Pour un repas en petit ou en grand groupe, de belle qualité, très classique, au DIX30

Je l'ai dit mille fois et peu me l'ont reproché, j'adore Normand Laprise du Toqué !.

C'est un chic type qui a mis en place les bases de la gastronomie québécoise que l'on connaît actuellement, autant en aidant à la formation de chefs exceptionnels - Martin Picard ! Dyan Solomon ! Charles-Antoine Crête ! - qu'en permettant, grâce à ses achats, la mise en place d'une agriculture naturelle à petite échelle de qualité exceptionnelle qui a, par la suite, fait des petits.

Son Toqué ! a été longuement, et pourrait l'être encore, la norme d'excellence canadienne en gastronomie.

Je l'ai dit mille fois aussi : Christine Lamarche, son associée, est une restauratrice exceptionnelle. Sans elle, tout ce dont je viens de parler n'aurait pas pu exister. C'est elle qui tient le fort côté accueil, service, gestion, sur la place Jean-Paul-Riopelle. Le nom de cette femme discrète, efficace devrait lui aussi faire partie de notre culture populaire.

Cette équipe joue un rôle-clé dans l'écosystème de la restauration au Québec. Voire au Canada.

Est-ce que tout ce qu'ils font est toujours parfait ?

Bien sûr que non.

Mais on ne les respecte pas moins pour ça. Et ils continuent, bien sûr, à faire des choses exceptionnelles.

Prenez leur idée d'amener le concept de la Brasserie T ! en banlieue, à Brossard pour commencer.

C'est une excellente idée.

Il y a longtemps qu'on le dit : les couronnes sud et nord de Montréal méritent davantage de restaurants de qualité. La clientèle de ces zones mérite de meilleures tables, soignées, garnies de bons ingrédients, professionnelles, pas nécessairement à la merci de la moindre nouvelle mode.

Et c'est ce que propose la Brasserie T ! au DIX30 de Brossard : la qualité Toqué ! en version brasserie, donc moins chère, moins complexe, plus classique, moins nappe blanche. Le tout dans un écrin architectural soigné, élégant, signé Alain Carle Architectes, les mêmes qui ont signé les boutiques Aesop de Westmount et du Vieux-Montréal, le Monarque, la brasserie Harricana, entre autres.

Ici, caractéristique spéciale : le long comptoir en béton du bar utilise les coquilles de centaines de mollusques consommés par les clients du Toqué !. Sinon, l'espace impressionne par la hauteur des plafonds, la douceur du bois partout, les photos de Dominique Malaterre sur les murs.

Cela dit, le menu, qui est essentiellement le même que celui de la succursale de la Brasserie T ! de la place des Festivals, pourrait être modernisé. Il y a une dizaine d'années que le restaurant a été conçu, on est mûrs pour un petit coup de plumeau, sans pour autant changer le style, bien sûr. Je pense à notre envie à tous de manger plus de légumes, plus léger. Au lieu de nombreuses variations sur le thème de la charcuterie - mousse de foie, rillettes, saucissons, terrines... -, on aimerait plus de légumes. Et des légumes, il y en a des tonnes dans le répertoire des brasseries classiques. On pense au poireau vinaigrette, au céleri rémoulade, à la salade d'endives, aux carottes râpées ou au concombre à la crème... Et il y a moyen de végétaliser les classiques aussi, en préparant des tartares de tomates ou de betteraves, par exemple.

Évidemment, tout dépend des saisons et des produits disponibles. Mais autour de la table, quand j'y suis allée, tout le monde s'est dit la même chose : la clientèle typique de la brasserie, qui n'est pas un ado de 17 ans carnivore, en 2019, aime les légumes. Où sont-ils ?

Ce qu'on a choisi

La poêlée de champignons avec oeuf mollet, justement pour un peu de végétal. Sauf que ce n'est pas une assiette légère. À prendre si vous aimez les plats bien salés, bien marqués par l'umami, ce goût protéiné, profond, que l'on retrouve dans les champignons comme les pleurotes ou les shiitakés. Surtout qu'on dépose le tout sur une sauce brune, un fond, très concentré. L'oeuf ajoute encore plus de richesse. Ouf.

La salade de pommes de terre et d'esturgeon fumé. Mon entrée préférée. Probablement en raison du zeste de citron et de quelques feuilles d'aneth - qui viennent donner juste assez de fraîcheur aux cubes de pommes de terre généreusement liés par une sauce crémeuse. Le tout est agréablement appuyé par le fumé de l'esturgeon du Québec. Une très belle combinaison de textures et de saveurs.

Les légumes d'accompagnement. Je voulais tellement des légumes en entrée que, ne sachant où en trouver, j'ai fini par prendre les légumes d'accompagnement des plats principaux, soit une joyeuse poêlée de légumes racines, avec notamment des carottes encore bien croquantes et de la ciboulette fraîche. Pas compliqué mais sympathique.

En plat principal, le saumon confit avec la salade de fenouil était cuit à la perfection, parfaitement uniformément moelleux et servi avec de fines tranches de fenouil à peine attendries par un peu de vinaigrette et rehaussées par quelques grains de sésame noir.

Moins réussi : le tartare. Frites peu élégantes - pas assez sèches ni croustillantes -, viande noyée dans trop d'acidité, notamment celle de la sauce Worcestershire.

Une coquille Saint-Jacques : encore une fois, on cherche la légèreté, la finesse, dans ce plat classique de pétoncle en sauce ici plutôt marqué par la pomme de terre.

Au dessert, une tartelette au sirop d'érable avec glace au roiboos, une infusion typique de l'Afrique du Sud, m'a plu sans me renverser. J'aime que les desserts soient élégants, précis, bref, pas du tout brouillons comme le sont tant de desserts actuellement. J'aime qu'on ait affaire à de la pâtisserie et non pas un délire d'amateurs de sucré. J'aime que la pâte de la tarte soit bien fine... Mais quand on commande un dessert, on veut être un peu émerveillé par l'équilibre parfait entre le sucre et les parfums du plat et, ici, cette alchimie n'a pas opéré. Est-ce parce que le rapport pâte (trop) et appareil de la tartelette (pas assez) n'est pas juste ? Peut-être. Mais la glace m'a semblé aussi trop froide, trop austère.

Bref, longue vie à la Brasserie T !, mais en espérant que le printemps apportera la fraîcheur, la légèreté et les saveurs que l'on cherche quand on est prêt à payer ce type de prix et quand on va dans le restaurant d'une équipe d'une telle qualité.

9150, boulevard Leduc, suite 102, Brossard (Québec) J4Y 0E3

450-890-0990

https://www.brasserie-t.com/fr/

Notre verdict

On paie : entrées entre 8 $ et 26 $, plats entre 16 $ et 29 $. Desserts entre 7 $ et 9 $

On boit : recherche impeccable pour avoir des crus intéressants à prix variés sur la carte. Aucun lieu commun.

On se sent : immense restaurant, où on peut aller en gang, dans un décor moderne et élégant. Service professionnel. On est dans une classe à part.

On aime : le lieu, le concept, l'équipe.

On aime moins : le menu dont on se dit qu'il pourrait avoir plus de légèreté, de modernité, tout en restant très brasserie.

On y retourne ? Oui, mais pas avant l'été et l'arrivée des légumes frais d'ici.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE