La nature dégèle doucement. Les semis sont commencés. La chasse à l’oie blanche et au dindon sauvage approche. La pêche ouvre progressivement. Les forêts redeviennent nourricières. Et le livre L’érable et la perdrix est en librairie, pour vous donner encore plus envie d’autonomie alimentaire et de découverte des aliments de chez nous.

« Je suis contente que le livre sorte en ce moment, en plein printemps sanitaire – il devait sortir à l’automne 2020, déclare Elisabeth Cardin, coauteure. Dans la dernière année, les gens ont vu à quel point il était bon et facile de voyager dans leur province. Pourquoi ne pas prévoir des déplacements à la découverte d’un territoire comestible ? C’est bien beau d’aller voir les vignobles et les baleines, mais il n’y a rien de plus beau que d’aller faire du hiking et de revenir avec des bleuets et des camarines dans son sac. »

La copropriétaire du restaurant Manitoba, cueilleuse, poète et peintre à ses heures, incarne une nouvelle génération de mangeurs et de penseurs québécois. Voilà plus de trois ans qu’elle travaille sur cette Histoire culinaire du Québec à travers ses aliments, avec Michel Lambert, auteur de plusieurs milliers de pages sur le sujet et autorité suprême en la matière.

« Ce livre, et le type d’alimentation qu’il suggère, est tout simplement un exercice de continuation de l’écriture de l’identité culinaire québécoise. Une maille-sauvetage dans un tricot oublié et troué par les mites. Un remaçonnage du pont de transmission des savoirs, écroulé en partie quelque part au milieu du siècle dernier », écrit Elisabeth dans un des premiers textes du livre.

Coup de foudre

Les coauteurs devenus grands amis se sont rencontrés, il y a quelques années, à l’occasion d’un atelier sur la cuisine des petits fruits locaux, organisé par un autre infatigable promoteur du patrimoine culinaire québécois, École-B (ex-Société originale). Le septuagénaire et la trentenaire se sont immédiatement reconnus en tant qu’amoureux de la nature et fervents croyants de l’alimentation comme toile de fond.

Devant la volonté d’Elisabeth Cardin de faire de son restaurant une incarnation de ces valeurs, M. Lambert s’était engagé à y donner un cours magistral de deux heures chaque semaine. Il y transmettait sa connaissance encyclopédique de ce que cultivent, chassent, pêchent, élèvent, cuisinent et mangent les habitants du territoire québécois depuis la nuit des temps.

Connaissant la valeur du savoir que porte cet homme que l’on pourrait considérer comme une forme de « trésor national », la restauratrice à la plume fleurie a voulu rendre les enseignements du sage accessibles à un plus grand nombre. Car tout le monde n’a pas le courage de lire les cinq tomes d’environ 1000 pages chacun (sans index !) de l’Histoire de la cuisine familiale du Québec.

Mais accessible ne veut pas dire facile. L’érable et la perdrix est un livre d’une grande richesse, qui marie histoire, littérature, poésie et recettes. Il se lit de plusieurs manières différentes. On peut y aller dans l’ordre chronologique, passant à travers chacun des aliments, au fil des saisons – et ça tombe bien, puisqu’on commence au printemps, avec l’érable. On peut lire les ingrédients dans le désordre, au gré de son appétit. On peut aussi parcourir tous les textes historiques de Michel Lambert d’abord, ou commencer par les textes poétiques d’Elisabeth Cardin. Les recettes du chef Simon Mathys, anciennement au Manitoba, maintenant propriétaire du Mastard, se trouvent à la fin de l’ouvrage.

« Simon, je le connais depuis un grand bout. Je connaissais sa sensibilité à la cuisine québécoise. Pour lui, c’était une révélation d’apprendre qu’on avait des racines », raconte Michel Lambert.

J’aime sa manière de toujours présenter ses créations dans des plats ronds, concaves. Souvent, un élément en cache un autre. Quand tu fouilles à l’intérieur, il y a plein de trésors, de surprises. Et quand tu goûtes, c’est incroyable.

Michel Lambert, à propos du chef Simon Mathys

« Je trouve que de l’avoir choisi pour illustrer le futur de la cuisine québécoise, c’est très révélateur. On redécouvre nos trésors cachés », ajoute M. Lambert.

Il ne faut pas s’étonner de voir dans les recettes des ingrédients qui ne se trouvent pas au supermarché, comme les crosnes, les pieds de mactre de Stimpson, les feuilles d’oxalis et de capucine, etc. C’est un peu fait exprès.

« Si vous n’arrivez pas à trouver de mactre, vous venez de comprendre le sujet du livre ! lance Elisabeth. Nos fruits de mer, par exemple, sont en majorité envoyés en Asie. Nos fleurs et nos plantes sauvages comestibles, elles sont partout et elles sont gratuites, mais personne ne les connaît. Les recettes sont réalisables, bien sûr, mais elles sont aussi là pour montrer que c’est possible de faire de la gastronomie fine avec les ingrédients du passé. Elles représentent une ouverture sur l’avenir. »

Apprendre à manger

Et pourquoi on ne donnerait pas une plus grande place à l’alimentation dans l’éducation des enfants ? « Ce que je découvre en écrivant sur l’alimentation, c’est que toutes les disciplines peuvent y être reliées, dit Elisabeth Cardin. D’y faire référence en classe rendrait les apprentissages tellement plus concrets. C’est le filon central de toutes nos vies, manger. Si on sensibilisait les jeunes à développer un rapport émotionnel, affectif à la nature, si on leur enseignait davantage à travailler avec leurs mains, à cuisiner, il y aurait plus de respect, de compétence et moins de pauvreté. »

Elisabeth regrette que les gestes de s’approvisionner de façon responsable, de transformer sa nourriture, de la manger passent après bien des choses somme toute beaucoup plus triviales. Elle s’insurge contre ces boîtes de prêt-à-cuisiner, qui asservissent l’humain plutôt que de le rendre compétent.

