Enlevée pendant la campagne présidentielle de 2002 en Colombie, Ingrid Betancourt va-t-elle reprendre sa carrière là où elle l'avait laissée? Certains la voient déjà succéder à Alvaro Uribe en 2010 mais l'ex-otage des FARC tempère leurs ardeurs, sans pour autant cacher qu'elle reste avant tout une forte femme politique.

«Est-ce que j'aspire toujours à servir la Colombie comme présidente? (...) Dieu seul le sait. Pour l'instant, je veux juste me sentir comme un soldat colombien de plus qui sert son pays», a déclaré l'ancienne sénatrice verte, émergeant mercredi soir de six ans de captivité aux mains des Forces armées révolutionnaires de Colombie.

À son élection au Parlement en 1998, Ingrid Betancourt était considérée comme la sénatrice la plus populaire du pays. Et sa cote a grimpé de 24% d'opinions positives en décembre 2001 à 71% en mars dernier, selon des sondages Gallup qui la placent juste derrière Alvaro Uribe. Auréolé de ses succès contre la guérilla d'inspiration marxiste, l'actuel président cavale au-dessus des 70%, affichant un impressionnant 82% en avril... Et c'était avant la libération des 15 otages.

La Constitution empêche M. Uribe de briguer un troisième mandat en 2010, mais ses partisans le poussent à amender le texte, sachant que sa coalition conservatrice jouit d'une popularité sans égal. Son ministre de la Défense Juan Manuel Santos, qui partage les lauriers de l'opération de mercredi contre les FARC, et un ancien ministre de la Défense, Rafael Pardo, se sont déjà placés sur les rangs.

Depuis qu'Alvaro Uribe a quitté les libéraux de gauche et s'est présenté sous l'étiquette d'indépendant en 2002, le traditionnel clivage gauche-droite est largement dépassé en Colombie. Ancien allié d'Ingrid Betancourt à gauche, Juan Manuel Santos a finalement rejoint la coalition Uribe, tandis qu'en 1998 la Franco-colombienne a formé le parti Vert Oxygène pour entrer au Sénat.

Elle demandait alors un référendum contre la corruption, thème qui reste d'actualité: 10% des 268 élus du Parlement se trouvent derrière les barreaux et 10% font l'objet d'une enquête sur leurs liens avec les milices d'extrême droite. La majorité sont des alliés du président Uribe, lui-même soupçonné de corruption.

Mais si en 2002 Ingrid Betancourt fustigeait la politique de répression militaire d'Alvaro Uribe contre les FARC, prônant pour sa part la négociation, elle qualifie aujourd'hui la réélection du président en 2006 de «très bonne chose pour la Colombie» et a salué la mobilisation de l'armée contre les FARC. À sa descente de l'hélicoptère dans lequel elle venait d'apprendre sa libération, elle portait un gilet et un bob militaires.

Et le général Freddy Padilla qui commandait l'opération a rendu hommage à «son impressionnante lucidité mentale», lui exprimant son «respect». Nombre de Colombiens ont sans doute été surpris de voir l'ex-otage louer une opération «parfaite» et promettre de partager avec l'armée toute sa connaissance des rebelles, un savoir qui, a-t-elle plaisanté, pourrait lui valoir un «doctorat en FARC».

«Avec de tels gestes, elle a mis les soldats dans sa poche», estime Eduardo Chavez, qui fut l'un de ses conseillers de campagne en 2002. À l'en croire, l'ex-candidate n'agit jamais sans mesurer les conséquences politiques: «Il est clair que sa campagne présidentielle continue, avec ou sans Uribe.» «Ce qu'elle fait est très clair», poursuit-il, «elle a eu six ans pour réfléchir à ce qu'elle dirait le jour venu».

Au lendemain de sa libération, Ingrid Betancourt a dit vouloir consulter ses enfants et sa mère sur son avenir professionnel... Avant de se lancer dans un discours aux forts accents politiques sur l'avenir de la Colombie, celui des otages restants et plus largement de tous les otages dans le monde.

«Elle est sortie de l'enfer», souligne Carlos Alonso Lucio, ancien législateur qui a travaillé en étroite collaboration avec cette femme de 46 ans dans les années 1990, pour expliquer ses louanges envers le président et l'armée. «Je ne pense pas qu'elle abandonne (la politique), parce que ce sont les rebelles qui l'en ont éloignée. Elle a tous les droits de poursuivre sa carrière», estime-t-il. Quant à l'analyste politique Rafael Nieto, il suggère une piste inédite: une alliance Uribe-Betancourt.