«On aurait dit un peintre de Montmartre», sourit cette retraitée de Novi Beograd, le quartier de Belgrade où se cachait sous une fausse identité Radovan Karadzic, l'ancien homme fort des Serbes de Bosnie et où l'on se souvient d'un homme souvent affable, mais méconnaissable.

Dans ce coin de la périphérie de Belgrade aux immeubles défraîchis, la nouvelle de l'arrestation lundi soir de l'un des fugitifs les plus recherchés au monde a été accueillie diversement.

«Il était comme un animal pourchassé qui s'est terré ici», s'insurge une vieille dame qui, commme tout le monde dans le secteur, préfère garder l'anonymat.

«Pourquoi seulement les Serbes iraient-ils à la Haye (le siège du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, TPIY) alors que les autres courent en liberté!?», s'exclame-t-elle au pied de l'immeuble où résidait au troisième étage Radovan Karadzic, depuis un mois et demi selon elle.

«Qui sont les coupables? On ne le sait pas. Pourquoi les autres sont-il relâchés?», poursuit-elle, faisant apparemment allusion à l'acquittement, en avril, par le TPI, de l'ex-premier ministre kosovar Ramush Haradinaj.

Radovan Karadzic est inculpé de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre par le TPI pour son rôle pendant le conflit en Bosnie (1992-1995).

Avec son apparence originale, un éternel chapeau domestiquant une longue chevelure blanche, des lunettes et une barbe fournie, les gens du quartier semblaient avoir repéré ses habitudes, comment il traversait par exemple le petit square où jouent des enfants pour rejoindre une station de bus toute proche ou comment il allait faire des emplettes dans une petite épicerie à quelques mètres de là.

Son allure «sautait aux yeux mais il était méconnaissable», interrompt une femme.

Une jeune fille lui avait donné le surnom d'«Odyssée» et se souvient d'un homme aimable et bien élevé, aimant commenter la qualité des produits qu'il achetait. «J'avais l'impression qu'il m'analysait et me scannait».

Dans la buvette à deux pas, on ne cache guère ses sympathies nationalistes. Les portraits de Radovan Karadzic et de son ancien bras droit militaire également recherché par le TPI, le général Ratko Mladic, figurent en bonne place au-dessus du comptoir.

Sur le côté, on reconnaît les traits des anciens présidents yougoslaves, le maréchal Tito et Slobodan Milosevic.

Radovan Karadzic venait dans cet estaminet deux à trois fois par semaine, déguster un vin local, «Medvedja Krv» («Le sang de l'ours») ou jouer même quelques notes d'un instrument de musique populaire.

Un habitué de l'endroit explique qu'on s'adressait à lui en l'appelant «professeur» et qu'il ne s'exprimait jamais sur les sujets politiques. Au kiosque voisin, on indique qu'il lisait de préférence la Pravda, une publication nationaliste, et l'un des principaux journaux serbes, Politika.

Interrogé sur le fait de savoir ce qu'il pense de l'arrestation de Radovan Karadzic, un homme hésite un instant et finit par lâcher en français: «M...!»

Beaucoup de réfugiés serbes de Bosnie, de Croatie et du Kosovo vivent dans le quartier, explique une dame, non loin de l'immeuble où habitait Radovan Karadzic.

«Il faut qu'il aille à La Haye», déclare-t-elle en admettant que peu pensent comme elle dans le secteur.

«Il l'a mérité. C'est à lui de se défendre» devant le TPI, ajoute-t-elle en estimant que les Serbes ne doivent pas «souffrir tous pour un tel homme».

«Je suis sûre que les autorités serbes (avant l'installation du gouvernement pro-européen, le 7 juillet) savaient pertinemment où il était», poursuit cette dame qui revendique fièrement d'avoir participé à toutes les manifestations pour réclamer la destitution de Slobodan Milosevic, en 2000.