Quatre juillet, jour de l'Indépendance des États-Unis. Comme toute l'Amérique, la petite communauté de Randolph, au Vermont, célèbre. Mais ce n'est qu'une façade. «On tente d'oublier ce qui se passe. On tente de faire comme si tout ça n'était pas arrivé. Mais c'est impossible», laisse échapper une mère, drapeau américain à la main.

Sur son chandail, un écusson à l'effigie de la jeune Brooke Bennett, 12 ans, retrouvée morte mercredi dans ce bled situé au milieu des montagnes. Le village de 5000 âmes est durement ébranlé par ce drame où s'entremêlent manipulation, pédophilie, inceste et meurtre.

Michael Jacques, l'oncle de Brooke, et Ray Gagnon, ancien beau-père de la jeune fille, ont été formellement accusés au début de la semaine dernière d'avoir agressé sexuellement une autre nièce de Jacques et d'avoir détruit des preuves.

Ils n'ont pour l'instant pas été inculpés du meurtre de Brooke.

Jacques a également été accusé de kidnapping en vertu de la loi fédérale, ce qui signifie qu'il pourrait faire face à la peine de mort.

Pour ajouter à l'horreur, la nièce de Jacques, âgée de 14 ans et partenaire sexuelle des deux hommes, aurait participé de plein gré à la planification de l'enlèvement.

Une histoire sordide

L'histoire a tout d'un film d'horreur et porte à croire que le crime avait été planifié de longue date.

Le 25 juin, Michael Jacques et sa nièce de 14 ans (appelons-la June) font croire à Brooke Bennett qu'ils s'en vont à une fête organisée dans un village voisin. Brooke, afin d'éviter les questions de sa grand-mère, lui raconte qu'elle s'en va rendre visite à un proche qui est hospitalisé.

Ils se rendent en réalité chez Jacques. L'homme demande alors à June de quitter la maison et à Brooke de monter à l'étage. C'est la dernière fois qu'elle sera vue vivante.

Dans des courriels envoyés plusieurs jours avant la disparition de Brooke, June réaffirme à maintes reprises sa volonté de duper son amie. C'est la saison des récoltes», dit-elle à l'ex-beau-père de Brooke, Ray Gagnon, et à Jacques. Elle suggère une façon de kidnapper la jeune fille et dit qu'elle aimerait «voir Brooke souffrir» et voir «comment elle aime ça».

Quelques jours avant les événements, Jacques lui ordonne d'avoir une relation sexuelle avec son copain mineur, d'essuyer son sperme avec un mouchoir et de le mettre dans un sac en plastique. Le mouchoir a été trouvé à proximité de vêtements ayant appartenu à Brooke, quelques jours après sa disparition.

Dans les jours qui suivent l'enlèvement de Brooke, ses agresseurs participent aux recherches pour la retrouver. June raconte aux policiers qu'ils ont déposé Brooke au dépanneur avant d'aller chez Michael Jacques.

Mais elle finit par craquer et explique qu'elle fait en réalité partie de «Breckenridge», un réseau d'initiation sexuelle.

Elle affirme que, à l'âge de 9 ans, elle a reçu un appel téléphonique et un message posé sous son oreiller qui lui indiquaient qu'elle avait été sélectionnée pour un programme de formation sexuelle. Jacques serait son «instructeur». Pour réussir, elle aurait à accomplir divers actes sexuels avec Jacques et d'autres hommes.

L'enquête de la police n'a toutefois permis d'identifier que Ray Gagnon et Michael Jacques, ce qui laisse croire que la jeune fille aurait été bernée par son oncle.

Une communauté ébranlée

La disparition le 25 juin de Brooke Bennett, une adolescente souriante aux grands yeux verts, a donné lieu à la plus grande enquête pour enlèvement jamais menée au Vermont. Des centaines de bénévoles de Randolph et des environs ont uni leurs efforts pour retrouver la jeune fille.

Mais mercredi dernier, en matinée, la terrible nouvelle est tombée : le corps de Brooke Bennett, «portant d'évidentes marques de violence» selon la police, a été déterré à quelques centaines de mètres de la résidence de Jacques.

Son oncle, «un homme qu'elle adorait», selon sa grand-mère, avait déjà été reconnu coupable d'agression sexuelle grave en 1993. Il figure au registre des délinquants sexuels de l'État. À l'exception de sa femme, Denise, sa famille ignorait tout de son passé.

«Elle est avec Dieu, maintenant. Elle ne souffrira plus des choses horribles que lui a fait subir ce salaud. Que Dieu la protège», murmure Lucinda Milne, la grand-mère de Brooke.

La dame frêle aux traits tirés fait bien plus que ses 58 ans. Elle habitait avec Brooke, sa soeur et sa mère, dans une modeste maison mobile grise.

Toujours appuyée au mur, la bicyclette de Brooke, comme si le drame n'avait jamais eu lieu.

Fraîchement plantés, des hortensias mauves ornent le terrain. «C'était sa couleur préférée. Je ne sais plus de qui ça vient. On me les a offerts en sa mémoire. C'est mon monument à ma petite Brooke.»

«Je donnerais n'importe quoi pour l'entendre à nouveau envoyer cette foutue balle contre le mur de la roulotte. Elle jouait à la crosse et c'est comme ça qu'elle s'exerçait. Ça me rendait folle. Mais ça me manque terriblement, maintenant.»

L'espoir a laissé place au choc et à la désolation, à Randolph. Les habitants ont encore fraîche à la mémoire l'agression sexuelle et le meurtre violent d'une jeune femme en 2003.

