La critique de restaurants prend un nouveau virage à La Presse. Comme toujours, nos critiques visitent les établissements anonymement et vous racontent leur expérience en soulignant les bons et, parfois, les moins bons coups. Mais nous vous expliquons désormais le choix d’un restaurant ou d’un autre. Nous vous présentons aussi l’équipe en salle et en cuisine. Cette semaine : Kamúy.

Pourquoi en parler ?

Kamúy a ouvert ses portes l’été dernier au cœur même de la place des Festivals, dans la boîte de verre qui accueillait autrefois la Taverne F du groupe Ferreira. Ce fut une belle parenthèse festive entre deux vagues. Le restaurant a fermé d’octobre à juin. Maintenant qu’il est de nouveau en activité, on vous le présente en bonne et due forme.

Il y a quelque chose de symbolique à installer une cuisine pancaribéenne, dont le chef est d’origine haïtienne, en plein cœur de la ville. Souvent cantonnés aux quartiers excentrés, en format boui-boui, les parfums des îles et des côtes de la mer aux eaux turquoise ont une chance de rayonner comme jamais.

Pour ce faire, le chef Paul Toussaint a élargi son répertoire de plats haïtiens tels qu’il les proposait au tristement défunt restaurant Agrikol, pour inclure des accents culinaires d’Amérique latine, de Guadeloupe, de Martinique, etc. Ici, on est davantage dans l’influence et la fusion que dans la tradition. Le délicieux tamal (Mexique, Colombie), par exemple, est farci au cari de chèvre (Jamaïque) et accompagné d’une sauce au coco.

Qui sont-ils ?

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Sydney Emmanuel Duclervil (à gauche) est le chef de cuisine du Kamúy, depuis sa réouverture. Paul Toussaint, tête d’affiche du restaurant, chef exécutif et copropriétaire, s’active surtout en salle.

Paul Harry Toussaint a étudié la cuisine au Québec et l’a enseignée en Haïti. Il a travaillé au Toqué ! puis dans un hôtel de luxe à Port-au-Prince. C’est à son retour à Montréal, en 2017, qu’il a pris les commandes de la cuisine de l’Agrikol, appartenant à Win Butler et à Régine Chassagne du groupe Arcade Fire. À l’invitation de la Ville de Montréal, « chef Paul » a déménagé son talent et renoué avec sa créativité au cœur de la place des Festivals. Mais c’est surtout en salle qu’on peut le voir s’activer, ces jours-ci, pour répandre sa bonne humeur, un verre de Chef Paul’s Sour à la main. L’entrain du patron est contagieux. Notre excellent serveur de la semaine dernière était lui aussi tout sourire et attentionné.

Pendant la fermeture de huit mois, Kamúy a malheureusement perdu ses deux chefs de cuisine, qui demeurent néanmoins associés au projet. L’une des deux, Ana Castillo, est partie travailler dans une ferme de Hawkesbury. Elle fournit maintenant le restaurant en beaux légumes et devrait être de retour aux fourneaux en novembre. Le chef de cuisine du moment est Sydney Emmanuel Duclervil, un ancien du Toqué ! et du H4C.

Notre expérience

Depuis l’ouverture l’été dernier, nous avons mangé chez Kamúy trois fois, dont deux en plein festival (Présence autochtone et Francos). Mieux vaut se renseigner sur la programmation du soir en faisant la réservation, car le restaurant est situé presque au pied de la scène. On vient ici pour une ambiance exubérante. Même sans concert, l’endroit est festif. L’intérieur est souvent animé par des DJ, le week-end. Couples ou amis à la recherche d’une petite soirée tranquille s’abstenir.

À l’accueil, l’hôtesse prépare d’ailleurs la clientèle à vivre une « expérience ». Elle attire l’attention sur les nombreuses œuvres d’artistes d’origine haïtienne qui occupent les lieux, dont celles d’Oski (Olivier Vilaire), le directeur artistique des lieux, de Jean-Eddy Rémy, de Darwin Doleyres, entre autres. Le Kamúy fait aussi galerie.

  • En tapas, le griot, servi avec plantain frit bien doré et pikliz, est un classique incontournable.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    En tapas, le griot, servi avec plantain frit bien doré et pikliz, est un classique incontournable.

  • Le poisson passion est un des plats les plus originaux du menu : loup de mer poêlé, beurre blanc au fruit de la passion, gourganes, poireau et cresson.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Le poisson passion est un des plats les plus originaux du menu : loup de mer poêlé, beurre blanc au fruit de la passion, gourganes, poireau et cresson.

