Le procès de l'ex-chef politique des Serbes de Bosnie Radovan Karadzic, incarcéré par le TPI mercredi, pourrait apporter des révélations sur la manière dont il a échappé aux Occidentaux en Bosnie, mais aussi sur sa relation avec son mentor Slododan Milosevic, selon les experts.

Remis au Tribunal pénal international (TPI) pour l'ex-Yougoslavie, Radovan Karadzic, 63 ans, comparaîtra jeudi pour la première fois devant un juge, qui lira son acte d'accusation et lui demandera s'il plaide ou non coupable de crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide.

Il a annoncé vouloir assurer seul sa défense, à l'instar de l'ancien président yougoslave Milosevic, dont le procès avait été interrompu par sa mort en mars 2006.

«C'est un homme politique, un ancien poète, il aime être au centre de l'attention, il va essayer d'utiliser sa place d'accusé pour raconter comment il a échappé pendant treize ans à une arrestation, et faire des révélations sur le rôle des Occidentaux», selon l'experte en justice internationale Heikelina Verrijn-Stuart.

L'ancien président de la république autoproclamée des Serbes de Bosnie pendant la guerre de Bosnie (1992-1995), qui a fait 100.000 morts et 2,2 millions de déplacés, est selon l'accusation le «cerveau» du «nettoyage ethnique» contre les non-Serbes.

«Son procès sera beaucoup plus simple que celui de Milosevic», estime Mme Verrijn-Stuart: contrairement à Milosevic dont le procureur devait prouver le rôle dans les atrocités, «Karadzic était là où on se battait, il a énormément écrit, parlé au parlement, à la télévision, aux journalistes, et exposé sa politique».

«Karadzic a toujours dit (...) que s'il était arrêté, il aurait des choses à dire sur des promesses faites par les Occidentaux autour des accords de paix de Dayton» de novembre 1995, avance Florence Hartmann, qui fut porte-parole et conseillère de l'ex-procureur du TPI Carla del Ponte.

Le négociateur américain auprès de Milosevic, Richard Holbrooke, aurait promis qu'il ne livrerait pas Karadzic au TPI, en échange de sa «mise à l'écart», précise Mme Hartmann.

Ce qui expliquerait que cet homme sous mandat d'arrêt international pour génocide ait pu, jusqu'en 1997, vivre au grand jour à Pale, capitale autoproclamée de la république serbe en Bosnie.

«Les soldats de l'OTAN ne l'arrêtaient pas. Il passait devant leurs yeux pour aller de son bureau à sa villa», rappelle Mme Hartmann, précisant que l'OTAN disposait à l'époque de plus 60 000 hommes en Bosnie-Herzégovine.

Les Etats-Unis démentent avoir négocié un accord avec Karadzic, de même que la France, qui a obtenu juste avant les accords de Dayton la libération de deux pilotes capturés par les Bosno-Serbes.

Cependant, Mme Del Ponte elle-même a accusé les grandes puissances d'avoir fait capoter des tentatives d'arrestation.

«Je n'aurais pas dû être si naïve», dit-elle dans ses mémoires à propos des promesses du directeur de la CIA, Georges Tenet, lui assurant que Karadzic était sa «priorité numéro un».

Durant son procès, «Karadzic va certainement essayer de mettre des choses sur le dos de Milosevic», ajoute Mme Verrijn-Stuart.

Les relations entre le mentor et son poulain au nationalisme débridé s'étaient refroidies lorsqu'en août 1994, Milosevic avait voulu signer un plan de paix occidental dans l'espoir de lever les sanctions internationales contre la Serbie.

Karadzic, qui réclamait alors les deux tiers du territoire de la Bosnie, refusa le plan qui ne lui en octroyait que la moitié. Milosevic rompit avec Pale et ferma sa frontière. Selon certains, il se serait aussi opposé au projet «barbare» du génocide de Srebrenica.

«L'Occident était informé de la volonté (des Serbes de Bosnie) de prendre militairement l'enclave de Srebrenica. Ils ont décidé de ne pas l'empêcher (...) ce sont des secrets de polichinelle, on va voir si le procès va permettre de le montrer», ajoute Mme Hartmann.

Mercredi, le procureur de TPI Serge Brammertz a estimé que la préparation du procès prendrait plusieurs mois.