Contrairement aux Ossètes de Russie, qui appuient pour la plupart sans réserve la réplique de Moscou à l'attaque de l'Ossétie-du-Sud par la Géorgie, il y a 10 jours, les habitants de la capitale russe sont plus partagés. Plusieurs doutent que leurs dirigeants disent toute la vérité sur les raisons du conflit et les responsabilités de chacun des belligérants. Notre collaborateur en a discuté avec eux.

Dans la gigantesque rue Tverskaïa, à Moscou, entre les magasins de luxe et les mendiants, on est bien loin de la guerre en Géorgie. Pourtant, c'est au bout de cette artère, au Kremlin, que se dessine en bonne partie l'issue du conflit.

Roman Gouchine attend deux amies sur la place Pouchkine, lieu de rassemblement préféré des Moscovites. Selon l'ingénieur de 23 ans, il n'y a pas de doute: le président Medvedev et le premier ministre Poutine ont eu raison de répliquer. «Absolument. C'était justifié que nous utilisions la force contre l'agresseur géorgien. Nous avons défendu nos citoyens innocents», soutient-il, en référence au fait que la quasi-totalité des Sud-Ossètes possèdent un passeport russe. «Nous n'avons pas attaqué la population, nous.»

Quand on lui rappelle que les bombardements russes sur la ville géorgienne de Gori ont fait des victimes civiles, Roman prend un air affligé. «C'est la guerre.»

Stepan Bakoune dirige les voitures qui se garent en bordure de la rue Tverskaïa. «Comment se peut-il qu'on ait encore des guerres à notre époque!» se désole le préposé au stationnement de 58 ans.

«Une autre Tchétchénie»

À son avis, oui, la Russie devait faire cesser «l'effusion de sang et la souffrance des gens» en Ossétie-du-Sud. «Mais il ne fallait pas occuper la Géorgie. Occuper, ça veut dire encore une guerre puisque les Géorgiens vont se défendre. Ce sera une autre Tchétchénie.»

M. Bakoune estime que le président de la Géorgie, Mikheïl Saakachvili, n'est pas le seul responsable du déclenchement des hostilités. «Il ne fallait pas le laisser se rendre jusque-là.»

Par ailleurs, il ne serait pas surpris que la réplique russe ait des motifs insoupçonnés. «Vous savez, nos gouvernants vont en profiter pour détourner de l'argent», prédit-il.

Ioulia Abramovna se promène avec une amie en cette chaude journée humide. Lorsque son employeur lui a proposé de donner l'équivalent d'une journée de son salaire, environ 50$, pour aider les réfugiés de l'Ossétie-du-Sud, elle n'a pas hésité une seule seconde. «Ce n'était pas obligatoire, mais je ne connais personne qui ait refusé de le faire. Et c'est la même chose là où travaille ma mère», raconte l'étudiante en économie de 20 ans, aussi employée d'une firme de transport.

Si elle compatit avec les réfugiés, elle est loin de gober tout ce qu'elle entend sur le conflit. «Dans notre pays, toutes les chaînes de télévision sont sous influence. Je ne crois pas plus de 50% de ce que j'y vois», dit-elle.

«On nous cache des choses»

«Je crois qu'on nous cache beaucoup de choses à propos de qui est coupable et qui a commencé cette guerre, poursuit Ioulia. La tactique (des dirigeants russes) n'est pas aussi logique que ce qu'on voit à la télé.»

Sergueï Koroliov est confortablement installé sur le siège arrière d'une luxueuse voiture décapotable. Alors que Géorgiens et Russes se renvoient les accusations, il juge pour sa part que «tout est clair».

«Les médias américains rejettent la faute sur nous parce que c'est avantageux pour leur pays. La Géorgie est leur enfant, alors ils doivent la défendre», analyse le policier de 37 ans.

À son avis, l'entrée des troupes russes sur le territoire géorgien la semaine dernière ne peut être qualifiée d'occupation. «La Géorgie, elle, a occupé l'Ossétie-du-Sud. Les nôtres ont seulement voulu assurer la sécurité. Ils n'ont qu'à faire quelques pas en arrière et ils seront sortis.»

À moins de 300 m du Kremlin, Valentina Ivanova discute avec une amie vendeuse de crème glacée. «Nous n'avons pas de guerre!» lance avec un sourire celle qui travaille comme concierge dans le magasin sportif, juste en face.

«Tant que nous avons du pain, nous vivons. Et nous vivons bien!» Pas question pour elle de s'en faire avec cette guerre lointaine. «On en entend parler, mais comment c'est là-bas, je ne sais pas trop.»