En République démocratique du Congo, le phénomène des enfants-soldats est un fléau. Selon l'ONU, plus de 30 000 d'entre eux ont été mobilisés. La plupart de force. D'autres ont été remis aux groupes armés, de plein gré, par leurs parents. Mais ça, c'était avant de rencontrer Bukeni Waruzi et sa caméra.

Le militant des droits de l'homme se promène de village en village dans le Sud-Kivu, durement touchée par la guerre civile congolaise, avec un petit film documentaire, tourné caméra à l'épaule, dans les camps où sont gardés les enfants-soldats.

Les images sont désolantes: des enfants d'à peine 7 ou 8 ans, les yeux rouges, un fusil dans les mains; d'autres qui se plaignent de ne pas manger à leur faim.

«Notre but en faisant ce film, c'était de faire voir aux parents ce que leurs enfants vont vivre s'ils sont recrutés. C'est la meilleure manière qu'on a trouvée pour mettre un frein au recrutement volontaire», explique le jeune homme, qui dirige l'Association des jeunes pour le développement intégré à Kalundu.

Du Kivu à Montréal

Aujourd'hui, le public de Bukeni Waruzi n'est pas composé de villageois congolais, mais de 27 compagnons de combat, dévoués aux droits humains, dans 25 pays différents. Et le documentaire n'est pas diffusé sur un écran de fortune, mais dans un local climatisé du département de communications de l'Université Concordia.

Sur le mur, le slogan «Voyez-le. Filmez-le. Changez-le» donne le ton à cette session intensive que tient jusqu'à la fin de la semaine l'organisation internationale Witness, fondée en 1992 par le chanteur britannique Peter Gabriel.

Après la projection du film, les questions fusent: «Comment peut-on montrer des enfants dans une situation aussi précaire? Ne les met-on pas en danger?» demande une participante, originaire du Kosovo et très impliquée dans le défense des droits des enfants. Elle s'inquiète du sort d'une fillette qui a raconté à la caméra les sévices sexuels subis aux mains de commandants.

Bukeni Waruzi répond que des précautions ont été prises. Il a obtenu l'autorisation de tourner dans les camps en échange de l'anonymat des commandants. Et la jeune femme qui a témoigné travaille maintenant au sein de son organisation.

Selon lui, le jeu en valait la chandelle. Le film a rendu la vie difficile aux recruteurs. Un deuxième documentaire sur le sujet, destiné aux membres de la Cour pénale internationale, a contribué à ce qu'un commandant congolais soit accusé de crimes de guerre pour avoir fait appel à des enfants-soldats.

«Changer les choses»

L'expérience de Bukeni Waruzi apporte de l'eau au moulin des 27 participants. Quand ils quitteront Montréal samedi, après deux semaines, ils sauront manier la caméra, faire du montage et planifier une vidéo qui leur permettra de ne pas rater leur cible.

«Il est possible de créer une vidéo dans lequel tout le monde a l'air d'une victime. C'est pas mal pour les collectes de fonds, mais ça n'encourage personne à changer les choses», explique Sam Gregory, le cinéaste qui dirige la formation.

Changer les choses, c'est la seule raison qui a poussé Patrick Otim, de l'Ouganda, à faire le voyage jusqu'au Québec. «Des rapports, j'en ai fait des tonnes sur la situation des réfugiés dans mon pays. Mais la vidéo, ça apporte des preuves encore plus éloquentes», souligne le jeune homme, qui n'avait jamais quitté l'Afrique.

Ukrainienne, Olga Golichenko, veut combattre les préjugés contre les personnes atteintes du VIH et du sida, en les laissant témoigner à l'écran. «Voir une vraie personne, qui raconte son histoire, ça fait tomber bien des préjugés. Et ça réduit la distance entre le virus et les gens qui regardent la vidéo». Elle espère ainsi convaincre plus de gens de passer un test de dépistage, premier pas utile pour stopper la plus grande épidémie de VIH en Europe.