«On dit que ça n'arrive qu'aux autres. Mais c'est faux. Ça nous arrive à nous, encore une fois», dit Jon Larson, un pompier de Randolph qui tenait un portrait de Brooke à bout de bras durant le défilé du 4 juillet.

«Je me fous de ses droits. Jacques pourrait être condamné à la peine de mort. Je le lui souhaite. Celui qui fait mal à un enfant ne mérite tout simplement pas de vivre.»

Joe Dezan est père de huit enfants et habite juste en face de chez Michael Jacques. Ses enfants allaient fréquemment jouer et se baigner chez les Jacques, qui ont une piscine et une balançoire.

«Nous sommes morts de honte», dit-il.

Quand elle a appris que Brooke manquait à l'appel, la femme de Joe Dezan est allée consulter le registre des délinquants sexuels de l'État du Vermont, sur l'Internet.

«J'étais dehors à jouer avec mon garçon de 3 ans quand ma femme a lancé un cri. Elle m'a dit qu'elle avait quelque chose à me montrer, de venir voir immédiatement.» Michael Jacques était là, à l'écran, sur le site des délinquants sexuels.

«Quand j'ai vu ce qu'il avait fait à sa première victime, j'ai été abasourdi. Je suis content qu'il soit accusé au fédéral. La justice au Vermont est trop clémente. Il ne mérite que la peine de mort.» Mais la grand-mère de Brooke, elle, ne souhaite pas la peine capitale aux deux hommes. «Je suis et j'ai toujours été en faveur de la peine de mort.

«Mais je ne veux pas que ça leur arrive. C'est trop facile. Je veux que Michael Jacques et Ray Gagnon aillent en prison. J'ai entendu tout plein d'histoires au sujet de choses qui arrivent aux gens de leur espèce, une fois qu'ils sont en prison», dit Lucinda Milne, un demi-sourire sur les lèvres. «Ce n'est certainement pas la mort qui rendrait justice à Brooke.»

Chronologie des événements

Mercredi 25 juin

La grand-mère de Brooke Bennett, 12 ans, avise la police de l'état du Vermont (VSP) de la disparition de sa petite-fille, 12 heure après que son oncle Michael Jacques l'eut prétendument déposée au dépanneur du coin.

Jeudi 26 juin

Dès l'aube, des affiches «Brooke come home» font leur apparition à Randolph, un village de 5000 âmes.

Vers 11 h, la police lance un avis de disparition. Certains vêtements appartenant à Brooke sont retrouvés grâce à la participation de Michael Jacques.

À 15 h 30, un porte-parole de la police affirme que Brooke communiquait par internet avec un étranger et que la rencontre au dépanneur aurait en fait été une ruse. Une alerte AMBER, lancée quand un enfant est porté disparu et qu'on craint pour sa vie, est déclenchée.

Vendredi 27 juin

L'enquête prend de l'ampleur: sept agents du FBI, deux équipes canines, le laboratoire médicolégal du Vermont et les agents des services frontaliers américains s'ajoutent aux 30 enquêteurs déjà sur la brèche.

Une rumeur annonçant la mort de Brooke circule dans le village, après que des plongeurs eurent fouillé un étang. D'autres rumeurs circulent quant à l'implication de Jacques dans la disparition de la fillette.

Samedi 28 juin

La police du Vermont indique qu'elle étudie plus de 150 pistes et qu'elle procède à des «fouilles approfondies de certains terrains», en plus d'analyser le contenu d'ordinateurs, sans préciser à qui ils appartiennent.

Dimanche 29 juin

La police annonce que Michael Jacques a été arrêté et accusé d'agression sexuelle grave sur une mineure autre que Brooke. On apprend qu'il avait déjà été reconnu coupable d'agression sexuelle en 1993 et qu'il est inscrit au registre des contrevenants sexuels de l'état.

Lundi 30 juin

Jacques comparaît en cour. Depuis cinq ans, il agressait sexuellement chaque semaine une autre de ses nièces. La victime, désignée par les initiales «A. J.», a actuellement 14 ans.

L'adolescente affirme qu'elle fait partie d'un «programme de formation sexuelle» appelé Breckenridge et que d'autres mineures et au moins deux autres hommes en font partie. La police ne confirme pas l'existence d'un réseau de pédophilie.

Mardi 1er juillet

L'ancien beau-père de Brooke, Ray Gagnon, est arrêté. Il fait face aux mêmes accusations d'agression sexuelle grave sur une mineure. Mais il ne comparaît pas, car on l'accuse d'entrave à la justice. Il aurait cherché à détruire des éléments de preuve concernant la disparition de Brooke.

Mercredi 2 juillet

Une manifestation silencieuse pour le retour de Brooke est prévue à 20 h au centre du village. Mais, quelques heures auparavant, la nouvelle tombe: on a retrouvé le corps de la victime, enterré sur un terrain à proximité de la maison de Jacques. Le corps porte d'évidentes marques de violence.

La manifestation se transforme en service commémoratif : plusieurs centaines de résidants de Randolph et des environs investissent la rue principale du village.

Jeudi 3 juillet

Michael Jacques est accusé de l'enlèvement – mais pas du meurtre – de sa nièce. Puisqu'il est accusé au fédéral, il pourrait faire face à la peine de mort s'il est reconnu coupable de kidnapping causant la mort.

Vendredi 4 juillet

De nombreux participants au défilé annuel du 4 juillet arborent des banderoles ou des macarons à la mémoire de Brooke. On procède à l'autopsie de Brooke Bennett.

Samedi 5 et dimanche 6 juillet

L'enquête se poursuit.