L'échange de prisonniers qui a eu lieu entre Israël et le Hezbollah hier est loin d'avoir eu le même effet des deux côtés de la frontière. C'est dans les larmes qu'Israël a récupéré les dépouilles de deux de ses soldats, dont on ignorait le sort depuis leur enlèvement par la milice chiite en 2006.

Pendant ce temps, le tapis rouge était déroulé à Beyrouth et toute la crème politique a accueilli en héros les cinq prisonniers libérés par Israël, dont un homme qui a tué un père et sa fille de 4 ans en 1979. Récit d'une journée qui pourrait être la définition même du mot contraste.

Jusqu'au dernier instant, ils ont refusé de croire au pire. «Tant que je n'ai pas vu mon fils mort, je considère qu'il est vivant», nous avait confié la semaine dernière Miki Goldvasser, la mère d'un des soldats israéliens capturés par le Hezbollah en juillet 2006. Mais désormais l'espoir n'est plus permis.

Hier, Ehoud Goldvasser et Eldad Reguev sont revenus en Israël dans un cercueil. Devant l'image des deux caisses de bois noir posées à même le sol, les familles des soldats se sont effondrées. Et avec eux les centaines d'Israéliens venus allumer des bougies devant leurs domiciles. Les deux hommes vont être inhumés aujourd'hui. «Les valeurs juives imposent à l'État d'Israël de récupérer tous nos soldats, qu'ils soient vivants ou morts», estime Miki Goldvasser.

Durant deux ans, les familles des deux otages ont mené une intense campagne médiatique pour pousser leur gouvernement à négocier avec le Hezbollah un échange de prisonniers. Au terme de plusieurs mois de discussions sous médiation allemande, les deux parties sont parvenues à un accord. Contre les soldats israéliens, les islamistes libanais ont obtenu près de deux cents dépouilles de leurs combattants et surtout la libération de cinq prisonniers. Parmi eux, Samir Kantar, détenu en Israël depuis près de 30 ans.

Étrange coïncidence: ce Libanais avait été appréhendé en 1979 sur une plage située à quelques centaines de mètres de la maison des Goldvasser. «Il est arrivé en canot du Liban avec son commando puis il a pénétré dans cette maison, raconte Chlomo Goldvasser, le père d'Ehoud, en désignant une villa du bord de mer. Il a tenté de prendre en otage un père et sa fille de 4 ans. Mais comme la police est intervenue, il a tué le père et aussi la petite fille à coups de crosse. Il a également tué deux policiers. La mère, qui s'était cachée dans la maison, a eu la vie sauve mais elle a accidentellement tué son autre enfant en l'étouffant avec un oreiller pour l'empêcher de crier.»

À l'époque, ce drame avait bouleversé les Israéliens qui ont longtemps refusé d'envisager la libération de Samir Kantar, condamné à la prison à vie. Cette fois-ci, Israël n'a pu faire autrement que de céder aux exigences du Hezbollah pour récupérer ses deux soldats. «L'État d'Israël commet une grave erreur en libérant ce criminel, estime Meir Endor, président d'une association de victimes du terrorisme. Nous allons faire de Nasrallah (le chef du Hezbollah ) le roi du Moyen-Orient. Les prochains enlèvements sont déjà programmés, ils le disent ouvertement. Il y aura même une nouvelle compétition dans le monde arabe: à qui enlève le plus de soldats israéliens!»

Les foules en liesse accueillant le retour au Liban de Samir Kantar et des quatre autres détenus scandalisent bien sûr les Israéliens mais une majorité d'entre eux était favorable à cet échange, quel que soit le prix à payer. «Le peuple libanais a sacrifié plus de 700 soldats et des milliers de civils en plus d'une année entière de son économie dans cette guerre. Et tout cela pour quoi? Pour cet assassin d'enfant?! Je voudrais dire au peuple libanais que j'ai pitié pour lui, je le plains d'avoir autant sacrifié pour si peu de chose», déplore Chlomo Goldvasser.

L'échange de prisonniers et de dépouilles marque l'épilogue de la deuxième guerre du Liban. Il y a deux ans, quasiment jour pour jour, Israël avait lancé une vaste offensive au sud du Liban avec pour objectif de ramener les deux soldats capturés. Après 33 jours de conflit, l'armée israélienne a été tenue en échec par la milice chiite. N'obtenant rien par la force, Israël a dû se résoudre à négocier avec ses pires ennemis. La mort dans l'âme.