« Mes amis s’achetaient des maisons ou faisaient des bébés… J’imagine que j’avais aussi besoin d’un défi de trentenaire ! »

Donavan Lauzon est fièrement posté devant la cabane à sucre qu’il a mis deux ans à construire. Le bâtiment sent le neuf et impressionne avec son rouge ardent. L’intérieur, que je découvre quelques secondes plus tard, est encore plus saisissant.

Les murs sont couverts de tableaux, la cuisine est immaculée, le plafond est en lattes de pin… On dirait un condo champêtre dans un magazine déco. Au-dessus de la causeuse ocre, une banderole indique « J’adore le sirop d’érable ».

J’en reconnais la signature.

« C’est une œuvre de Patsy Van Roost, la fée urbaine !

— Exactement, me répond Donavan. J’habite à Villeray, donc j’ai pu participer à son projet « J’aime »…

— J’ai écrit une chronique à ce sujet ! Le monde est petit. »

Lisez « J’aime ton cœur qui bat »

Donavan a grandi sur la terre familiale de Mirabel avant de s’établir à Montréal, à l’âge de 18 ans. Il ne se voyait pas évoluer dans le monde agricole. Il a entamé une technique policière, puis réalisé qu’il était « trop bandit pour ça ». Il a finalement opté pour un baccalauréat en criminologie et est devenu intervenant en dépendance.

Depuis cinq ans, il est aussi acériculteur.

« Ce n’était pas dans mes plans de reprendre la terre, mais j’ai toujours été chez moi, ici. C’est fort comme sentiment ! J’ai eu envie de faire quelque chose de tangible… Et de le faire chez nous. »

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

L’intervenant en dépendance est devenu aussi acériculteur sur la terre familiale de Mirabel.

La maison de Donavan, c’est la terre qui a jadis appartenu à son grand-père et sur laquelle ses parents ont ensuite tenu une ferme laitière. C’est celle qui abrite de nombreux souvenirs d’enfance et une forêt remplie d’érables. Cette parcelle a longtemps été louée à un acériculteur… Puis, il y a cinq ans, Donavan a proposé d’en reprendre le contrôle.

La nouvelle a un peu surpris les parents de celui qui approchait alors la trentaine.

« Oui, ça demande du temps et des investissements… Mais c’est à nous ! », a-t-il plaidé.

Dans les premières années d’exploitation menées par Donavan, l’eau recueillie sur la terre familiale était transformée dans une érablière du coin. À l’automne 2019, le jeune homme était fin prêt pour plus d’autonomie. Il voulait sa propre cabane à sucre.

« L’acériculture, c’est une maladie, résume-t-il en me versant un café. Tu veux toujours grossir. »

Tout en travaillant à temps plein en tant qu’intervenant, Donavan s’est impliqué dans chaque étape de la construction de la cabane. Il a pu compter sur des professionnels ainsi que de nombreux amis.

« J’essaie d’être smatte dans la vie… Ça m’a servi ! »

Il me tend une bouteille de sirop pour que j’en verse dans mon café. Je souligne que le logo des Sucres St-Joachim — un pylône hydroélectrique dans une feuille d’érable — est très beau. C’est justement un de ses amis qui l’a imaginé, Louis D’Arcy Dubois.

Donavan Lauzon m’invite ensuite à visiter la zone « production » du bâtiment. Il me pointe des machines en me parlant d’osmose, d’évaporation, de particules de sucre, de temps de bouillage et de feux de bois qui sont parfaits pour une petite production comme la sienne…

« Ç’a été difficile d’apprendre tout ça, pour l’urbain que tu étais devenu ?

— Ç’a été toute une leçon d’humilité, me répond-il. J’ai toujours été bon à l’école et j’ai une facilité à m’exprimer… Mais j’ai vite compris que je n’avais pas l’intelligence de plusieurs de mes collègues qui, eux, savent quelle est la taille d’un tuyau juste en le voyant, ou qui peuvent réparer n’importe quel moteur ! »

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

Donavan Lauzon espère un jour recevoir des cyclistes dans une cabane à sucre convertie en café.

Le projet lui a permis de poser un regard différent non seulement sur le milieu agricole, mais aussi sur ses propres parents. En mettant la main à la pâte, Donavan a réalisé à quel point ils étaient débrouillards.

« Je me suis planté mille fois en me demandant comment mes parents pouvaient bien avoir appris à faire ça, eux… Ça nous a rapprochés. Ils voient comme je veux apprendre et m’investir. Ils voient aussi le potentiel de ce qu’on développe, parce qu’ici, ça reste chez eux ! »

D’ailleurs, le projet va bien au-delà de la cabane à sucre. Le frère de Donavan et la femme de ce dernier se sont lancés dans la culture maraîchère, eux aussi sur la terre familiale.

Bientôt, ils accueilleront des animaux. La sœur du trio Lauzon, une ébéniste de talent, donne régulièrement un coup de main aux gars. Un jour, Donavan espère recevoir des cyclistes dans une cabane à sucre convertie en café qui combinera toutes les activités de la fratrie.

« C’est une richesse, ce qu’on a, estime Donavan. Ç’aurait été notre pire cauchemar que la terre familiale soit vendue… On y est attachés. Enracinés.

— Et tu te vois passer à la vie agricole à temps plein ?

— Je voudrais bien, mais ce n’est pas payant ! La vente de sirop paye tout juste mes frais… Il faut toujours être plus gros pour être rentable, aujourd’hui, en agriculture. »

En attendant, Donavan Lauzon diversifie ses activités. Il s’intéresse lui aussi au maraîchage. D’ailleurs, il récoltera bientôt les 10 000 plants d’ail qu’il a plantés, plus tôt cette année.

« Je ne sais pas encore ce que je vais faire avec ça, mais j’ai plein d’idées, lance-t-il, enthousiaste. J’aimerais que les gens découvrent à quel point il y a des initiatives cool en ce moment, dans le coin. On parle beaucoup des microbrasseries et des petites cultures de l’Estrie, mais il y a tout un changement qui s’opère dans les Laurentides aussi ! »

En attendant de mettre son plan d’agrotourisme à exécution, Donavan apprend le lâcher-prise. Dans les dernières années, il a dû se défaire d’une certaine soif de performance et apprivoiser l’idée que la météo dictera dorénavant ses priorités… Ça lui a permis de se recentrer sur ce qu’il pouvait contrôler.

Il me tend son téléphone et me montre des photos de bambins tout souriants.

« Depuis que la cabane est bâtie, des amis viennent avec leurs enfants pour m’aider. C’est la fête, chaque fois. Le projet est plus grand que moi. Dans ma tête, il est devenu exactement ce que je voulais qu’il soit : un projet social. »

On ne sortira pas l’intervenant de la ferme.