(New York) New York a été frappé de plein fouet par la COVID-19, et le milieu de la restauration a beaucoup souffert : fermetures, chômage, puis pénurie de personnel… Malgré le chaos, Daniel Boulud et le couple Patricia Howard-Ed Szymanski ont chacun ouvert un restaurant tout en s’impliquant dans leur communauté. Notre journaliste est allée à leur rencontre.

« Je n’ai pas eu une seule journée de congé depuis le début de la pandémie », lance Daniel Boulud. Nous le rencontrons dans la salle à manger de son nouveau restaurant, Le Pavillon (dont l’ouverture était à l’origine prévue pour 2020), un espace magnifique situé dans l’immeuble One Vanderbilt, voisin de Grand Central Station. Autour de nous, une abondance de plantes vertes et beaucoup de lumière naturelle grâce à l’immense verrière par laquelle on aperçoit le majestueux Chrysler Building.

PHOTO NATHALIE COLLARD, LA PRESSE

Le restaurant Le Pavillon, à New York

C’est le septième restaurant qui porte la signature Boulud à New York. Le chef double étoilé Michelin en a perdu un seul durant la pandémie, Café Boulud, victime de la faillite de l’hôtel Surrey dans lequel il logeait. Il faut dire que Boulud est une grosse entreprise avec des partenaires aux poches profondes. Reste que lui et son équipe sont passés de 800 employés à une douzaine de personnes au plus fort de la crise.

À la fin, il restait le CEO, le CFO, le COO… Peu importe le poste, tout le monde a dû faire autre chose. Le mot d’ordre était : si tu sais emballer un sandwich, emballe un sandwich !

Le chef Daniel Boulud

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DU RESTAURANT LE PAVILLON

La salle à manger du restaurant Le Pavillon est baignée de lumière naturelle.

Des chefs qui travaillent avec lui depuis 25 ans se sont retrouvés au chômage du jour au lendemain. « Ça m’a arraché le cœur, avoue-t-il. On a tout de suite créé une fondation, Hand in Hand, en faisant appel à tous ceux qui nous avaient demandé comment ils pouvaient nous aider. » Daniel Boulud a pu bénéficier d’un formidable appui de sa fidèle — et riche — clientèle à qui il a même livré des repas préparés durant l’été, dans les Hamptons. « Nos clients se sont montrés très généreux », reconnaît-il. Classes de maître en ligne, collecte de fonds, Daniel Boulud a amassé des centaines de milliers de dollars qui lui ont permis de verser un salaire et de payer les assurances de plusieurs employés pendant un an.

  • PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DU RESTAURANT LE PAVILLON

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Il a également mis l’épaule à la roue pour aider sa ville. « New York avait fait venir des infirmières de partout au pays, et il fallait les nourrir. On a préparé 17 000 repas avec le chef José Andres et World Central Kitchen. »

Le chef et ses brigades ont également cuisiné pour City Meals on Wheels, un organisme dont il est coprésident, ainsi que pour le personnel de l’hôpital Cornell.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DU RESTAURANT LE PAVILLON

Pour la décoration de la salle à manger du restaurant Le Pavillon, on a misé sur une abondance de plantes vertes.

De la pandémie, je retiendrai surtout le mot « solidarité ». Tout le monde mettait sa santé en jeu et, dans un sens, sa famille en danger pour aider. Ce fut une grande leçon.

Le chef Daniel Boulud

Le chef d’origine lyonnaise avoue toutefois avoir trouvé difficile de voir certains employés de longue date quitter le navire durant la pandémie. « Nous étions comme une grande famille, et il y a eu un éclatement, dit-il. Je comprends que certaines personnes ont profité du confinement pour réfléchir à ce qu’elles souhaitaient faire de leur vie, mais celles qui ont abandonné New York, ça m’a vraiment fait quelque chose. On a essayé de ramener le plus de monde possible. Aujourd’hui, nous en sommes à 350 employés. Notre mission n’est pas terminée. »

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DU RESTAURANT LE PAVILLON

Un secteur à revaloriser

Ouvrir un restaurant alors que New York émerge à peine d’une pandémie et que le tourisme de haut de gamme n’a pas encore repris, c’est quand même un acte de foi, non ? « La réponse est très bonne, on voit que les gens dépensent, veulent se faire plaisir », assure Daniel Boulud.

Ils boivent de bons vins, ils veulent retrouver une certaine indulgence et se rattraper pour tous les anniversaires ratés.

