L'État français refuse de naturaliser une femme d'origine marocaine âgée de 34 ans et mariée à un Français, au motif qu'elle a adopté une «pratique radicale» de la religion qui contrevient au principe de l'égalité des sexes.

La décision du gouvernement, d'abord rendue en 2005, vient d'être confirmée en appel par le Conseil d'État, plus haute instance administrative du pays.

Le verdict prend en compte l'avis d'une commissaire du gouvernement, Emmanuelle Prada-Bordenave, qui accorde une grande attention aux habitudes vestimentaires de la requérante, Faïza A., mère de trois enfants nés dans l'Hexagone.

Dans un avis soumis au tribunal, la juriste relève que la requérante s'est présentée à toutes les rencontres d'évaluation à la préfecture vêtue d'un niqab, vêtement traditionnelle qui ne laisse voir que ses yeux. La femme a expliqué que son mari et elle étaient salafistes, un mouvement rigoriste de l'islam qui repose sur une lecture littérale du Coran, et qu'elle ne quittait pratiquement jamais son domicile sans être escortée par son mari.

«Elle vit dans la soumission totale aux hommes de sa famille, qui se manifeste tant dans le port de son vêtement que dans l'organisation de sa vie quotidienne, et ses propos (...) montrent qu'elle trouve cela normal et que l'idée de contester cette soumission ne l'effleure même pas», a souligné Mme Prada-Bordenave, qui en conclut que la ressortissante n'a «pas faites siennes les valeurs de la République».

Dans sa décision, le Conseil d'État n'explicite pas les raisons précises de son verdict. Il se contente de souligner que les «pièces du dossier» témoignent d'un comportement en société «incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française».

La loi française permet au gouvernement de s'opposer à la naturalisation d'une personne mariée s'il y a «défaut d'assimilation», la maîtrise de la langue étant le facteur le plus souvent évoqué.

Le Conseil d'État a déjà jugé par le passé que le port du voile ou de vêtements traditionnels ne pouvait constituer en soi un motif suffisant pour refuser la naturalisation. Dans le cas présent, la requérante avait cherché en vain à contester le refus du gouvernement en évoquant les garanties de liberté religieuse comprises dans la Constitution et dans le droit européen.

Unanimité

La classe politique française a salué presque à l'unanimité la décision du Conseil d'État, dans laquelle elle a vu la réaffirmation du fait que le principe d'égalité des sexes «n'est pas négociable».

Bien que l'avis de la commissaire du gouvernement précise bien que la requérante porte le niqab, la plupart des intervenants ont parlé de la burqa, un vêtement traditionnel qui couvre entièrement le visage. La faute, sans doute, du quotidien Le Monde, qui demandait la semaine dernière, en révélant l'affaire, si la burqa est «incompatible avec la nationalité française».

Un député de droite a annoncé qu'il entendait, sur la base de la décision du tribunal, relancer un projet de loi de son cru pour interdire la burqa. La secrétaire d'État Fadela Amara - qui voit dans la burqa le signe d'un «projet politique totalitariste» - a affirmé que la décision du Conseil d'État constituait un frein à l'intégrisme et un «vrai tremplin pour l'émancipation et la liberté des femmes».

Certaines organisations de défense des droits de l'homme se montrent moins enthousiastes. «C'est une évolution (juridique) qui est dangereuse», a commenté hier, sous le couvert de l'anonymat, une des administratrices d'une association qui vient en aide aux immigrés. «Dire ça, ça ne veut pas dire que l'on est pour les salafistes», a ajouté l'interlocutrice de La Presse en expliquant sa discrétion par le fait que le sujet était très délicat.

Danièle Lochak, professeure de droit à l'université Paris X-Nanterre, a relevé la semaine dernière dans une entrevue au Monde qu'il lui semblait curieux d'évoquer la «soumission» de la requérante pour conclure qu'elle n'adhérait pas aux valeurs républicaines. «Si on poussait la logique jusqu'au bout, les femmes battues, par exemple, ne seraient pas dignes d'être françaises», a indiqué la juriste en relevant que la décision survenait dans un contexte de «stigmatisation de l'islam».

Le Conseil français pour le culte musulman (CFCM), qui était demeuré silencieux sur le sujet, a indiqué hier que la décision du Conseil d'État ne devait «en aucun cas être le prétexte pour stigmatiser les musulmans de France ou mettre à l'index la pratique religieuse musulmane en se focalisant sur ses manifestations les plus visibles».