Moins riches, mais tout aussi délicieux que les autres pâtisseries, les scones gagnent en popularité hors de l'Angleterre. Et tout le monde peut en cuisiner en un tour de main!

Il ne s'écoule guère plus de six mois sans que l'un des quotidiens les plus réputés d'Angleterre ou d'Écosse ne consacre un grand reportage à la recherche du scone «parfait», symbole par excellence de la tradition anglaise et du high tea.

On débat à savoir s'il doit être nature ou aromatisé, servi avec de la «Clotted Cream» ou de la «Devonshire Cream», fait avec du beurre ou de la graisse, alouette. Il n'y a que l'obligation de l'accompagner de thé qui ne semble pas créer de dissensions. Et encore. C'est la poutine des Québécois, la baguette des Français. Un chouchou du patrimoine culinaire.

Un chouchou, qui, du reste, commence à gagner du terrain outre-Atlantique, permettant ainsi à la cuisine britannique - sur laquelle on a si longtemps levé le nez - de faire une belle incursion chez nous. Un détour dans les nouveaux cafés branchés de Montréal vous le prouvera: les muffins et les biscuits ont de plus en plus de compétition dans les présentoirs, bousculés par des triangles de pâte salés ou sucrés, fabriqués artisanalement, ici, par des Québécois.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Peggy Regan, propriétaire de la pâtisserie Gryphon.

«Avant, ma clientèle avait majoritairement des racines britanniques, mais maintenant, je sers autant de francophones que d'anglophones. Les Français viennent en chercher davantage l'été - ils remplacent les croissants au petit-déjeuner - et les Anglophones en consomment davantage l'hiver, quand les températures sont plus froides et qu'on a besoin d'aliments plus consistants», constate aussi Peggy Regan, propriétaire de la pâtisserie Gryphon.

Peggy Regan est LA référence en matière de scones traditionnels à Montréal, y consacrant toute son énergie depuis plus de 20 ans, depuis qu'elle a constaté que son boulot de professeur de cégep en art dramatique ne lui permettrait jamais de toucher une retraite suffisante pour subvenir à ses besoins. Elle s'est demandé ce qu'elle pourrait bien faire pour arrondir ses fins de mois: «Des scones, c'était ce qui m'était le plus naturel. J'ai vécu mon enfance chez ma grand-mère (écossaise) et je la voyais faire des scones tous les jours. Pour moi, c'était une tâche quotidienne.» Presque innée.

Ce qui explique sans doute son succès: le revenu d'appoint est vite devenu le principal. Elle a ouvert son propre salon de thé il y a 15 ans puis, il y a 10 ans, sa pâtisserie, constatant avec bonheur qu'elle pouvait vivre et faire vivre deux employés tout en honorant la mémoire de ses ancêtres. C'est elle, notamment, qui approvisionne le chic Café Birks pour son thé à l'anglaise.

«Ma grand-mère n'a jamais goûté mes scones, elle est morte avant que je me lance, regrette-t-elle. Mais je la sens qui m'accompagne tous les jours. Elle me souffle : «ne fais pas comme ça!», «tu travailles trop la pâte», etc. »

Une question de technique

Car plus que la recette, c'est bien le doigté, la technique qui importe pour obtenir le fameux scone «parfait», celui qui est bien doré et croustillant à l'extérieur, moelleux à l'intérieur. Si l'origine du mot scone proviendrait du nom de la pierre de la destinée - dite «Scone», près de laquelle les rois d'Écosse auraient été jadis couronnés -, il s'agit d'abord et avant tout d'un met populaire. «Ce n'est pas de la «haute cuisine», c'est de la «oat [avoine] cuisine» », dit Peggy Regan, relevant que la liste des ingrédients n'en compte pas de coûteux ni de raffinés.

Jadis plus accessibles que la farine, les flocons d'avoine l'ont d'ailleurs longtemps remplacé dans les recettes des campagnes écossaises.

«Il faut réussir à mélanger la farine avec les cubes de beurre sans qu'il fonde, sinon c'est raté», renchérit Géraldine Gallard, chef pâtissière du restaurant d'inspiration britannique Chez Régine.

À l'heure du «high tea», la tradition britannique recommande que les scones soient préparés nature et servis avec de la confiture de fraises ou de framboises, et de la crème épaisse de Cornouailles (la Cornish Clotted Cream) ou de la crème du Devonshire (la Devonshire Cream).

La première est faite de lait non pasteurisé, protégée par une appellation d'origine contrôlée et doit contenir au minimum 55% de matières grasses, tandis que la seconde est pasteurisée et faite de 45% de matières grasses au minimum. Les deux sont très difficiles, sinon impossibles, à dénicher au Québec, si bien que la plupart du temps, on la sert plutôt avec une crème fouettée légèrement sucrée ou, comme au Gryphon d'or, avec du beurre, ne pouvant se résoudre à utiliser un succédané.

Cela dit, pour Patrice Demers, un scone bien parfumé se suffit très bien à lui-même, sans crème. «Ce qui est bien avec le scone, c'est qu'on n'a pas besoin d'une occasion spéciale pour en manger, contrairement aux autres pâtisseries. C'est un peu plus équilibré, un peu moins riche, on se sent un peu moins coupable. C'est un plaisir très réconfortant qui permet d'apprécier le quotidien.»

Si Marcel Proust avait été anglais, c'est sans doute de scones et non de madeleines dont il aurait tant vanté les mérites dans À la recherche du temps perdu.