Le restaurant Van Horne, installé à Outremont dans la rue du même nom, fait partie de la courte liste de lieux dont j'aime d'amour l'aménagement.

On dirait presque une galerie d'art. Sur un mur de côté du lieu minuscule, une immense affiche de Picasso paraccrochée de façon inusitée, dans sa boîte de plexi. Plus loin, des assiettes de carton dessinées par Roy Lichtenstein alignées soigneusement au mur, font face à deux immenses panneaux ouvragés blanc et or qui furent en 1967 les portes du pavillon iranien de l'Expo. Au milieu du petit espace, un totem impose son regard sombre, mais aussi un peu ironique, pour compléter cette mini arche éclectique.

Lorsque le restaurant a ouvert, en 2011, le chef Éloi Dion a pris les commandes de la minuscule cuisine ouverte située au fond du local étroit. On pouvait le voir travailler ses poissons issus de pêche durable, fignoler ses amuse-bouche végétaux, le voir réaliser ses cuissons toujours impeccables. Son style avait quelque chose de très moderne à la française, école Michel Bras. Léger. Concentré.

Dion a quitté le restaurant récemment pour le plaisir de l'enseignement et des horaires réguliers et a été remplacé par un autre jeune chef d'origine ontarienne, John Winter Russell, qui a fait ses classes notamment à la Salle à manger et chez Pastaga. Russell propose au Van Horne une cuisine qui a comme première et immense qualité de ne pas vouloir être pareille à ce qu'on trouve partout ailleurs. Aucune joue de veau braisée au menu, aucune salade de betteraves au chèvre. La cuisine prend des risques. Parfois c'est réussi. Parfois ce l'est moins. Parfois les idées sont bonnes, mais la technique ne suit pas. Parfois les compositions semblent sorties de nulle part, mais toutes les pièces tombent à leur place, avec ravissement.

On commence le repas par un amuse-bouche de lichen frit, poudre de jerky de canard râpé et yogourt au miel. Sur papier, l'idée n'est pas inintéressante, mais la réalité n'est pas tout à fait au point. Le lichen n'est pas assez cuit, pas assez friable. Le canard très peu présent en goût, pas assez marqué. Au lieu de fondre dans la bouche comme ça peut être le cas, le lichen s'éternise, abuse de notre hospitalité.

L'entrée d'omble légèrement fumée, en revanche, est réussie. Le poisson s'abandonne, juste assez gras, complété par la douceur d'une cuillérée de crème fraîche, le croquant de quelques grains de riz sauvage grillé, les notes iodées d'une salade d'algues, l'acidité d'un peu de navet mariné. La laitue de mer pourrait être un peu plus serrée, élégante, moins aqueuse, mais les éléments s'emboîtent, en saveurs et en texture, comme un puzzle bien équilibré.

L'entrée de tomates cerises pelées, en revanche, est moins réussie, chaque ingrédient - morceaux de palourdes, crème aux airelles, tomates - semblant incapable de se marier avec les autres. Comme l'huile et l'eau restent séparées.

En plat principal, l'agneau est fondant, effiloché et roulé, accompagné de l'acidité de quelques grains d'argousier, de quelques têtes de violon et d'un peu de topinambours glacés. Le chef réussit un tour de force avec des produits régionaux, rares, parfois difficiles à décliner en ce début de printemps. Ne manque que l'oseille.

Le plat de doré de lac, servi avec des concombres grillés, est aussi agréablement surprenant. Là encore, la combinaison d'ingrédients est audacieuse. Rôtir les concombres - approche que l'on voit beaucoup en cuisine nordique - n'est pas commun ici et bravo au chef pour l'essai. On aime aussi la présence des oursins, un ingrédient soyeux, moelleux, maritime et légèrement sucré, à peine amer, magnifique, que l'on trouve généreusement dans les eaux froides d'ici, mais qui a été trop longtemps boudé, ignoré.

Au dessert, l'assiette de fraises à la glace au céleri-rave sur avoine grillée n'a pas grand intérêt. Les fraises sont adorables, sucrées, joyeuses. Ce sont celles de M. Daignault, qui les fait pousser en serres. Par contre, la glace au céleri-rave est austère, tout comme l'avoine. Le plat s'avère bancal, trop cérébral. On cherche les notes racoleuses. Le légume au dessert fait partie des tendances fortes actuellement, mais voilà aussi une tendance périlleuse. Les écueils sont nombreux. Les ratés aussi.

L'assiette de quatre-quarts avec panais confit et glace au beurre noisette réussit mieux à relever le défi de la pertinence. Ici, le panais confit, avec du sucre, aidé par ses propres notes vanillées bien marquées, devient réellement accrocheur, tandis que les morceaux de quatre-quarts, ce gâteau classique bien beurré, jouent plus qu'un rôle de faire valoir. Et la glace au beurre grillé s'avère un pur délice, juste assez sucrée, juste assez complexe.

La cuisine créative est un exercice délicat. Dans ce plat, la chimie fonctionne. Et l'originalité de la démarche en devient encore plus fascinante.

Van Horne

1268, avenue Van Horne

Montréal

514-508-0828

www.vanhornerestaurant.com

> Prix: Entrée de 11 à 15$. Plats de 26 à 33$. Desserts 8 et 9$.

> Carte de vins: Courte mais impeccable. Importations privées soigneusement sélectionnées.

> Service: Courtois et sympathique, mais débordé lors de notre passage. Un peu d'attente. Et pas toutes les réponses à nos questions sur le vin.

> Atmosphère: Nous sommes à Outremont. L'humeur est donc bourgeoise, calme, mais sans trop de prétention. On s'entend parler. Et l'aménagement est exquis, des oeuvres d'art aux rubans orangés qui nouent les serviettes. (Sans oublier la toilette de luxe japonaise!)

(+) L'aménagement, l'accueil, la quête d'une réelle originalité.

(-) Quelques maladresses dans l'assiette. Il faut encore travailler les combinaisons de saveurs et les techniques.

On y retourne? Oui.