Fut un temps où la meilleure façon de tester resto avant d'y dépenser sa paye était de l'essayer le midi. Le menu est limité et les clients sont pressés, mais justement: un endroit qui réussit à vous enthousiasmer malgré ces contraintes donne envie de revenir le soir. Malheureusement, on a de moins en moins le temps de sortir le midi. Heureusement, il y a maintenant les brunchs.

L'offre pour ce repas de fin de semaine s'est bonifiée de façon impressionnante au cours des dernières années à Montréal. Vous cherchez une véritable cuisine qui aille au-delà des petits-déjeuners convenus, décorés de fruits insipides qui trempent dans la sauce hollandaise? Vous aurez l'embarras du choix.

Depuis ma dernière visite chez Salmigondis au brunch, je cherche un prétexte pour y retourner souper. Les crêpes roulées sur une délicieuse garniture de champignons avaient l'air de cigarettes russes géantes - même perfection cylindrique, même belle teinte dorée à la lisière de la pâte. Les gnocchis frits et l'écume de champignon, non contents d'enjoliver l'assiette, ajoutaient une texture et une saveur peu communes. Les oeufs bénédictine au homard étaient tout aussi remarquables. De bons morceaux de crustacé dans une rémoulade étoilée de fragments de cornichons, un fabuleux pain brioché, des copeaux de céleri, quelques pois mange-tout et un topinambour donnaient une complexité moderne aux oeufs pochés classiques.

Le même désir de provoquer des rencontres entre les ingrédients se retrouve au menu du soir.

Ça donne parfois des résultats un peu déconcertants, comme cette salade composée de touffes de kale servie avec des pistaches caramélisées, des demi-prunes, des amélanches (baies aussi connues sous le nom de saskatoons), de la gelée de pommette et un yogourt à la noisette très dense. Les ingrédients sont bons et ne jurent pas ensemble, sauf qu'ils ne forment pas un tout non plus.

Dans la majorité des cas, par contre, les rencontres sont fructueuses. Le ris de veau extrêmement croustillant et le gros pétoncle saisi jusqu'au point de caramélisation sont deux grands plaisirs de la vie. Leur réunion dans un même plat fait plus que doubler le plaisir.

La feuille de moutarde gai choy et le céleri-rave ne sont pas les premiers faire-valoir auxquels on penserait pour une caille. Le volatile juteux à la peau craquante qui a atterri à notre table s'accommodait cependant très bien de leur présence discrète.

Quant à la composition de l'assiette de maquereau, c'est une invitation au voyage en Europe de l'Est. La chair intense et parfaitement saisie du poisson présente un contraste surprenant avec la saveur douce et la texture lisse des pirojki qui l'accompagnent. Une garniture de fine choucroute rouge apporte une touche de fraîcheur bienvenue à l'ensemble.

Le menu ne comptait que deux desserts. Il pourrait n'en avoir qu'un, pourvu que ce soit ce flan au caramel goûté une première fois à l'été et retrouvé avec bonheur lors d'une récente visite. Un flan crémeux, très foncé mais peu sucré, garni de dés de tire-éponge au goût presque fumé et d'une abondance de pacanes caramélisées un peu salées, qu'on savoure lentement sans toutefois pouvoir s'arrêter.

La cuisine servie ici ne mérite pas un terme péjoratif comme salmigondis, qui désigne un mélange confus de plusieurs éléments. Le mot, en soi, est cependant assez joli. On comprend les propriétaires d'en avoir pris le risque, comme ils le font avec certains mariages non traditionnels en cuisine.

Salmigondis

6896, rue Saint-Dominique, Montréal

514 564-3842

salmigondis.ca

> Prix: Le soir, la plupart des assiettes à partager oscillent entre 13 et 19$, sauf quelques plats entre 25 et 49$. Desserts à 8$. Au brunch, les assiettes vont de 11 à 23$.

> Carte des vins: Courte. Une quinzaine de rouges, une dizaine de blancs, essentiellement de l'Ancien Monde. Propositions de cocktails intéressantes, y compris au brunch.

> Service: De bon conseil le soir, plus hésitant le matin.

> Style: Éclectique moderne

> Décor: Unique dans la Petite Italie. Surfaces claires et meubles bleu foncé, plafond caissonné, éléments rétros et grande toile de Louis Boudreault représentant un Al Capone enfant: l'espace fait penser à un salon de thé à la fois chic et cool. À retenir pour la belle saison: la terrasse arrière cernée de végétation, intimiste à souhait.

(+) Une cuisine originale mais juste, exécutée avec beaucoup de finesse.

(-) Un enthousiasme immodéré pour les pousses, qui créent une impression de redite et s'étiolent sur les aliments chauds.

On y retourne? Avec plaisir.