« C’est de l’anti-apprentissage. T’apprends pas à faire de la soupe avec tes restes ou de la mayonnaise à partir d’un œuf. »

L’autonomie, c’est pas recevoir chez toi une boîte avec ton nom dessus, qui contient tes repas pour la semaine, préportionnés et préemballés dans des petits sacs.

Elisabeth Cardin

« On est en train de vous déposséder de vos savoir-faire, ajoute-t-elle. Si on voulait que les gens soient libres et autonomes, on leur apprendrait à cuisiner. »

Cela dit, malgré ce coup de gueule en marge du livre, les auteurs de L’érable et la perdrix évitent de faire la morale aux lecteurs. Ils souhaitent avant tout inspirer, donner envie. « On veut transmettre de la beauté et de l’émotion. C’est pour ça qu’il y a de la photo, des fois jusqu’à trois pages de photos de suite. On voulait que ce soit aéré, avec de grands espaces, à l’image de notre territoire. » Philippe Richelet est l’auteur des photos. Avec Elisabeth, il a sillonné le Québec pendant tout un été et un automne.

Ayant lui-même vécu tout un pan du Québec paysan et culinaire, ex-enseignant de littérature, féru de poésie, ancien aubergiste et prolifique auteur, Michel Lambert se réjouit de continuer d’apprendre et de peaufiner sa vision du monde, et du Québec en particulier.

« Ma principale découverte des dernières années, c’est que notre histoire culinaire est très représentative de ce que le Québec pourrait être. Elle est très inclusive. Elle propose aussi une forme de réponse à la peur de l’autre et, dans une certaine mesure, au dilemme de l’appropriation culturelle, si actuel. On est tous des emmêlés. Et la cuisine le démontre. Nos racines vont jusqu’en Amérique du Sud, pour ce qui est du maïs. Notre amour des légumineuses remonte au temps des Celtes. C’est incroyable combien notre cuisine est d’une profondeur et d’une richesse. »

Cette profondeur, cette richesse, cette « verticalité » dont M. Lambert aime parler, elles se trouvent dans ce magnifique livre, une des sorties importantes de ce printemps 2021 tant attendu.

L’érable et la perdrix – L’histoire culinaire du Québec à travers ses aliments, d’Elisabeth Cardin et Michel Lambert, photos de Philippe Richelet, créations culinaires de Simon Mathys, Éditions Cardinal, 408 pages, 44,95 $

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS CARDINAL

L’érable et la perdrix – L’histoire culinaire du Québec à travers ses aliments, d’Elisabeth Cardin et Michel Lambert, photos de Philippe Richelet, créations culinaires de Simon Mathys

Pour vos restes de Pâques

Mettez votre chou à fermenter tout de suite et faites un bouillon avec l’eau de cuisson du jambon ou avec les os et quelques tranches qui restent une fois les « festivités » passées.

Le jambon de Pâques est une tradition ancienne, nous raconte Michel Lambert, historien culinaire et coauteur du livre L’érable et la perdrix. « On abattait un porc dans le temps des Fêtes et on en engraissait un pour Pâques, qui devenait beaucoup plus gros. Les fesses, salées et fumées, devenaient jambon de Pâques. On a gardé cette tradition. »

PHOTO PHILIPPE RICHELET, TIRÉE DU LIVRE L’ÉRABLE ET LA PERDRIX

Cette recette de chou fermenté se prépare bien avec les restes de Pâques.

Chou fermenté

Un quartier et une tasse de bouillon équivalent à une portion

Recette du chef Simon Mathys

Ingrédients

1 chou vert
Sel (selon le poids du chou)
Huile de colza
1 noix de beurre
250 ml de bouillon de jambon
Huile de caméline, au service

Préparation

Chou fermenté

1. Peser le chou et noter son poids. Le couper en huit quartiers et placer les morceaux dans un cul-de-poule. Ajouter du sel (de 2 à 3 % du poids du chou) et masser toutes les surfaces pendant 5 minutes pour qu’il puisse bien pénétrer partout dans la chair. Laisser les morceaux dans le cul-de-poule ou les transférer dans un grand contenant en terre cuite.

2. Déposer une pellicule plastique sur le contenant du chou, sans l’emballer (juste assez pour couper un peu l’oxygène). Placer sur cette pellicule un poids à peu près équivalent à celui du chou. L’idée est de maintenir les quartiers au fond du contenant et de créer une pression qui poussera l’eau contenue dans le chou à sortir.

3. Après les 24 premières heures, le liquide naturel devrait finir par recouvrir les quartiers. Si ce n’est pas le cas, ajouter la quantité d’eau nécessaire.

4. La fermentation peut prendre de trois jours à une semaine. Le chou est prêt lorsqu’il a une apparence cuite, translucide et qu’il sent la choucroute. Éponger le chou.

5. Dans un poêlon en fonte, le faire revenir dans un peu d’huile et de beurre jusqu’à ce que les morceaux soient bien dorés de tous les côtés.

Service

6. Déposer un quartier de chou dans un bol de service et y verser le bouillon chaud. Arroser de quelques gouttes d’huile de caméline.

Le bouillon de jambon est simple à réaliser : faire bouillir des cubes et des os de jambon dans de l’eau pendant 6 heures.