«Nous sommes l'armée nationale. Et vous êtes libres.» C'est par ces mots que la politicienne franco-colombienne Ingrid Betancourt, prise en otage par les FARC en 2002, a su que son cauchemar et celui de 14 de ses compagnons de captivité venaient de prendre fin hier. Grâce à une opération que Mme Betancourt a elle-même qualifiée «d'impeccable», l'armée colombienne a réussi à ravir aux guérilleros marxistes la plus célèbre de leurs prisonnières. Récit d'une libération lourde de conséquences pour le pays d'Amérique du Sud.

Ingrid Betancourt, la plus célèbre otage de la guérilla en Colombie, a été libérée hier, avec 14 autres captifs, au terme d'une audacieuse opération de ruse et d'infiltration menée par l'armée colombienne.

«On nous a fait monter dans un appareil. On pensait rencontrer des émissaires venus nous libérer. Mais on n'a vu que des hommes vêtus et armés comme des guérilleros. Jusqu'à ce que quelqu'un nous dise: On est l'armée nationale et vous êtes libres''«, a-t-elle raconté hier soir à son arrivée à Bogota.

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Sereine et souriante malgré plus de six années de captivité dans la jungle, l'ex-candidate écologiste à la présidence de Colombie, âgée de 46 ans, a rendu «grâce à Dieu et aux soldats de Colombie», ajoutant que sa libération-surprise et celle des autres otages avaient été «absolument impeccables».

Opération Hacker

C'est le ministre de la Défense de Colombie, Juan Manuel Santos, qui a révélé la libération des 15 otages, dont trois Américains sous-traitants du Pentagone et 11 militaires et policiers colombiens, lors d'une opération appelée Hacker, et qu'il a qualifiée de «sans précédent».

Lors d'un point de presse improvisé à Bogota, il a expliqué que des agents du renseignement avaient infiltré le secrétariat des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, marxiste), jusqu'au cercle qui gardait ces otages.

Ceux-ci étaient divisés en trois groupes. Les agents infiltrés ont invoqué un faux ordre d'Alfonso Cano, nouveau chef des FARC, pour qu'ils soient réunis dans un lieu du sud du pays pour un transfert, a-t-il raconté.

«Puis un hélicoptère, qui appartenait à l'armée nationale et avait à son bord des membres des services secrets, a libéré les otages dans le lieu de regroupement à proximité du département du Guaviare», a précisé Santos.

Les gardiens des otages, dont «César», leur chef, «ont été immédiatement neutralisés», a poursuivi Santos. Mme Betancourt a émis l'espoir qu'ils ne seront pas maltraités.

Silence des FARC

Aucun des otages libérés n'était présent au point de presse du ministre Santos. De la ville de San Jose de Guaviare, ils ont tous été transportés jusqu'à la base militaire de Tolemaida, au centre du pays, avant de gagner Bogota.

Les FARC n'ont pas réagi tout de suite au coup de force. Mais l'Argentine, la Bolivie et l'Équateur, qui ont déjà agi comme médiateurs entre la guérilla et le gouvernement, ainsi que le Pérou, ont salué les libérations.

«C'est la victoire de la vie et de la liberté», a dit la présidente argentine Cristina Kirchner. La libération était «extrêmement importante dans la quête de la paix entre les FARC et le gouvernement», a dit Evo Morales, de Bolivie.

«C'est un grand soulagement. C'est dommage que cela n'ait pas eu lieu dans le cadre d'un processus de paix, mais lors d'une opération», a dit Javier Ponce, ministre équatorien de la Défense.

Parmi les premières réactions, Lorenzo Delloye, fils d'Ingrid Betancourt, s'est exclamé à Paris: «C'est une joie indescriptible, je n'arrive pas à y croire.»

Fin de la guérilla?

«Oui, Ingrid Betancourt a été libérée», a déclaré l'Élysée après une conversation téléphonique entre le président Nicolas Sarkozy et son homologue colombien.

De Washington, George W. Bush a appelé Uribe pour le remercier après la libération des otages américains.

Le président Hugo Chavez, du Venezuela, dont la médiation auprès des FARC a permis à des otages de recouvrer la liberté cette année, n'a pas non plus réagi.

Des analystes colombiens sur le web écrivaient avant les libérations d'hier que des «changements importants» étaient en cours à l'intérieur des FARC après la mort récente du vieux chef Marulanda et son remplacement par Alfonso Cano.

Selon palabranet.net, Chavez a consulté les FARC avant de dire, récemment, que «la guérilla n'a pas d'avenir dans le monde actuel». Le site ajoute que Chavez souhaitait que «tous les otages soient libérés, sans contrepartie» et que les FARC passent de la guérilla à la lutte politique.

Ingrid Betancourt aspire toujours à la présidence colombienne

Ingrid Betancourt a déclaré qu'elle aspirait toujours à «servir la Colombie comme présidente», quelques heures après sa libération. La Franco-Colombienne a déclaré que la réélection du président Alvaro Uribe en 2006 à la tête de la Colombie était «très bonne pour la Colombie». Elle a expliqué avoir constaté, pendant ses années de captivité dans la jungle, que le renforcement militaire promu par le chef de l'État avait fortement contribué à affaiblir ses ravisseurs. S'exprimant lors d'une conférence de presse, elle a assuré qu'Alvaro Uribe était «un très bon président» mais qu'elle «continuait d'aspirer à servir la Colombie comme présidente». Pour le moment, a-t-elle souligné, «je ne suis qu'un soldat de plus».

Avec AFP, AP, Reuters, CNN, BBC, palabranet.net, terra.com, El Colombiano