À quoi ressembleront les restaurants de demain ?

Je pose la question à gauche et à droite depuis quelque temps à des chefs et restaurateurs avec qui je converse sur Instagram en direct.

Les réponses vont dans tous les sens.

La réalité est encore trop changeante.

Il y a trois semaines, les masques n’étaient pas si cruciaux. Maintenant, ils sont essentiels. Comment, me demandait récemment un clairvoyant collègue, va-t-on manger avec ça ?

La situation que vit la restauration actuellement est absurde du début à la fin. On lui propose de chercher à survivre dans un contexte viral qui attaque tous les principes du plaisir lié à manger dans ses établissements : être proches les uns des autres, partager des plats, porter tout à sa bouche…

Les restos auront-ils des plaques en plexi entre les convives ? Des maisonnettes de verre pour chaque table ?

Pas le scénario le plus crédible, croient les restaurateurs, même si la distanciation oblige à réfléchir à l’isolement physique des clients.

PHOTO EVAN VUCCI, ASSOCIATED PRESS

Will Guidara (à droite), ancien copropriétaire du restaurant new-yorkais Eleven Madison Park, et pilote d’une coalition
de restaurants indépendants en quête d’aide gouvernementale, la Independant Restaurant Coalition, formée depuis le début de la crise. À gauche, Ivanka Trump.

La réponse la plus porteuse qui m’a été donnée vient de Will Guidara, ancien copropriétaire du grand restaurant new-yorkais Eleven Madison Park, et pilote d’une coalition de restaurants indépendants en quête d’aide gouvernementale, la Independant Restaurant Coalition, formée depuis le début de la crise.

« Les gens qui sortent essentiellement pour consommer de la nourriture ? Il y en aura de moins en moins », croit-il.

Par contre, ce qu’il voit à l’horizon, ce sont des gens en quête d’émotions. Les mêmes qu’avant.

« Les gens vont chercher des expériences, m’a-t-il dit en entrevue. Et cela ne veut pas nécessairement dire haute cuisine. » Cela veut dire, a-t-il enchaîné, « que la soirée où ils sortiront au restaurant devra être meilleure que les autres ».

Le restaurateur est convaincu que la clientèle des restaurants existe encore.

Les gens veulent s’habiller, se maquiller, sortir ! Mais si c’est juste une fois par semaine ou par mois, il faudra que ça vaille la peine.

Will Guidara

Donc, c’est à partir de cette prémisse et en tenant compte des restrictions qui existeront qu’il faudra reconstruire.

Et non pas reconstruire en partant des contraintes pour ensuite essayer de mettre quelque chose dans la boîte. Une boîte probablement aseptisée.

« Des restaurants, dit Guidara, ce sont d’abord et avant tout des lieux qui donnent la chance aux gens de connecter entre eux, autour d’une table. »

Mais justement, comment auront lieu ces rencontres si les rapprochements physiques sont impossibles à court, voire à moyen terme  ?

« Je n’ai pas la réponse », dit-il.

Mais il faut commencer par les sentiments. Et aller vers la logistique ensuite.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Vanya Filipovic, copropriétaire du Vin Mon Lapin

Vanya Filipovic, copropriétaire du Vin Mon Lapin, a décidé quant à elle, avec son équipe, que le restaurant n’ouvrirait pas tant que la situation médicale ne permettra pas de rouvrir dans des conditions proches de ce qui existait pré-COVID-19. L’espace est trop petit pour penser être rentable avec des clients à deux mètres les uns des autres.

Pour le moment, le restaurant s’est transformé en cantine qui prépare du prêt-à-manger à emporter, Casgrain BBQ. Plusieurs autres ont fait la même chose, je pense notamment au Alma à Outremont qui est devenu le Tinc Set, spécialiste du poulet grillé et des churros.

* * *

Ce que le virus demande aux restaurateurs, c’est d’essayer de servir les besoins de deux clientèles en même temps, m’a expliqué Bertrand Grébaut, du Septime à Paris, en entrevue.

La clientèle qui a envie de retourner manger au restaurant le plus vite possible et est prête à vivre avec des contraintes et du risque. Et la clientèle qui ne veut pas courir de risque et préfère rester à la maison, mais manger quand même la nourriture de restaurants sympathiques.

On demande donc aux restaurateurs d’avoir deux entreprises : un restaurant traditionnel et un fournisseur de plats pour emporter. Certains choisiront l’un ou l’autre, ou les deux.

Mais il est clair qu’à part du côté des très grands étoilés et autres, où les tables sont déjà bien espacées et les prix faramineux, il est difficile d’imaginer bien des établissements trouver la rentabilité en rouvrant avec moins de places assises.

À mon avis, l’été sera celui des pique-niques au parc ou à la campagne.

On commande, on emporte, on s’installe loin les uns des autres, on ouvre une bouteille de bulles. Espérons que la réglementation le permettra.

Déjà, les restaurants en Europe, dans les pays où le déconfinement a commencé et où les restaurants rouvrent petit à petit, les retours se font beaucoup en misant sur les tables al fresco.

Pas un mauvais plan.