Le chef Daniel Boulud

PHOTO SHANNON STAPLETON, ARCHIVES REUTERS

Le 19 mai dernier, Daniel Boulud inaugurait son nouveau restaurant, Le Pavillon, dans l’édifice One Vanderbilt.

D’autres signes font dire au célèbre chef que la vie des restaurants reprend doucement son rythme à New York : « Les gens commandent moins de repas à la maison, les concierges des hôtels nous rappellent. Quand l’art et la culture vont reprendre, que Broadway va rouvrir, on saura que tout ça est derrière nous. »

Mais la réalité a changé en un an. Plusieurs établissements ont fermé, et les autres peinent à trouver du personnel. « C’est le même problème partout, confirme-t-il. Paris, Singapour, ici… Chez beaucoup de gens, cette pause a suscité une réflexion. Il faudra revaloriser ce métier. » Mais en vrai New-Yorkais, Daniel Boulud voit aussi un côté positif à cette épreuve. « Il y a des nouveaux projets, de nouvelles opportunités. »

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DU RESTAURANT LE PAVILLON

Il y a des plantes partout dans la salle à manger du restaurant Le Pavillon qui est baigné d’une belle lumière naturelle.

La restauration autrement

À quelques kilomètres de là, rue MacDougal, dans Greenwich Village, un jeune couple incarne parfaitement cette « opportunité » dont parle Daniel Boulud. Patricia Howard et Ed Szymanski ont à cœur de faire les choses différemment en restauration. Ils rêvaient d’ouvrir un resto de style british. Puis la pandémie est arrivée. Ils ont donc ouvert un restaurant pop-up, Dame Summer Club, où ils ont servi des fish and chips pour emporter durant un an. Le plan ? Amasser des fonds pour ouvrir leur premier vrai restaurant. Leur fish and chips a fait fureur à New York, et le bouche-à-oreille a transformé l’aventure en véritable succès. Et depuis juin, ils ont enfin leur vrai restaurant, Dame, à la porte d’à côté. Ils ont transformé leur premier local en épicerie. « L’espace ici n’était pas notre premier choix, mais il s’est libéré et on a sauté sur l’occasion », confie Patricia Howard, 30 ans, qui nous accorde une entrevue tout en assurant le service aux tables. Son compagnon, Ed Szymanski, 28 ans, est aux fourneaux.

Nous sommes vendredi soir, il est seulement 18 h, et le restaurant, qui a plus que doublé sa surface grâce à une immense terrasse, est déjà fort occupé. Il faut dire que Dame, avec sa spécialité de fruits de mer, a été encensé par plusieurs critiques, dont celle de Eater, qui a accordé au couple le prix de la Nouvelle garde en restauration.

PHOTO GETTY IMAGES

Howard et Szymanski font partie d’une nouvelle génération de restaurateurs qui souhaite revoir l’organisation du travail et le partage des bénéfices avec les employés. En plus du restaurant, le couple a mis sur pied un incubateur pour encourager les projets de son personnel. Il est également très impliqué dans la communauté.

Nous avons participé à l’effort collectif pour faire vacciner le plus de personnes possible dans le milieu de la restauration. La sécurité de nos employés est importante pour nous.

Patricia Howard, copropriétaire de Dame

  • Avec la pandémie, les terrasses de restaurant se sont multipliées sur l’île de Manhattan. La terrasse du Dame, rue MacDougal, a doublé la capacité du petit restaurant de Greenwich Village.

    PHOTO ALEX STANILOFF, EATER, FOURNIE PAR LE RESTAURANT DAME

    Avec la pandémie, les terrasses de restaurant se sont multipliées sur l’île de Manhattan. La terrasse du Dame, rue MacDougal, a doublé la capacité du petit restaurant de Greenwich Village.

  • La salle à manger du restaurant Dame, dans Greenwich Village

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DU RESTAURANT DAME

    La salle à manger du restaurant Dame, dans Greenwich Village

  • Patricia Howard et Ed Szymanski, propriétaires du restaurant Dame

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DU RESTAURANT DAME

    Patricia Howard et Ed Szymanski, propriétaires du restaurant Dame

  • PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DU RESTAURANT DAME

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Le couple a également amassé des fonds pour les communautés PANDC (personnes autochtones, noires et de couleur), en plus d’offrir son espace pop-up à des amis restaurateurs tous les dimanches durant l’été 2020.

Les restaurants de New York ont peut-être subi les contrecoups de la COVID-19, mais Daniel Boulud avait raison : cette crise apportera aussi du bon.