Quand je regarde de près les étagères où je range mes livres de recettes, j’y aperçois toutes sortes de créatures plus ou moins endommagées.

Le plus sali, collé, déchiré, est sans nul doute un vieux vieux vieux livre de Martha Stewart, reçu en 1996, sans photos, parfaitement indexé, intitulé de façon très originale The Martha Stewart Cookbook, dont bien des plats sont devenus des classiques familiaux, du caviar d’aubergines sucré-salé à la coriandre au potage à la courge.

Depuis, de nombreux autres se sont ajoutés, signés Trish Deseine, Nigella Lawson, Yotam Ottolenghi, Josée di Stasio… Et, bien sûr, Donna Hay. À une certaine époque, à la fin des années 90 et au début des années 2000, je ne cuisinais qu’avec les livres de la styliste australienne.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Le plus sali, collé, déchiré, est sans nul doute un vieux vieux vieux livre de Martha Stewart, reçu en 1996, sans photos, parfaitement indexé, intitulé de façon très originale The Martha Stewart Cookbook, dont bien des plats sont devenus des classiques familiaux.

C’était les débuts de la photo de cuisine moderne.

Si on regarde le monde des livres de recettes à travers l’histoire, on remarque en effet qu’il y a un avant et un après Donna Hay. La prépondérance de la photo, le style épuré, naturel, parfaitement imparfait qu’on adore tous aujourd’hui, où, sur les plateaux de tournage et de photo, on peut littéralement manger les plats qui ont été photographiés — contrairement à l’époque précédente où tout était vaporisé pour être brillant, laqué pour être lisse, trafiqué pour mieux tenir ou moins fondre, par exemple —, c’est elle, à partir de l’Australie, relayée par le Marie-Claire français, qui l’a imposé. Sans parler des saveurs du bout du monde qu’elle nous fait découvrir et des produits qu’elle nous a appris à apprivoiser dans un esprit de métissage Nouveau Monde et non d’appropriation culturelle.

Dans ma collection, j’ai aussi un grand nombre de livres de chefs de restaurants, mais peu que je consulte réellement pour des recettes. À part celui d’Estela, à New York, du chef Ignacio Mattos, pour ses salades simples, mais qui éblouissent — endives aux noix grillées et à la chapelure, chou-rave aux pommes et aux noisettes, par exemple. J’ai plus envie d’y revenir que jamais, on dirait, pour recréer des souvenirs de voyage, de dépaysement.

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En 2021, contrairement à 1996, il est clair que la présentation générale du livre et la qualité des photos sont incontournables.

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Mais qu’est-ce qui fait réellement que je ne cuisine jamais avec certains livres et beaucoup plus avec d’autres ? Y a-t-il une recette, justement, pour publier un livre de recettes parfait ?

En 2021, contrairement à 1996, il est clair que la présentation générale du livre et la qualité des photos sont incontournables. Mais il faut un doux équilibre entre le côté très appétissant des photos et leur caractère accessible. Les images trop parfaites de certains livres de chefs, par exemple, font peur. On se dit qu’on ne sera jamais à la hauteur pour recréer de tels plats.

Donna Hay est celle qui a, sinon introduit, à tout le moins propulsé la beauté de l’imperfection. La dégoulinade sur le côté de la casserole. La croûte inégale. Aujourd’hui, c’est devenu chose courante. On veut goûter aux plats réalistes. On se dit qu’on peut se risquer à les préparer, nous aussi.

Parmi les livres que j’adore utiliser, il y a ceux de la Britannique Nigella Lawson, ancienne journaliste devenue cuisinière professionnelle, présentatrice et auteure de livres de cuisine, notamment parce que son écriture est réellement intéressante. Elle a beaucoup d’autodérision et écrit sur le ton de la confidence, comme si, chaque fois, elle nous confiait un secret allant au-delà des ingrédients. Au Québec, Daniel Pinard, dans les années 90, a connu beaucoup de succès avec ses livres, notamment parce qu’il prenait grand soin, lui aussi, de nous parler. De raconter. Et de peaufiner les textes.

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Parmi les livres que j’adore utiliser, il y a ceux de la Britannique Nigella Lawson.

Un des ingrédients cruciaux dans la conception de ces livres auxquels on retourne sans arrêt est sans nul doute aussi leur fiabilité.

Chez moi, il suffit d’une recette ratée pour qu’un livre prenne le chemin de la boîte d’objets à donner. Et à bien y penser, je devrais chaque fois écrire sur la page de la recette mal équilibrée ce qui a mal tourné. Mauvais temps de cuisson, épices mal dosées, détail mal expliqué…

Combien de fois ai-je entendu des lecteurs, amies, connaissances, m’expliquer qu’ils retournaient toujours aux mêmes livres ou aux mêmes noms, sur l’internet — et Ricardo est vraiment bien en haut de la liste de ces noms évoqués —, parce que les gens savent « que ça marche ». Il est étonnant que les auteurs de livres de recettes ne mettent pas plus souvent cet argument de l’avant en faisant leur promotion.

Évidemment, on choisit aussi un livre de recettes parce qu’on choisit une voix. Un regard. Une personnalité. Une philosophie. Une approche face à la vie.

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Chez moi, il suffit d’une recette ratée pour qu’un livre prenne le chemin de la boîte d’objets à donner.

Je suis une grande fan de la Franco-Irlandaise Trish Deseine, par exemple, parce que son univers gustatif et esthétique, ses prises de position politiques sur les réseaux sociaux, les photos de son quotidien, me donnent envie de plonger dans ses assiettes. J’aurais pu dire exactement la même chose de Josée di Stasio quand je l’ai découverte, dans les années 2000, ou de Donna Hay, bien sûr, dont les magazines m’ont longtemps fait rêver de juste pouvoir avoir sa vie.

Je suis certaine qu’aujourd’hui, les lectrices de Marilou, de Trois fois par jour, ou de K pour Katrine disent la même chose.

Le livre le plus récent réunissant toutes ces caractéristiques, pour moi personnellement ? Celui dans lequel je suis le plus souvent plongée, parce qu’il est beau, fiable, savoureux et intelligent ? OIive et Gourmando, de Dyan Solomon. Avec des photos de Maude Chauvin. Délicieux, rempli de découvertes et de souvenirs de café magiques, du début à la fin.