D’une vague pandémique à l’autre, les Québécois ont été plus que jamais aux fourneaux ces derniers mois. Au point de manquer parfois d’inspiration. Et si l’occasion était parfaite pour renouer avec les recettes parfois surprenantes de nos grands-mères ? Discussion et suggestions autour de la cuisine familiale traditionnelle d’ici.

Le rosbif avec purée du dimanche, le poulet à la bonne femme du mercredi ou le pain de viande du lundi… La cuisine traditionnelle a marqué des générations de familles québécoises. Elle a la réputation d’être très calorique, ce qui n’est pas faux si l’on pense aux pâtés à la viande, aux ragoûts de boulettes et autres jambons à la bière, mais c’est aussi une cuisine saisonnière, faite de formidables ingrédients locaux et souvent d’une grande fraîcheur.

« On ne s’en rend pas toujours compte, mais le Québec est un pays de gastronomie, lance Jean-Paul Grappe, professeur retraité de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ). Grâce aux milliers de lacs et de kilomètres de côte, on a ici des poissons comme on n’en trouve presque pas ailleurs dans le monde. On a aussi une faune extraordinaire. »

Sans parler des légumes du potager et de la longue tradition agricole de la vallée du Saint-Laurent. « Pendant très longtemps, on mangeait beaucoup mieux dans les campagnes qu’en ville. On avait accès à des poulets élevés naturellement, à la viande du cochon qu’on abattait soi-même. On cuisinait tout, même les ris de veau qu’on jetait pourtant en ville », ajoute ce Français qui a adopté le Québec en 1966, quand il est venu s’occuper des restaurants du pavillon de la France à Expo 67.

Une histoire à préserver

Au fil du XXsiècle, avec l’urbanisation et l’industrialisation rapides, cette cuisine aux racines françaises et autochtones a été peu à peu négligée. Au point que, en 1976, Jean-Paul Grappe et les professeurs de l’ITHQ ont lancé une opération spéciale pour la consigner avant qu’il ne soit trop tard.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Jean-Paul Grappe, chef et professeur à la retraite de l’ITHQ

Pendant tout un été, au lieu de les envoyer en stage, nous avons demandé aux étudiants d’aller glaner dans toute la province les recettes de grands-mères. Chacun devait en rapporter une trentaine.

Jean-Paul Grappe, chef et professeur à la retraite

Les recettes recueillies, réactualisées sous la direction de Jean-Paul Grappe, ont mené à la publication du livre La cuisine traditionnelle du Québec (Les Éditions de l’Homme), vendu à des milliers d’exemplaires – mais aujourd’hui épuisé. On y trouve « de nombreux plats méconnus qui mériteraient d’être cuisinés de nouveau », estime l’ancien professeur, qui propose d’ailleurs un menu tiré de l’ouvrage à l’onglet suivant.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Une tourtière (l’une de ses nombreuses déclinaisons...)

La grande variété des recettes recueillies au cours de l’exercice montre à quel point, historiquement, les habitudes alimentaires changent en fonction des régions et des aliments qu’on y trouve. Pour Michel Lambert, auteur de la volumineuse Histoire de la cuisine familiale du Québec, la cuisine d’ici est d’ailleurs une cuisine de territoire, faite d’abord de plats régionaux, qui ont suivi au fil du temps les déplacements de population. « La tourtière, qui change beaucoup d’un endroit à l’autre, est un bel exemple des spécificités régionales de nos plats », explique-t-il. Ces plats ont aussi continué à évoluer quand les gens des campagnes se sont installés en ville, où leurs recettes se sont mélangées à celles des populations venues du reste du continent et d’Europe.

