Combien y a-t-il de bons restaurants sur le boulevard Saint-Laurent, dans le quartier des Mercedes, des BlackBerry et des châles Prada? Pas plus d'une dizaine? Moins?

Difficile à dire, tant ça change vite dans le coin, sans parler des travaux, du trafic aussi intense que celui des chefs, des serveurs (surtout des serveuses). Bref, ce coin du boulevard, oh! à peine trois petits pâtés de maisons, se paie chaque automne une bonne dose de névrose.

Vous êtes attablés entre amis, et hop! la musique vient vous les casser, le serveur vous prend de haut (quand il ne vous demande pas de quitter pour faire place à plus de clients), le parfum des uns intervient jusque dans votre assiette, les sauces et les encens se mélangent. Comment être ému dans ces conditions?

Heureusement, un lieu se distingue parfois de la mêlée. En plus de proposer autre chose que des mets asphyxiés par le look, on contrôle le volume sonore, on crée des ambiances uniques, on est à l'écoute. Mais de tels lieux sont rares. En voici un: la Taverna Zante, installée ici depuis un moment et qui sert de la véritable cuisine grecque, sans vergogne.

Au menu, on trouve surtout des choses familières, simplement préparées et la plupart du temps grillées avec de l'huile d'olive, beaucoup d'huile d'olive. La pieuvre passée au grill avec des oignons finement tranchés et du persil frais reste un plat tonique qui nous rappelle qu'entre la Grèce et la mer, il y a plus qu'une histoire d'amour, il y a synchronie. On avale toutes les petites bêtes à la chair laiteuse et fondante, nappées d'huile et d'un doigt d'acide - du citron et du vinaigre de vin rouge - avec bonheur. C'est assaisonné parfaitement, ça respire et inspire l'allégresse.

On attaque aussi des saucisses grecques flambées à l'ouzo, coupées en morceaux et simplement servies toutes nues dans un plat creux. Mais elles sont cramées. Or, avec ce goût un peu fumé, elles évoquent aussi les longues soirées estivales qui sont terminées. En tout cas, on a aussi envie de manger des haricots chez les Grecs, ils ont des dizaines de recettes pour les variétés développées en Méditerranée depuis plusieurs siècles. L'espèce géante, des fèves de lima en somme, mais de taille démesurée, cuisent lentement avec des tomates et des oignons et sont saupoudrées d'un peu de pluches de fenouil et d'aneth frais finement émincés. Un plat enjoué et parfait par sa modeste origine, ennobli ici dans un lieu destiné aux plus fortunés. Quelle ironie!

Nous préférons ne pas nous tenir trop loin des plats marins. Du reste, la liste des poissons est impressionnante: loup, bar, fagri, espadon, thon jaune, sans parler du homard, des crevettes et des pétoncles. On propose aussi des plats de viande, pour les carnivores impénitents. Notre ville en est saturée, et si le poisson n'a pas encore une place dans notre alimentation régulière, c'est que, plus souvent qu'autrement, on ne le prépare pas bien. Et c'est dommage car rien n'est plus facile: un peu d'huile au fond d'un poêlon bien chaud, un brin d'ail ou d'origan, on saisit et on laisse cuire quelques minutes. On arrose tout ça avec beaucoup de citron et d'huile d'olive crue, c'est ce que font les Grecs et c'est le traitement que notre filet de bar chilien a reçu. Il était parfait. Succulent et virginal, d'une fraîcheur irréprochable, si tant est que les légumes bouillis servis à côté paraissaient insignifiants et ont vite été abandonnés au fond de l'assiette.

Deux côtelettes d'agneau marinées et des pétoncles font un duo d'enfer quand la grille les rassemble. On ne doit pas forcément les manger d'une seule bouchée, mais les savourer du bout des lèvres, c'est si bon une grillade quand elle est toute nue. Même avec une garniture de légumes tristes, ça passe tout seul.

On termine sur une sucrerie que les Grecs eux-mêmes ne mangent à peu près jamais, en tout cas pas sous forme de dessert, les loukoumades, des petites boules de pâte aérienne, frites et nappées d'un sirop au miel qui nous font grincer des dents et sont une pure transgression des règles de la bonne digestion. Qu'importe, nous ferons bien quelques kilomètres de marche pour éliminer la culpabilité qu'elles provoquent.

Taverna Zante

3449, boulevard Saint-Laurent

Montréal

514-288-4777


On y retourne? Oui, mais il faut des sous, ce n'est pas donné. Cependant, quand on est dans un beau lieu, avec une ambiance agréable et qu'en plus, la cuisine est très bonne, ça vaut la peine.

Prix: ça peut vite monter très haut, des entrées à plus de 20$, des grillades à 35$, pour deux personnes avec quatre verres de vin, comptez 185$ tout compris. Mais quand on est bien, on ne compte pas, n'est-ce pas?

Faune: quelques «modeux», mais ce n'est pas leur truc. Faune plutôt bien mise et bien nantie.

Décor: simple, en bleu et blanc (on s'y attendait), propret et petit bourgeois comme tout.

Service: le patron gentil et serviable.

Vin: très peu de vins grecs malheureusement, et trop peu de vins au verre. Faudrait y voir.

(+) Le fait que ça soit à la fois bon et sur Saint-Laurent.

(-) La télé plasma a ses adeptes et ses vertus. Quand on s'emmerde avec la compagnie, on peut toujours prétendre être distrait par l'écran.