«Je retourne chez Al-Qaeda si vous arrêtez les comités Al Sahwa», lance en riant le colonel Satar, chef d'un de ces groupes d'anciens insurgés irakiens, au lieutenant américain Matthew McKernon qui rit jaune: même si le colonel semble plaisanter, il dit la vérité.

Les comités Al Sahwa sont le plus souvent formés d'ex-membres d'Al-Qaeda ou de rebelles sunnites et chiites, voire de simples groupes criminels, désormais reconvertis dans la lutte contre le réseau extrémiste --ils ont effectivement contribué à une nette baisse des violences en Irak-- et payés par l'armée américaine, en général 300 dollars par mois.

«Les tueurs d'hier sont les protecteurs d'aujourd'hui. A qui faire confiance pour protéger ma famille?», s'interroge un habitant de Baqouba, capitale de la province de Diyala (est), une des plus dangereuses d'Irak.

Jusqu'en avril 2007, des combats meurtriers ont ravagé Baqouba, qui vit toujours sous tension. De nombreux habitants ayant fui les violences ont récemment réintégré leurs foyers.

Revenue depuis peu dans le quartier de Kathoun (ouest) à 95% sunnite, la famille Wahab, chiite, a déjà vu le portail de sa maison détruite par une bombe artisanale.

Mercredi, le fils aîné, Mahmoud, a repéré une seconde bombe à quelques mètres de sa maison. L'armée américaine, la police et l'armée irakiennes se rendent sur les lieux.

Le chef du comité Al Sahwa de Kathoun, Abou Zarra, sous contrat avec l'armée américaine et qui commande plus de 300 hommes, les accompagne. Pendant que les démineurs américains examinent la bombe, il discute discrètement avec un de ses acolytes. Les deux hommes se demandent combien d'argent ils vont pouvoir extorquer à la famille Wahab en contrepartie d'une protection, selon une conversation en arabe surprise par l'AFP.

Les démineurs font finalement exploser la bombe, détruisant toutes les vitres du quartier. Toisant Abou Zarra, un soldat américain grogne à mi-voix «ça te rappelle le bon vieux temps où c'était toi le terroriste, hein?».

Trente kilomètres plus au sud, en pleine campagne, le colonel Satar, ex-officier de l'armée de Saddam Hussein, gère la sécurité locale dans une région «calme depuis un mois».

«Les forces de la coalition (multinationale en Irak, ndlr) sont venues en disant "nous allons vous aider". Mais rien ne s'est passé», déplore-t-il.

«J'aime mon travail», affirme-t-il. Lié par contrat avec les Américains, le colonel emploie plus d'hommes que prévu dans l'accord, et demande donc plus d'argent. «Il est autorisé à en employer 230, mais il en a plus de 300», explique le lieutenant McKernon, stationné dans la région.

La négociation se fait plus âpre. Le colonel lance en riant: «je retourne chez Al-Qaeda si vous arrêtez les comités Al Sahwa!» Le lieutenant McKernon grimace un sourire: il sait pertinemment que de nombreux «Sahwa» n'ont pas changé de camp par idéalisme. Si la source d'argent venait à se tarir, certains retourneraient à leurs anciennes activités.

Pour éviter d'en arriver là, «la Force multinationale est engagée dans l'aide aux membres des comités Al Sahwa, afin qu'ils retournent à une vie normale», selon l'amiral Patrick Driscoll, de la Force multinationale en Irak.

«Nous avons différentes options. La première est un retour à la vie civile qu'ils avaient auparavant. La seconde est l'intégration aux forces irakiennes de sécurité, c'est déjà le cas de 17 000 Sahwa. 2500 Sahwa occupent également maintenant des postes dans l'administration», explique-t-il à l'AFP.

La Force multinationale a aussi mis en place des formations professionnelles. Mais «tout cela prendra du temps, au moins plusieurs mois», admet l'officier.

Autre facteur d'«apaisement», l'armée américaine a fiché tous les Sahwa, prenant empreintes digitales et rétiniennes. «Ils savent que nous savons qui ils sont», résume le capitaine Kevin Ryan, qui dirige une unité stationnée à Baqouba.