Al Gore a son plan énergétique, tout comme Barack Obama et John McCain. Mais le plan dont les Américains entendent le plus parler ces jours-ci porte le nom d'un homme de pétrole légendaire qui s'est converti au vent : T. Boone Pickens.

Chaque soir, depuis deux semaines, les Américains entendent le milliardaire texan les implorer, dans une publicité télévisée, de rompre leur « dépendance » à l'égard du pétrole importé.

«En 1970, nous importions 24% de notre pétrole. Aujourd'hui, c'est près de 70%, et ça augmente», dit la voix de T. Boone Pickens, un géologue coloré qui s'est rendu célèbre dans les années 80 pour ses raids hostiles sur des sociétés pétrolières.

Aujourd'hui, l'octogénaire est le meilleur allié d'Al Gore et des militants écologistes. Il a investi 58 millions de dollars dans une campagne publicitaire en faveur de l'énergie éolienne qui tombe au milieu d'une année électorale où le dossier énergétique occupe une place majeure. «T. Boone Pickens cherche à sauver l'Amérique», affirme Carl Pope, président du Sierra Club, un des groupes écologistes américains les plus importants.

Ce n'est pas la première fois que T. Boone Pickens s'invite dans une campagne présidentielle. En 2004, il avait été le bailleur de fonds de la campagne médiatique des Swift Boat Veterans for Truth. Cette organisation, formée d'anciens combattants de la guerre du Vietnam, avait fait mal au candidat démocrate John Kerry en l'accusant d'avoir menti sur son service militaire et trahi ses compagnons d'armes en militant contre la guerre du Vietnam à son retour aux États-Unis.

Cette année, cependant, la campagne de Pickens ne nuira pas au candidat démocrate mais plutôt à son adversaire républicain. Dans sa pub télévisée, sur son site internet ou dans les journaux, l'homme de pétrole est catégorique : la solution à la crise actuelle ne passe pas par de nouveaux forages en mer, au large des États-Unis. Or John McCain propose justement de lever l'interdiction contre ces forages, une solution que rejette son rival démocrate.

«J'ai été un homme de pétrole toute ma vie et c'est un problème dont nous ne pouvons pas nous sortir par le forage», dit-il.

Le «plan Pickens» est ambitieux : réduire d'un tiers les importations américaines de pétrole d'ici cinq à 10 ans. Comment? En bâtissant des fermes éoliennes le long de ce que T. Boone Pickens appelle « l'Arabie Saoudite du vent », un immense corridor qui s'étend du Texas jusqu'au Dakota-du-Nord, un État jouxtant la frontière canadienne.

Le «plan Pickens» est également coûteux : il évalue le coût de la construction des fermes éoliennes à un trillion de dollars, et à 200 milliards le coût de la construction des réseaux de haute tension.

Dans la vision de Pickens, l'énergie éolienne produite par ces fermes permettra de réduire la consommation de gaz naturel des centrales électriques. Ce combustible fossile, abondant aux États-Unis, pourrait alors servir de carburant à des véhicules qui consomment aujourd'hui de l'essence.

«Le monde compte huit millions de véhicules à gaz, dit Pickens. Or les États-Unis n'en ont que 150 000. Nous pouvons et nous devrions faire beaucoup plus pour agrandir notre parc de véhicule à gaz.»

Prêcher par l'exemple

En attendant la réalisation de son plan, T. Boone Pickens donne l'exemple. Il est en train de construire une ferme éolienne de 10 milliards de dollars près de son ranch de Pampa, dans le nord du Texas, qui produira 4000 mégawatts en 2011. Sa compagnie, Mesa Power, a déjà investi 2 milliards pour l'achat de 667 turbines éoliennes, qui produiront 1000 mégawatts, de quoi éclairer 300 000 maisons.

Pour acheminer cette électricité aux régions plus peuplées du Texas, il promet même de construire lui-même son propre réseau à haute tension. Une telle «générosité» est évidemment impensable à l'échelon national. D'où les pressions qu'exerce ces jours-ci Pickens sur le Congrès pour obtenir de nouvelles incitations fiscales à l'exploitation de l'énergie éolienne.

La campagne de Pickens lui a valu d'être vanté non seulement par des groupes écologistes comme le Sierra Club, mais également par des journaux comme le New York Times, qui n'ont pas l'habitude de lui lancer des fleurs.

«Le président Bush devrait écouter son concitoyen texan et allié politique de longue date», a écrit la page éditoriale du quotidien new-yorkais. La droite américaine, beaucoup moins admirative, accuse Pickens de demander l'aide du Congrès afin de pouvoir rentabiliser sa propre ferme éolienne.