Il y a le froid, le vent, la pluie… et la pandémie. Notre appétit est sans doute plus grand que jamais cet automne pour des plats qui nous réchauffent et nous apaisent. Car la cuisine possède ce pouvoir magique de nous réconforter, et de nous rapprocher de ceux que nous aimons, même quand nous ne pouvons pas les voir. Explications.

L’ingrédient magique du réconfort

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Les braisés de bœuf, à l’instar de ce bœuf bourguignon, sont parmi les plats réconforts par excellence des lecteurs de La Presse.

La texture et la richesse de certains plats peuvent à elles seules faire naître un sentiment de bien-être, mais l’ingrédient magique du réconfort n’a aucune valeur nutritive. Il se cache plutôt quelque part dans votre mémoire…

L’odeur envoûtante d’un bœuf bourguignon qui mijote lentement. Celle du fromage qui caramélise sur une soupe à l’oignon. Ou encore d’une tarte dont la croûte feuilletée finit de dorer dans le four. L’eau vous monte à la bouche, non ?

Les plats chauds, moelleux, onctueux et riches, qui sont en général associés aux saisons froides, en plus de rassasier, ont la qualité particulière de faire du bien, explique Nicole-Anne Gagnon, professeure de cuisine et de conception de menu à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ). « Un peu partout dans le monde, au moment où on retourne dans notre cocon, on a envie de ce genre de plats, c’est presque universel », dit-elle.

Or, au-delà de leurs propriétés nourrissantes, les plats les plus réconfortants sont en général ceux qui ont marqué les mémoires. Quand vous préparez la recette de coq au vin de votre grand-mère, de doux souvenirs risquent fort de vous plonger dans un état de bonheur. C’est le principe de l’incorporation, selon lequel la nourriture ne soutient pas que le corps, mais aussi l’esprit.

Quand une mère de famille vous dit que l’amour est l’ingrédient le plus important de sa cuisine, elle dit vrai.

Alain Girard, professeur-chercheur à l’ITHQ

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Le poulet rôti a aussi la cote pour réconforter les lecteurs de La Presse.

« Celui qui cuisine transfère une partie de lui-même par la nourriture, précise Alain Girard, professeur-chercheur à l’ITHQ. Au même titre que les aliments, son intention, d’apporter du bonheur et de faire du bien, est absorbée par celui qui mange son plat. »

Avec ses travaux, Alain Girard a pu constater la force de ce principe, que certains n’hésitent pas à qualifier de magique. En collaboration avec Nicole-Anne Gagnon, il a élaboré des menus pour la clientèle multiethnique de CHSLD ou de centres de soins palliatifs. « Nos tests ont permis de constater l’effet bénéfique de recettes de tous les jours, souvent très simples, mais associées à des souvenirs, dit-il. Elles suscitent des émotions positives et donnent du réconfort, c’est évident. »

Après des mois de pandémie, pendant lesquels les contacts sociaux et familiaux ont été réduits au minimum, il n’est pas étonnant que beaucoup de gens cherchent à se faire du bien en savourant des plats roboratifs qui leur remémorent des jours heureux. Pour les lecteurs de La Presse, consultés par un appel à tous, ces plats réconfortants sont des braisés de bœuf, des poulets rôtis, des soupes et des potages, des lasagnes, des pâtés chinois ou des tourtières… Des plats qui s’inscrivent en général dans leurs traditions culinaires familiales, ont raconté ces lecteurs par courriel. « En ce moment, on a besoin que la cuisine nous aide à trouver un peu de bonheur, à reconnecter avec une réalité qui nous semble déjà lointaine », dit Alain Girard. Dans l’assiette comme sur les réseaux sociaux, d’ailleurs.

La recette du succès

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Le chef Marc-Olivier Frappier, copropriétaire du restaurant
Vin Mon Lapin, à Montréal

Le grand pouvoir de la nourriture réconfortante, les chefs le connaissent bien et y ont très souvent recours dans leurs restaurants.

« En cette période difficile, les plats chauds, riches, avec du beurre et de la crème, ça fait du bien à l’âme, c’est une bonne thérapie à la fin de la journée », reconnaît d’emblée Marc-Olivier Frappier, copropriétaire du restaurant Vin Mon Lapin.

