C'est avec tristesse et stupéfaction que nous avons tous appris, plus tôt cette année, la fermeture de cette institution qu'est Le Paris et avec joie et enthousiasme que nous avons appris, récemment, que le restaurant allait rouvrir, racheté par son chef et par celui du Caveau, Frédéric Paquet et Franck Laroche.

Le Paris est donc toujours là. Intact avec ses nappes rouges et ses banquettes de cuirette bourgogne et son style absolument à l'abri des modes, pour ne pas dire carrément figé dans le temps.

Aller au Paris est une expérience, une visite dans une zone de l'histoire contemporaine montréalaise. Autrefois, le restaurant était situé tout près de l'ancien immeuble de Radio-Canada et du Forum où jouait le Canadien, ce qui en faisait un lieu très fréquenté non seulement par les joueurs de hockey, mais aussi par les réalisateurs, journalistes, comédiens, à qui se sont ajoutés publicitaires et personnalités des médias et du monde des communications, en général. Et cette identité n'a pas changé.

Encore aujourd'hui, une visite chez Paris est presque une garantie de tomber sur un directeur d'agence de pub, un vétéran de la radio, un libraire bien en vue... Ou encore le fantôme de Michel Vastel, qui pilotait le groupe de journalistes avec qui je m'y suis rendue pour la première fois, il y a près de 20 ans.

Le décor, les gens... Le menu, lui non plus, n'a pas changé. On y sert même encore la soupe à l'oignon, riche bouillon de boeuf, rempli d'oignons et de croûtons gratinés, dans un bol en terre cuite avec un manche, décoré de coulées de glaçure, comme c'était la mode dans les années 70.

J'y suis allée deux fois, depuis la réouverture et la première visite, avec une journaliste connaissant bien les lieux, fut tout de suite entamée par le classique: «Avez-vous encore...»

Dans ce cas, il s'agissait d'une escalope de veau panée, servie avec citron et purée de pommes de terre, dont mon invitée a juré qu'elle goûtait exactement comme avant.

De mon côté, j'ai choisi le classique des classiques du Paris, la brandade de morue, un plat étrange qu'on ne mange plus, mais qui revêt dans ce restaurant un style vintage absolument à propos. C'est blanc, c'est monté à la purée de pommes de terre, c'est bien aillé et salé (ah, voilà des gens qui savent saler à point) et c'est bien ponctué par les fortes saveurs de mer de la morue séchée salée ré-humectée et dessalée, sans que cela ne devienne omniprésent. À Montréal, je n'en ai jusqu'à présent jamais mangé d'aussi bonne.

Évidemment, pour la fioriture, il faudra repasser. À moins que vous commandiez de votre propre chef des petits haricots verts fins en accompagnement, qui sont frais et cuits à point, bien beurrés, mais servis pas tout à fait assez chauds.

Plus tôt, en entrée, nous avons choisi des asperges vinaigrette cuites à la perfection. Juste assez croquantes, enrobées d'une vinaigrette légèrement moutardée. Ces asperges m'ont fait penser à Chez Berthe, une traiteuse fréquentée lors d'un séjour de perfectionnement à Paris, qui faisait de redoutables crudités vinaigrette, un art peu souvent maîtrisé en Amérique du Nord.

De la même façon, lors de notre seconde visite, la poêlée de minichampignons de Paris, choisie en accompagnement, qui craquait grassement sous la dent était très française dans sa simplicité et parfaitement au point.

Si je retourne un jour au Paris, ce sera pour la classique bavette à l'échalote choisie par un autre membre de la tablée, mais qui m'a semblé la quintessence de ce que l'on cherche dans ce type d'établissement. La cuisson était telle que demandée, la viande savoureuse, et la sauce au vin et à l'échalote parfaitement dosée et présentée sous forme de jus plutôt que d'une glace.

En revanche, mon cassoulet, un plat qui est pour les carnivores ce qu'est la crème glacée triple fudge pour les amateurs de chocolat - on y met du porc, du canard confit et de la saucisse - m'a semblé un peu flou car les flageolets, que l'on veut fondants, l'étaient trop et donc se défaisaient au service. Et avis aux amateurs qui aimeraient essayer ce plat classique: il faut en commander un pour deux, quitte à demander des haricots verts ou autre verdure en accompagnement. Ainsi, on peut en profiter sans sortir de table en regrettant d'en avoir laissé une tonne dans l'assiette.

Au dessert, nous avons goûté à une île flottante classique et sympathique, un plat rempli de textures contrastées - la meringue, le caramel, la crème anglaise onctueuse - qui a un petit côté à l'ancienne et n'en est pas moins délicat et délicieux. La crème brûlée très fine, dont on sent qu'elle n'a pas été solidifiée en trichant, était elle aussi fort bonne. En revanche, la salade de fruits remplie de melon très ordinaire n'avait aucun panache et ne méritait pas sa place au sein de ce repas autrement sans surprise mais rempli de réconfort.

Le Paris

1812, rue Sainte-Catherine Ouest Montréal 514-937-4898

Prix: il faut compter une bonne cinquantaine de dollars par personne tout compris, surtout si on prend un verre de vin. Il y a aussi une formule, le midi notamment.

Service: très gentil et très professionnel, mais qui oublie parfois d'apporter des quartiers de citron...

Vin: carte française classique avec quelques choix au verre.

Genre: restaurant français à l'ancienne, niché rue Sainte-Catherine Ouest, dans un quartier aux antipodes de cette institution montréalaise et rempli de restaurants asiatiques pas chers fréquentés par les étudiants de Concordia.

Faune: les habitués qui ont commencé à y aller dans les années 60 (le restaurant a ouvert en 1956) et les plus jeunes à qui ils ont fait découvrir les lieux.

(") le côté figé dans le temps.

(-) on pourrait moderniser à tout le moins la présentation de certains plats un tout petit peu, comme la brandade, purée blanche sur assiette blanche...

On y retourne: oui, pour la bavette à l'échalote.