L’historien culinaire, qui a parcouru le territoire pendant des années pour tout savoir de la cuisine québécoise, est intarissable quand vient le temps d’évoquer des plats dignes d’être redécouverts. Le fameux poulet à la bonne femme, préparé avec une boîte de soupe aux tomates Campbell, les dizaines de recettes de soupes à base de lait, dont certaines d’inspiration autochtone avec citrouille, maïs et haricots secs, celles à base de poisson aussi, notamment la chaudrée de Gaspésie, souvent concoctée directement sur le bateau de pêche avec de la morue et des pommes de terre, ou encore les salades chaudes faites de verdures printanières (des pousses de pissenlit, par exemple) revenues quelques secondes dans la poêle avec un peu de gras de porc.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

De jeunes pousses de pissenlits

Côté desserts, celui qui vient de publier le très beau livre L’érable et la perdrix avec Elisabeth Cardin parle volontiers des tartes à la crème, à la mélasse (souvent appelée « à la farlouche ») ou aux atocas, de bonbons aux patates et de bagatelles, des desserts d’origine anglaise faits avec des restes de gâteaux ou de biscuits, du blanc-manger ou une sauce anglaise et de la confiture. Avis aux intéressés : son blogue Le Québec cuisine depuis 12 000 ans regorge de recettes.

> Consultez le blogue Le Québec cuisine

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Lambert, historien et auteur

Malheureusement, même si beaucoup de jeunes veulent retrouver leurs racines, un manque de transmission a mené à une grande perte de connaissances.

Michel Lambert, historien et auteur

Pour beaucoup de gens, le lien avec la cuisine d’antan semble rompu. « La génération des 25-30 ans connaît peu cette cuisine », observe aussi Mélanie Latulippe, copropriétaire du Buffet de l’antiquaire, un restaurant qui sert des plats traditionnels depuis 45 ans dans le Vieux-Québec. « Les jeunes n’ont pas grandi dans des familles nombreuses, avec de grandes tablées… à part peut-être pour le temps des Fêtes. Ils viennent essayer un plat de temps en temps, mais pas plus. »

  • Il y a toujours une soupe traditionnelle
au menu du Buffet de l’antiquaire.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DU BUFFET DE L’ANTIQUAIRE

    Il y a toujours une soupe traditionnelle
au menu du Buffet de l’antiquaire.

  • Tarte au sucre du Buffet de l’antiquaire

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DU BUFFET DE L’ANTIQUAIRE

    Tarte au sucre du Buffet de l’antiquaire

  • Ragoût de boulettes du Buffet de l’antiquaire

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DU BUFFET DE L’ANTIQUAIRE

    Ragoût de boulettes du Buffet de l’antiquaire

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Cipaille, ragoût de boulettes, foie de veau avec bacon, soupe aux pois, boudin aux pommes et tarte au sucre préparés à partir des recettes du Bas-du-Fleuve du fondateur de l’endroit, Jean-Paul Lebel, séduisent davantage les clients de 50 ans et plus, constate celle qui a racheté en 2007 le restaurant aussi normalement très populaire auprès des touristes étrangers.

> Consultez le site du Buffet de l’antiquaire

PHOTO FOURNIE PAR LE BUFFET DE L’ANTIQUAIRE

Mélanie Latulippe, copropriétaire du Buffet de l’antiquaire

Pour les gens plus âgés, manger chez nous, ça fait revenir des souvenirs, leur enfance, leur adolescence.

Mélanie Latulippe, copropriétaire du Buffet de l’antiquaire

« Rassembler son monde »

L’animatrice et cuisinière Josée di Stasio, elle, se rappelle très bien les repas rassembleurs de son enfance. « Du côté maternel, chez les Guévin, ça cuisinait fort, raconte-t-elle. Pour ma grand-mère, manger, c’était la façon de rassembler son monde. Le dimanche, tout le clan se rassemblait, surtout l’été, pour le café et les desserts de l’après-midi, puis le souper. »

PHOTO FOURNIE PAR JOSÉE DI STASIO

Chou farci. « Un vrai classique de la cuisine québécoise », lit-on sur le site de Josée di Stasio.

Josée di Stasio garde de bons souvenirs de quelques recettes « oubliées » de sa grand-mère Guévin : une tarte salée à la patate servie avec du ketchup aux fruits, une autre avec une croûte craquante aux Corn Flakes, une crème pâtissière et une meringue, ou sa délicieuse sauce aux asperges et ses mokas, des carrés de gâteau blanc tartinés de glace au beurre et chocolat et saupoudrés de noix de Grenoble ou de noix de coco. « À tomber ! », dit-elle.