Mais avec la pandémie, les gens semblent chercher davantage ce qu’ils connaissent déjà bien, constate-t-il. Pour son projet Casgrain BBQ, un menu pour emporter conçu autour du poulet frit (le projet est actuellement arrêté à cause de rénovations), Marc-Olivier Frappier a donc pleinement joué la carte du réconfort. Il a de plus misé sur un classique qui n’est pas bien éloigné de son plat doudou à lui : le poulet-frites. « Je ne le cuisine pas, je le commande chez Au Coq, Benny ou St-Hubert, précise-t-il. Et si les frites sont molles, ce n’est même pas grave. »

Faire le bonheur de l’un des meilleurs chefs de Montréal avec des frites molles ? Aucun doute, le réconfort, c’est fort. Mais ce serait une erreur de s’y cantonner, croit Marc-Olivier Frappier. « Un bon chef ne joue pas qu’avec ça, il veut aussi déstabiliser, c’est sa job, précise-t-il. Au restaurant, on fait normalement une carbonara à l’anguille fumée, on est à la fois dans le réconfort et la nouveauté. »

Pour le chef Pablo Rojas (restaurant et boucherie Provisions, Le petit Italien), rien n’est plus apaisant que le pâté au poulet de sa grand-mère québécoise (« Je peux en manger un au complet, clame-t-il. N’importe quand »)… sauf peut-être le ceviche de son père péruvien.

PHOTO DAVID BOILY, LAPRESSE

Le chef Pablo Rojas de chez Provisions

Le chef mise presque toujours sur d’agréables souvenirs quand vient le temps de passer aux fourneaux, ce qui ne l’empêche pas d’innover. « Je pars de choses que je connais, une odeur qui m’inspire, les oignons fumés, par exemple, puis je pousse l’idée plus loin, explique-t-il. Je sais que j’ai réussi si le plat goûte ce souvenir et l’idée que j’en avais au départ. »

Porteur du projet La cabane d’à côté du groupe Au pied de cochon, Vincent Dion-Lavallée ne voit pas le réconfort exclusivement dans l’assiette. « On a eu un été exceptionnel cette année, en accueillant les gens dans notre verger, dit-il. Le lieu, dans le contexte de la pandémie, avait certainement quelque chose de réconfortant. » Reste qu’il est bien placé pour mesurer la force d’attraction des plats qui ont une certaine charge émotive.

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Le pâté au poulet de Pablo Rojas

La tourtière du Pied du cochon, on en fait une fois par année pour les Fêtes. Les gens se l’arrachent, c’est rendu comme une drogue. Ils ont besoin de leur fix.

Vincent Dion-Lavallée, chef à La cabane d’à côté

Impossible, donc, de faire l’impasse sur ce plat. Pas plus que sur la soupe aux pois de La cabane d’à côté. « On a eu un gros succès avec cette recette dès notre première année, explique Vincent Dion-Lavallée. Je ne peux pas la changer, les gens seraient déçus, certains viennent ici pour ça. »

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Vincent Dion-Lavallée, chef à La cabane d’à côté, du groupe Au pied de cochon, à Mirabel

Heureusement pour lui, les saisons bien marquées au Québec lui donnent l’occasion de profiter d’une grande variété de souvenirs alimentaires. « Oui, les sucres sont l’une de nos seules identités culinaires fortes, poursuit le chef, mais quand l’été arrive, c’est notre premier concombre, notre premier épi de maïs ou notre première salade de tomates qui nous réconforte. » C’est vrai aussi pour les fraises, le crabe ou le homard…

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Présente dans bien des familles, la tourtière (ou pâté à la viande) compte de nombreux adeptes.

« À 20 ou 24 ans, j’aurais peut-être trouvé ça redondant d’avoir à suivre d’aussi près les envies des clients, conclut celui qui se laisse facilement rassurer par un bœuf aux carottes à l’automne, un trait de tire d’érable au printemps et une tourtière avec de la soupe aux pois dans le temps des Fêtes. Aujourd’hui, à 33 ans, je suis en paix avec ça. On cuisine pour les clients, pas pour soi. Le but d’un restaurateur, c’est de faire plaisir au monde. »

Et c’est une évidence pour tous ceux qui mettent la main à la pâte : rien n’est plus efficace que le réconfort pour faire plaisir.

Votre menu idéal

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Aucun doute : le repas réconfort des lecteurs de La Presse s’ouvre avec une soupe à l’oignon gratinée.

Vous avez été nombreux à nous dire quel est votre plat réconfort par excellence à la suite de notre appel à tous. Pour beaucoup d’entre vous, le réconfort rime avec des plats en sauce, qui cuisent lentement et qui embaument la maison. Petit menu qui fait du bien à la lumière de vos suggestions.

C’est une évidence, votre menu réconfort s’ouvre avec une soupe à l’oignon gratinée. C’est l’un des plats que vous avez le plus cités. À la bière rousse ou noire, avec du Migneron de Charlevoix, chacun a sa version qui fait saliver. « Pour moi, la bonne vieille soupe à l’oignon gratinée est un incontournable à l’automne, explique Martin Marcotte. Je la personnalise et la transforme en soupe à l’oignon et poireaux gratinés, avec un soupçon d’ail et une bonne quantité de fromage qui la garde bien chaude à la sortie du four. » Beaucoup de lecteurs rêvent aussi d’onctueux potages de courge.

