Cuisiner ne se résume pas qu’au fait de préparer des plats. C’est du réconfort, du don de soi, des souvenirs, des traditions, des rituels. C’est aussi prendre soin des autres. Et même un geste d’amour, nous expliquent Josée di Stasio et Christian Bégin.

C’est connu, ce dernier est un passionné de cuisine.

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Offrir des plats que l’on a préparés à nos proches est un bon moyen en ce temps de pandémie de continuer à insuffler la notion de partage dans le geste de cuisiner.

En mars dernier, la pandémie a toutefois complètement « mis en jachère » son plaisir de préparer des plats. « Je vis seul et je déteste me faire à manger juste pour moi, confie Christian Bégin. Cela exacerbe le sentiment que je n’ai personne avec qui partager ce moment. »

« Pour moi, cuisiner, c’est du partage, poursuit-il. C’est de la convivialité, du rassemblement. C’est associé à être ensemble. »

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Christian Bégin

Quand il vit dans son appartement de Montréal et qu’il n’a personne avec qui partager son repas, Christian Bégin confie sa faim aux bons soins de ses amis restaurateurs montréalais.

Dans sa maison du Bas-du-Fleuve, il n’a pas le choix de cuisiner lors de la saison froide. « À Kamouraska, la restauration est saisonnière. L’hiver, j’ai pas mal accès juste à ma cuisine. Dans la première vague de la pandémie, j’ai donc commencé à faire de la bouffe et à la distribuer à mes voisins, raconte-t-il. D’autres se sont mis à en faire aussi et cela a créé un mouvement d’enthousiasme et d’échange. Depuis, il y a des plats qui circulent et on allège le quotidien des uns et des autres. »

C’est en effet une question sempiternelle pour bien des gens : « Qu’est-ce que je me fais à manger aujourd’hui ? »

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Un délicieux repas laissé au pied de la porte peut être le moyen de gâter ceux qu’on aime en cette période des Fêtes atypique.

Vivement donc quand un voisin comme Christian Bégin nous envoie un message en disant : « J’ai fait du cassoulet. Il y a des plats sur mon balcon. Venez vous servir ! Et prenez aussi une douzaine d’œufs de mes poules. »

Même s’il ne peut plus recevoir d’amis à la maison, Christian Bégin a retrouvé le plaisir de faire des plats pour d’autres.

En recommençant à faire beaucoup de bouffe et à en donner, j’ai retrouvé le plaisir de faire à manger.

Christian Bégin

Pour Christian Bégin, « il fallait réinjecter du sens » dans le geste de cuisiner. « J’ai toujours dit que nourrir les autres est un geste amoureux. C’est de prendre soin d’eux. »

Pour reprendre ses mots, Christian Bégin a trouvé le moyen — en cette période étrange de distanciation physique — d’associer à nouveau la cuisine à « être ensemble ».

Et c’est en plein le sujet de ce reportage.

Le Carnet rouge de Josée Di Stasio

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Qu’on offre une caisse d’huîtres avec une mignonnette maison, du maïs soufflé parfumé ou un pain sandwich, c’est la pensée qui compte.

En relisant la préface du Carnet rouge de Josée di Stasio, publié en 2013, nous avons eu l’impression qu’il avait été écrit pour apprivoiser Noël avec la pandémie. « Des tas d’idées pour mitonner des surprises joliment emballées par la famille et s’inventer des rituels tout neufs pour célébrer autrement, sans cérémonie […]. Ce qu’il faut pour réchauffer un peu l’hiver et passer les Fêtes à l’abri de la tempête », y écrit Josée di Stasio.

« C’est en plein dans l’esprit actuel de se faire du bien, opine la principale intéressée. Le Carnet rouge est un livre d’hiver de réconfort et de cocooning pour s’adoucir la vie. »

On y retrouve un tas de recettes qui se donnent bien en cadeau et qui se glissent au pied de la porte dans un joli emballage : cake jambon et olives, boulettes de dinde, soupe aux fenouil et tomates, scones, ou encore de la dukkah, du limoncello, et le fameux saucisson au chocolat et aux figues.

Cuisiner, c’est un geste d’amour et de partage. Encore plus pour ceux qui ne peuvent pas se visiter. C’est une façon de se rapprocher. Et c’est du gros réconfort.

Josée di Stasio

« Ce sont des attentions qui seront encore plus appréciées dans la période que l’on vit », ajoute-t-elle.

Qu’on offre une caisse d’huîtres avec une mignonnette maison, du maïs soufflé parfumé ou un pain sandwich, c’est la pensée qui compte. « Et une pensée, c’est une forme de présence. »

« En ce moment, cela vaut de l’or. » Josée di Stasio ne pourrait le dire mieux.

Se faire du bien

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Elle invite les gens qui vivent seuls à se faire des « petits rituels ». Que ce soit un thé à 16 h ou allumer des bougies quand la nuit tombe. « Rien de compliqué », dit-elle. Les rituels sont réconfortants. C’est se créer « de doux moments ».

Comme le disait Christian Bégin, il y a des gens pour qui la préparation des repas est une corvée. Pour d’autres, il n’y a pas assez de repas dans une journée. Pour eux, cuisiner, c’est une façon de s’évader et de fuir le quotidien. Comme le jogging, la peinture ou le golf le sont pour d’autres.

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Janie Thibault

Parlez-en à Janie Thibault, une Montréalaise qui travaille dans le domaine de l’édition. Elle fait souvent des appels à tous sur Facebook. Pas pour quémander quelque chose, mais pour offrir des parts des nombreux plats qu’elle cuisine.

La cuisine la détend, dit-elle. Quand Janie est en télétravail, elle passe son heure de lunch aux fourneaux. « Cela me fait du bien et me déstresse. »

« J’aime faire la recette, mais en manger juste une fois », souligne-t-elle. Ses succulentes portions en trop, Janie Thibault les offre à ses amis, à des membres de sa famille ou à ses collègues du Groupe Librex.

Il y a deux semaines, elle a mis en ligne sur Facebook une photo d’un décadent gâteau au chocolat avec ganache. « Me couper un morceau, le manger et passer à un autre appel », a-t-elle écrit.

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Qu’est-il arrivé aux généreux restes ? Elle en a offert une partie à sa patronne (Johanne Guay, vice-présidente Édition au Groupe Librex) qui venait de remporter un prix au Salon du livre. Et une autre à Kim Thúy, avec qui elle a travaillé pour la sortie du livre Em. « Kim m’a écrit hier pour me dire que c’est la première fois que son fils, qui est autiste, mange un gâteau autre que les siens. Cela m’a vraiment touchée. »

En juin, Janie Thibault a par ailleurs cuisiné pour l’organisme Faisenpour2, qui distribue des plats maison à des personnes qui vivent de l’insécurité alimentaire.

« J’aime prendre soin des autres », dit-elle.

Cuisiner est un geste d’amour, nous le disaient même Christian Bégin et Josée di Stasio.