Du côté italien de la famille, sa grand-mère di Stasio faisait de la « paniche », une recette oubliée qui était un « mélange de pain, haricots blancs, ail et piquant, revenu dans une huile parfumée aux poivrons rouges », explique celle qui, en revanche, a su préserver le secret de son spaghetti aux boulettes, « le meilleur au monde ».

PHOTO FOURNIE PAR JOSÉE DI STASIO

Josée di Stasio, animatrice et cuisinière

Il y en a tellement, de bonnes recettes, autant de maman que de mes deux grands-mères. Toutes de superbes cuisinières. J’aimerais les conserver toutes ou les avoir conservées.

Josée di Stasio, animatrice et cuisinière

Au Québec comme ailleurs, cuisine rime avec partage. Dans cet esprit, celle qui a lancé un nouveau site web de recettes en septembre 2019 – quel sens du timing nous livre sa recette de chou farci, façon cigares au chou. « Les cigares au chou, tout le monde avait sa recette, dit Josée di Stasio. Avec une petite pomme purée, c’est tellement réconfortant. Ça se mange toute l’année, même tiède s’il fait trop chaud. Les ingrédients sont faciles à trouver et c’est très convivial. J’adore ce genre de plat : ça prend un peu de temps à préparer, mais quand il est prêt, on le pose sur la table, avec un bon bout de pain, et c’est réglé ! »

Quelque chose comme le plat parfait pour retrouver les saveurs de la cuisine de nos grands-mères…

> Consultez la recette de chou farci de Josée di Stasio

Étonnant menu traditionnel

Le chef à la retraite Jean-Paul Grappe a pigé dans des recettes dénichées aux quatre coins du Québec pour élaborer un menu de cuisine familiale traditionnelle pour quatre personnes qui peut paraître étonnant… mais qui célèbre joliment la qualité et la diversité des aliments d’ici.

En entrée, il propose des dos de brochets braisés à l’abitibienne. « Les Québécois n’aiment pas le brochet, mais c’est un poisson qui mérite mieux, c’est délicieux ! » Bon à savoir, si le brochet est petit, ses arêtes « fondront » pendant la cuisson, lit-on dans le livre La cuisine traditionnelle du Québec, d’où sont tirées les recettes.

En plat principal, Jean-Paul Grappe pensait suggérer une côte de porc au sirop d’érable, mais parce qu’il est en saison, il s’est laissé charmer par le ragoût de homard des Îles-de-la-Madeleine, une belle façon de savourer le crustacé autrement.

Pour le dessert, l’ancien professeur a pensé aux délices à la guimauve, une recette amusante et toute simple, venue de l’Outaouais, qui rappellera sans doute à certains les visites dans la parenté du dimanche.

À table !

Dos de brochets à l’abitibienne

PHOTO TIRÉE DE LA CUISINE TRADITIONNEL DU QUÉBEC, AVEC LA PERMISSION DE L’AUTEUR

Dos de brochets à l’abitibienne

Ingrédients

4 dos de petits brochets de 400 g (14 oz)

750 ml (3 tasses) de champignons trompettes de la mort

750 ml (3 tasses) de chanterelles

85 ml (1/3 de tasse) de beurre non salé

250 ml (1 tasse) d’oignons hachés très finement

60 g (2 oz) de lard fumé

750 ml (3 tasses) d’orpin pourpre ciselé (une plante grasse qu’on retrouve dans de nombreuses platebandes)

Sel et poivre du moulin, au goût

2 jaunes d’œufs battus

175 ml (3/4 de tasse) de vin blanc

175 ml (3/4 de tasse) de fumet de poisson

12 rondelles de carotte

100 g (1/2 tasse) de pois verts

175 ml (3/4 de tasse) de crème 35 %

Roux blanc en quantité suffisante (égale quantité de beurre et de farine mélangée à feu doux)

Préparation

1. Retirer les grandes arêtes par le ventre des dos de brochet. Hacher finement au robot de cuisine les trompettes de la mort et les chanterelles. Dans une poêle, chauffer le beurre et faire fondre doucement les oignons et le lard fumé. Ajouter l’orpin pourpre et les champignons. Cuire jusqu’à évaporation complète de l’humidité, saler, poivrer et ajouter les jaunes d’œufs.