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Un bouilli de légumes servi avec des morceaux de bœuf braisé

Côté plat de résistance, le bœuf mijoté a la cote. Pour Chantal Archambault, et elle est loin d’être la seule, le bonheur, « c’est un rôti de bas de palette (avec oignons et ingrédients secrets) qui cuit environ quatre à six heures à basse température. Je manque certainement d’originalité, mais ce plat apporte réconfort, douceur et tendresse à toute personne avec qui je le partage… même à distance ! » Le bœuf bourguignon, aux carottes ou à l’anis étoilé, l’osso buco (qui se prépare généralement avec du veau ou du porc) et le gigot d’agneau, tous cuits doucement, font aussi partie de vos favoris.

Pour vous faire plaisir, nous avons d’ailleurs demandé au chef Marc-Olivier Frappier, du restaurant Vin Mon Lapin, de proposer une recette de rôti de palette (voir recette plus bas).

Pour accompagner la viande, le bouilli de légumes compte bien des adeptes. Manon Gervais évoque celui que sa mère, aujourd’hui âgée de 82 ans, fait dans le chaudron de fonte hérité de sa grand-mère. « Des légumes d’automne, des odeurs qui rappellent notre enfance et, surtout, un repas réconfortant à tout coup », écrit-elle.

Le gratin dauphinois, qui marie à merveille pommes de terre et crème (parfois aussi du fromage, n’en déplaise aux puristes), a aussi sa place dans votre assiette réconfortante idéale.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Une tarte aux pommes

Pour le dessert, vos propositions sont plus variées. Encore là, un bon dessert vous rappelle souvent de beaux souvenirs. Après une tourtière du Lac-Saint-Jean et son ketchup vert, par exemple, Alain Tremblay n’a qu’une envie : une tarte aux bleuets. « C’est la totale, écrit-il. Ça m’apparaît comme imbattable. » D’autres préfèrent la tarte aux pommes. Sylvie Hunter, elle, mise sur la croustade, toujours aux pommes, servie « avec une tranche de cheddar extra-fort ». André Lachance ne jure pour sa part que par le pouding fraises-rhubarbe.

Chaleur d’ailleurs

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Une tartiflette

Certains d’entre vous ont grandi ailleurs dans le monde ou au sein d’une famille qui a de profondes racines en Afrique du Nord, en Asie ou en Europe, par exemple. Des voyages vous ont aussi marqués. Pour vous, le réconfort se trouve davantage dans une choucroute garnie, une tartiflette, une soupe pho, un tajine de poulet ou un couscous à l’agneau.

Mourad Othman propose le lablabi tunisien, un plat à base de pois chiche dont les origines remontent aux « repas des soldats romains lors de leur conquête à Carthage », en l’an 149 avant notre ère. Les souvenirs et les ingrédients diffèrent peut-être, mais le réconfort, lui, se savoure partout…

Recette : rôti de palette comme un steak au poivre

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Le rôti de palette de Marc-Olivier Frappier

Nous avons demandé au chef Marc-Olivier Frappier, du restaurant Vin Mon Lapin, de concocter sa version du rôti de palette, le plat réconfort le plus souvent cité par les lecteurs de La Presse dans un récent appel à tous. C’est une recette simple, qui se prépare même un peu à l’œil. À vos cocottes !

Ingrédients

• Rôti de palette de bœuf

• 4 échalotes françaises

• 2 oignons moyens

• 4 gousses d’ail

• Moutarde de Dijon

• Vin blanc

• Bouillon de bœuf

• Romarin

• Ciboulette

• Crème à cuisson

• Huile

• Grains de poivre vert

• Poivre

• Sel

Préparation

1. Prendre un beau rôti de palette de bœuf, le saler et bien le faire colorer de chaque côté dans une cocotte légèrement huilée qui peut aller au four.

2. Une fois la viande bien dorée, ajouter 4 échalotes françaises et 2 oignons moyens coupés en petits morceaux et 4 gousses d’ail hachées. Cuire quelques minutes, jusqu’à ce que les légumes soient légèrement colorés.

3. Ajouter quelques cuillères de moutarde de Dijon, un très gros tour de poivrière, un verre de vin blanc, une branche de romarin et du bouillon de bœuf. Le liquide devrait arriver à mi-hauteur de la viande.

4. Couvrir et cuire à 180 °C (350 °F) pendant environ 2 h 30, ou jusqu’à ce que le bœuf soit tendre.

5. À la sortie du four, ajouter un généreux trait de crème à cuisson, des grains de poivre vert et de la ciboulette. Rectifier l’assaisonnement et déguster. C’est encore meilleur le lendemain !