Bruce Ivins détenait peut-être la clé d'un mystère qui hante les États-Unis depuis bientôt sept ans. Mardi, le biologiste de 62 ans a emporté ses secrets dans l'au-delà au moment où il allait être inculpé dans l'affaire des lettres empoisonnées au bacille du charbon (anthrax).

Tout en provoquant une psychose nationale, ces lettres avaient causé la mort d'au moins cinq personnes peu après les attentats terroristes du 11 septembre 2001. En absorbant une dose massive de médicaments et de codéine, Bruce Ivins a échappé aux soupçons qui pesaient sur lui.

Son avocat a néanmoins clamé l'innocence de son client hier, tout en précisant qu'il s'était bel et bien suicidé.

«Nous sommes attristés par sa mort et déçus qu'il n'ait pas l'occasion de défendre sa réputation devant la justice», a déclaré Paul Kemp dans un communiqué.

Âgé de 62 ans, Bruce Ivins travaillait depuis plus de 30 ans dans un laboratoire gouvernemental de biodéfense à Fort Detrick, au Maryland. Les enquêteurs avaient fait appel à lui en 2001 pour analyser des échantillons d'une enveloppe envoyée au bureau d'un sénateur à Washington.

Le Dr Ivins était sur le point d'être formellement accusé d'avoir envoyé à des médias et à des responsables politiques une série d'enveloppes et de colis contaminés au bacille du charbon. Il avait été informé de l'imminence de son inculpation.

Selon les médias américains, les enquêteurs du FBI le soupçonnaient d'avoir expédié le courrier contaminé dans le cadre d'une expérience bizarre dont le but était de trouver un vaccin contre le bacille du charbon.

Mort de cinq personnes

Les attaques bioterroristes avaient été déclenchées à partir du 18 septembre. Des lettres anonymes avaient été expédiées à des journalistes du New York Times, du St. Petersburg Times<'/i> et de la chaîne NBC, entre autres. Une autre vague d'attaques avait ciblé des membres du Congrès.

Cinq personnes, dont deux employés de la poste, avaient perdu la vie après avoir été empoisonnées. Dix-sept autres étaient tombées malades.

Certaines lettres contaminées comportaient des messages laissant croire que leurs auteurs étaient des islamistes radicaux. L'une d'elle disait: «Mort à l'Amérique. Mort à Israël. Allah est grand.»

Dans la foulée des attentats terroristes, des journalistes, s'appuyant sur des sources gouvernementales anonymes, avaient établi un lien entre les attaques au bacille du charbon et l'Irak, où Saddam Hussein avait déjà produit ce poison. Des faucons avaient invoqué ce lien présumé pour exhorter George W. Bush à renverser l'homme fort de Bagdad.

Ancien suspect dédommagé

Les enquêteurs du FBI avaient cependant abandonné cette piste et porté leurs soupçons sur un collègue de Bruce Ivins. Steven Hatfill, chercheur, expert en armes biologiques et employé du laboratoire de Fort Detrick, avait été désigné comme suspect au début de 2002 par l'ancien ministre de la Justice, John Ashcroft. Il avait par la suite poursuivi le gouvernement américain pour diffamation.

Il a obtenu gain de cause en juin dernier. L'administration Bush a accepté de lui verser 5,825 millions de dollars en dédommagements (trois millions en argent liquide et 150 000$ par an pendant 20 ans).

Retour sur une psychose

18 septembre 2001

Des lettres contaminées sont expédiées de Trenton, au New Jersey, à des journaux et chaînes de télévision à New York et en Floride. L'une d'elle est adressée à Tom Brokaw, chef d'antenne de NBC.

5 octobre 2001

Le photographe Bob Stevens, de Boca Raton, en Floride, devient la première personne à mourir du bacille du charbon aux États-Unis depuis 1976.

15 octobre 2001

Une lettre contaminée arrive au bureau du chef de la majorité démocrate au Sénat, Tom Daschle.

17 octobre 2001

La Chambre des représentants suspend ses travaux après la découverte de cas de contamination au bacille du charbon.

21 octobre 2001

Décès d'une deuxième victime, Thomas Morris, employé de la poste à Washington.

2 novembre 2001

Après la mort de trois autres personnes et la contamination de plusieurs autres, le directeur du FBI admet que le gouvernement n'a aucune idée de l'origine des attaques.