il a presque fait une dépression après les élections: Nixon a remporté tous les États, sauf le Massachusetts. Anticipant une victoire des républicains, Thompson a écrit avant le vote: "Ceci est peut-être l'année où nous finirons par avoir un face-à-face avec nous-mêmes; finalement, s'asseoir et le dire - que nous sommes une nation de 200 millions de vendeurs d'automobiles d'occasion avec tout l'argent nécessaire pour acheter des fusils, et qui n'a aucun scrupule à parcourir le monde pour tuer ceux qui nous gênent."

Cette phrase a été écrite il y a 36 ans. Mais je vous jure qu'elle est présente dans l'esprit de chaque Américain qui s'apprête à voter pour Barack Obama cet automne. Peut-être pas aussi bien formulée. Mais c'est la même boule dans l'estomac. Le même noeud dans la gorge.

Après la campagne de 1972, le chef du bureau politique du Washington Post a dit du livre de Thompson: "C'est le meilleur récit sur la campagne que j'aie lu, point final."

J'ai hâte de voir qui va écrire le meilleur récit sur la campagne cette année.