Un peu d’histoire
L’Express servait ses premiers clients le 19 décembre 1980, avec pour cible les artistes et autres travailleurs du théâtre, ainsi que leurs spectateurs. François Tremblay, Colette Brossoit et Pierre Villeneuve en étaient les fondateurs. On dit souvent que l’équipe voyait son restaurant comme un « service public » : « fiable, réconfortant, accueillant, peu importe l’heure », est-il écrit sur le site.
Et on connaît la suite. Pendant des années, les portes ont été ouvertes sept jours, matin, midi, soir et même la nuit, ne fermant qu’à 3 h. Après la COVID-19, le petit-déjeuner n’a pas repris. Le restaurant a rouvert cinq jours par semaine, six depuis peu, bientôt sept, si la main-d’œuvre se maintient. « Ça commence à sentir les dimanches ! », confirme Mario Brossoit (frère de Colette, morte en 2014). La cuisine et la salle ferment une heure plus tôt qu’avant. Il reste que de pouvoir commander un saumon au cerfeuil à minuit et demi est une chose bien rare dans la métropole.
C’est en 2016 que Jean-François Vachon, un ancien des Caprices de Nicolas, du Club des pins et du M sur Masson, entre autres, a pris les commandes de la cuisine, à la place d’un Joël Chapoulie retraité. Ce dernier avait donné trois décennies de loyaux services. Comme bien des chefs français, il était arrivé à Montréal pendant Expo 67. Aujourd’hui, c’est presque au péril de sa vie que M. Vachon peut apporter des modifications au mythique menu développé par M. Chapoulie et proposer de nouveaux plats ! Mais jusqu’ici, tout va très bien.
La direction de L’Express est maintenant assurée par Hélène Dansereau, Pierre Villeneuve et l’infatigable Mario Brossoit, qui alimente toujours la superbe carte des vins de l’endroit. Ne cherchez pas le fameux barman Monsieur Masson. Il a servi son dernier martini juste avant la COVID-19 et profite de sa retraite bien méritée.
L’expérience
L’Express est source d’allégresse pour ceux et celles qui y ont des habitudes de longue date. Les fidèles ont leurs plats préférés que la cuisine serait bien mal avisée de faire disparaître : potage à l’oseille, os à moelle, mousse de foies de volaille, tartare, foie de veau, rognons, etc.
Pour ma part, ça remonte à l’enfance, quand ma mère et moi faisions l’occasionnel voyage à Montréal, depuis la capitale fédérale où nous habitions. C’est dans la salle aux murs et plafond lustrés et au mythique quadrillé noir et blanc, œuvre du regretté architecte Luc Laporte, que j’ai découvert le chèvre chaud, le céleri-rémoulade et les petits cornichons français. On mangeait aussi les raviolis et le steak-frites. J’y ai appris l’existence de ces petits volatiles délicieux que sont les cailles. Bref, L’Express a été une de mes premières « écoles » culinaires.
À l’exception du chèvre, qui est aujourd’hui emballé dans de la pâte kataifi (ces cheveux d’ange avec lesquels on fait aussi un dessert semblable aux baklavas) plutôt que d’être posé sur des croûtons, comme je le préférais (nostalgie quand tu nous tiens !), mes « madeleines de Proust » sont demeurées à peu près intactes. La sauce des raviolis est toujours aussi délicieusement collante de collagène, tant elle a été réduite. Les cailles toutes dorées reposent comme avant sur un lit de riz sauvage, avec leurs petits œufs cuits durs.
Mon amoureux, qui a encore plus que moi grandi avec cette cuisine, dans l’Hexagone, a profité de l’excellente réputation de la maison pour commander les rognons. Plat « brun » s’il en est, avec ses champignons, ses cubes de pommes de terre rôties bien fondants et sa riche sauce moutarde, l’abat remplit parfaitement sa mission de réconfort. Le dessert, un généreux baba au rhum, était aussi une plongée dans les souvenirs d’enfance pour lui, avec sa texture impeccablement spongieuse. Au premier service, il s’était laissé tenter par les délicats harengs fumés des Îles-de-la-Madeleine, servis sur une petite salade crémeuse de légumes en dés.
Peut-on, en 2023, toujours apprécier L’Express, même quand ses codes ne nous sont pas familiers ? Certaines personnes détestent, mais la grande majorité en redemande. L’éclairage vif, le son des assiettes qui s’entrechoquent, le vieux téléphone à cadran qui sonne, le classicisme de la cuisine et le service costumé centré sur l’efficacité en font une maison tout à fait unique de nos jours.
À propos du service, d’ailleurs, les membres de l’équipe de salle sont de vrais de vrais guerriers. Ils et elles ont des yeux tout le tour de la tête. Une serviette tombée par terre est aussitôt remplacée, le verre d’eau n’est jamais vide, les couverts sont changés à chaque service sans même qu’on s’en rende compte.
Un restaurateur qualifiait récemment L’Express de « caisse de résonance », où l’expérience du restaurant est amplifiée par son côté historique, quasi muséal, mais loin d’être figé. Lorsque je parcours la salle bien vivante du regard, un mardi soir où le restaurant fait comme toujours salle comble, je suis frappée par l’éclectisme de la clientèle. Il y a des familles, des personnes seules au zinc, des couples, un petit groupe de jeunes hommes casquettés à la dégaine bien urbaine, d’apparents touristes, des vieux de la vieille, etc.
Quant à l’accessibilité qui était si chère aux fondateurs, elle est toujours d’actualité, malgré la flambée des prix d’à peu près tout. Si on n’a pas les moyens (ou l’envie) de se gâter avec entrée-plat-dessert et un grand cru de Bourgogne pigé sur la carte des vins parallèle, on peut encore très bien commander un croque-monsieur avec frites ou une quiche pour 17,25 $ et un verre de vin à 7,75 $. Service public bien rendu !
3927, rue Saint-Denis, Montréal
Consultez le site de L’Express