  • De nombreuses œuvres d’artistes d’origine haïtienne décorent les lieux, dont cette photo de Darwin Doleyres.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    De nombreuses œuvres d’artistes d’origine haïtienne décorent les lieux, dont cette photo de Darwin Doleyres.

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Naturellement, la nourriture est un élément essentiel de l’« expérience ». Le menu comprend une section tapas. Ceux-ci font office d’entrées ou de plus petits plats à marier afin de composer un repas complet, si l’appétit est plus léger.

Le griot est la plus traditionnelle des propositions, avec ses bananes pesées (plantain frit) et son pikliz, condiment haïtien s’apparentant à une salade de chou relevée. Ici, les cubes de porc braisés puis frits sont à la fois croustillants et moelleux. On ne se casse pas les dents dessus ! La portion est plus raisonnable que dans les comptoirs haïtiens/caribéens de la ville. Chez Paul Toussaint au Time Out Market, par exemple, une montagne de riz aux pois s’ajoute au plat, pour un repas bien, bien copieux.

Parmi les autres tapas notables, il y a le panier de fritay, avec ses beignets et ses sauces diverses. On y trouve les acras de morue et de malanga haïtiens et le carimanola sud-américain. Tout est impeccablement « léger » et souple. Le tamal mentionné plus haut est une belle option pour les amateurs de maïs. La salade de jicama est quant à elle garante de grande fraîcheur. Ça semble justement être la mission du Kamúy que d’alléger et de rendre plus accessibles des cuisines méconnues, pour lesquelles la « gastronomie » manque trop souvent de considération. L’« échantillonnage » met bien en appétit pour découvrir les très nombreuses autres adresses caribéennes de la métropole.

Portions généreuses il y a, aussi, au menu, sous forme de plats principaux. Encore une fois, c’est possible d’opter pour un « classique », soit le poulet jerk signature de Paul Toussaint, ou bien de tenter une fusion particulièrement originale, le poisson passion, une pêche du moment servie avec beurre blanc au fruit de la passion, gourganes, poireau, cresson et mofongo (plantain frit en purée texturée). Le Lomo al trapo, un filet de bœuf grillé sur purée de patate douce montée au beurre, avec mélange de légumes racines, sauté de champignons et chimichurri, est sans doute le plus copieux des plats.

Pour clore le repas sur une note sucrée, les amateurs de desserts fruités et les inconditionnels du chocolat sont aussi bien servis les uns que les autres. Le piña colada marie ananas et noix de coco de manière harmonieuse. Le moelleux au chocolat Makaya, marque haïtienne, est une belle version d’un indémodable, avec sa mousse de caramel salé et tuile de piment.

Dans notre verre

Ici, le cocktail est roi. Plusieurs des créations élaborées en consultation par Valérie Chagnon comportent du rhum comme spiritueux principal. On ne se trompe jamais avec un Ti-punch. Les adeptes d’amertume apprécieront l’Exu negroni, à base de rhum au beurre noisette. Clin d’œil aux Caraïbes mexicaines, le mezcal entre aussi dans la composition d’un rafraîchissant Daisy. Les amateurs de cocktails plus tropicaux apprécieront le Corossol Colada. Côté vin, une demi-douzaine d’options sont proposées au verre. Nous avons bu un excellent Cerasuolo d’Abruzzo (rosé) du domaine Ausonia. À la bouteille, il y a du choix, entre le sancerre classique et le « vin orange » polonais complètement champ gauche. C’est Xavier Richard-Paquet qui veille sur l’éclectique carte. La « kat chèf la », cave personnelle du chef composée de grands crus, est également disponible.

Combien

Les tapas coûtent de 11 à 17 $. On peut facilement en prendre quelques-uns et s’en faire un repas. Les plats vont du cari végétarien à 18 $ au filet de bœuf à 38 $. Les amateurs de sucré seront satisfaits pour de 10 à 12 $. Les cocktails coûtent de 12 à 16 $.

Détails notables

On voit souvent de grandes tablées familiales au Kamúy. L’endroit étant particulièrement festif, il est mieux adapté aux sorties de groupe qu’aux soupers de couple romantiques.

Information

Ouvert du mercredi au dimanche soir, de 17 h à 22 h. Du vendredi au dimanche, la formule « tapas lannwit » (lannwit = la nuit en créole !) est proposée de 22 h 30 à minuit.

1485, rue Jeanne-Mance, Montréal

Consultez le site du Kamúy