2. Ouvrir le dos des brochets, répartir le mélange de champignons au centre du brochet.

3. Choisir un plat allant au four, où les dos de brochets seront suffisamment serrés. Verser le vin blanc et le fumet de poisson. Ajouter les carottes et les pois verts. Couvrir d’un papier sulfurisé. Cuire au four à 180 °C (350 °F) pour atteindre 68 °C (155 °F) à cœur. Retirer les dos de brochets et les garder au chaud. Ajouter la crème et lier avec le roux blanc. Cuire 10 min, rectifier l’assaisonnement.

4. Mettre au fond de chaque assiette chaude le dos de brochet et napper de sauce. De petites pommes de terre cuites à l’eau salée seront un bon accompagnement.

Ragoût de homard

PHOTO TIRÉE DE LA CUISINE TRADITIONNELLE DU QUÉBEC, AVEC LA PERMISSION DE L’AUTEUR

Ingrédients

60 ml (1/4 de tasse) d’huile d’arachide

4 homards vivants de 650 g (1 1/4 lb) chacun

160 ml (2/3 de tasse) de cognac

375 ml (1 1/4 tasse) de brunoise de légumes (oignons, carottes et céleris coupés en dés fins)

60 ml (1/4 de tasse) de pâte de tomate

250 ml (1 tasse) de vin blanc de qualité

Sel et poivre du moulin au goût

1/2 feuille de laurier

1 brin de thym

2 brins d’estragon

410 ml (1 2/3 tasse) de jus de homard non lié (ou à défaut de fumet de poisson)

Farine de riz en quantité suffisante

Préparation

1. Découper les homards. Endormir le crustacé en appliquant une pression au sommet de son crâne. Piquer la pointe d’un couteau et l’enfoncer rapidement entre ses yeux, puis, en tenant la queue, couper la moitié du corps sur la longueur. Piquer le homard en haut de la queue et couper. Briser les pinces avec le dos d’un couteau. Couper le bout de la pince.

2. Chauffer l’huile dans une poêle à fond épais et saisir vivement les morceaux de homard. Extraire le gras de cuisson et flamber avec 85 ml (1/3 de tasse) de cognac.

3. Ajouter la brunoise de légumes, la pâte de tomate et le vin blanc. Réduire à 90 %, saler, poivrer, ajouter le laurier, le thym, l’estragon et le jus de homard. Cuire 10 min à couvert, retirer les morceaux de homard et conserver au chaud.

4. Lier le fond de cuisson avec la farine de riz, rectifier l’assaisonnement en ajoutant le cognac restant.

5. Remettre les morceaux de homard. Servir dans des assiettes creuses, avec des pinces et des bavettes.

Délices à la guimauve

PHOTO TIRÉE DE LA CUISINE TRADITIONNELLE DU QUÉBEC, AVEC LA PERMISSION DE L’AUTEUR

Ingrédients

1,5 litre (6 tasses) de grosses guimauves

25 ml (1 1/2 c. à soupe) de beurre

6 morceaux de chocolat non sucré

375 ml (1 1/2 tasse) de sucre glace

2 œufs

8 ml (1 1/2 c. à thé) d’extrait de vanille

375 ml (1 1/2 tasse) de noix hachées

375 ml (1 1/2 tasse) de noix de coco râpée

Préparation

1. Couper les guimauves en quatre. Faire fondre le beurre et le chocolat au bain-marie. Ajouter le sucre glace au chocolat fondu. Ajouter les œufs à ce mélange. Parfumer avec la vanille.

2. Mélanger les morceaux de guimauve, les noix et le mélange au chocolat. Étendre la noix de coco sur deux épaisseurs de papier ciré de 45 cm x 30 cm (18 po x 12 po). Étendre le mélange sur la noix de coco et rouler de façon à former un rouleau de 5 cm (2 po) de diamètre.

3. Réfrigérer. Retirer le papier. Couper en tranches de 1,25 cm (1/2 po) d’épaisseur.