Elles sont huit femmes. La plupart d’entre elles ont présenté une demande d’asile. En attendant de savoir si elles pourront rester au Canada ou non, elles cuisinent.

Elles s’appellent Deepali, Parveen, Chetna, Kamal, Sunita, Taranjit, Naila et Promila. Originaires d’Inde, notamment du Punjab, elles ont déposé leurs valises à Montréal pour fuir la pauvreté, la violence ou un monde qui leur offrait nettement moins de possibilités.

Dans leur pays d’origine, elles étaient enseignantes, éducatrices, nutritionnistes, travailleuses sociales ou mères au foyer. Ici, elles sont les cheffes du Collectif Curry de Parc-X. Elles cuisinent chaque semaine des plats indiens livrés à des clients de partout dans l’île de Montréal et à des personnes dans le besoin du quartier Parc-Extension.

Elles sont au cœur d’une magnifique initiative d’entraide imaginée par Leonora Indira King (ma nouvelle idole).

La femme de 40 ans est doctorante en psychiatrie à McGill, chercheuse pour le Bureau de l’engagement communautaire de Concordia et coordonnatrice pour l’organisme Afrique au féminin. Elle a fondé le Collectif Curry en avril 2021... Depuis, elle en assure bénévolement la réussite, en parallèle de ses trois emplois.

« Je suis payée avec beaucoup d’amour et de bons repas », glisse-t-elle humblement devant mon regard admiratif.

L’idée est née pendant que Leonora accompagnait de nouvelles arrivantes dans des ateliers d’intégration (au sujet de la francisation, du système médical québécois ou de la violence conjugale, par exemple). Elle a remarqué que ces dernières avaient souvent une passion commune pour la cuisine et, surtout, un véritable talent !

« On était en pleine pandémie, se souvient-elle. Les restos étaient fermés, j’étais tannée de cuisiner et je me suis dit : je leur achèterais bien des plats, moi ! Et peut-être que d’autres gens le feraient aussi ? J’ai lancé l’idée dans mon réseau. La réponse a aussitôt été positive. On tenait quelque chose ! »

Un an plus tard, plus de 150 clients soutiennent régulièrement les huit cheffes du Collectif, toutes des femmes qui font face à des obstacles relatifs à l’immigration. Non seulement elles doivent apprendre une nouvelle langue et se réorienter professionnellement, mais six d’entre elles ont de jeunes enfants à la maison.

Vu leur statut de demandeuses d’asile, elles n’ont pas accès aux garderies subventionnées. Difficile, alors, de quitter le foyer.

« En cuisinant, elles peuvent rester auprès des enfants, résume Leonora Indira King. C’est flexible ! Ça leur permet aussi d’avoir un peu d’autonomie financière pour naviguer plus facilement à travers les formations et la recherche d’emploi. »

Chaque semaine, cinq cheffes préparent chacune entre huit et dix plats. Le menu varie au gré de leurs envies et découvertes. Les mets sont végétariens, simplement parce que celles qui les cuisinent le sont aussi. Parmi les plus populaires, on trouve le manchurian (des boulettes de légumes hachés dans une sauce aigre-douce), tout ce qui contient du paneer (un fromage indien) et les currys, évidemment.

Chaque vendredi après-midi, les repas sont livrés partout sur le territoire montréalais. Les clients du collectif sont variés : des familles, des personnes âgées, des gens qui ont plus de ressources et qui veulent redonner.

Parce que si on appuie les nouvelles arrivantes, en commandant auprès du Collectif, on peut aussi appuyer les plus vulnérables. Pour 50 $, on achète quatre repas : deux pour soi et deux pour une famille de Parc-Extension ou une personne âgée dans le besoin. Celles-ci sont choisies de concert avec différents organismes du quartier, comme La maison bleue, Afrique au féminin ou même le CLSC.

L’option est populaire ! Leonora Indira King – qui a elle-même effectué toutes les livraisons durant les huit premiers mois de l’initiative ! – estime que la moitié des clients choisissent l’option solidaire.

C’est tout un filet d’entraide qu’elle est arrivée à déployer.

D’ailleurs, plusieurs personnes se mobilisent pour le bien du projet. Parmi elles, Christophe Dubois, qui travaille au café La place commune. Chaque semaine, quand il recueille des légumes frais pour son établissement, il en profite pour prendre des denrées remises aux cheffes du Collectif. Elles ont ainsi moins de courses à faire pour préparer leurs recettes respectives.

Une cliente du Collectif vient aussi tout juste de leur céder sa portion de jardin communautaire ! Les femmes ont donc récemment fait leurs toutes premières semences. Elles sont très excitées à l’idée de jardiner avec les résidants du quartier, me dit Leonora.

Le Collectif Curry de Parc-X, ce n’est rien de moins qu’un pont entre les nouvelles arrivantes et leur milieu. Un tremplin, même.

J’ai discuté avec Kamal Cheema, l’une des huit cheffes du groupe. La mère de deux enfants a 38 ans. Elle est arrivée au pays en 2018, en quête « d’une vie meilleure ». Elle a toujours aimé cuisiner, mais grâce au Collectif, elle a maintenant un plan : un jour, elle ouvrira son propre restaurant.

Leonora Indira King aussi a un plan : un jour, ce sont les cheffes qui géreront le Collectif. Un projet pour elles et par elles.

Je suis soufflée par son dévouement. Comment est donc née sa passion pour le communautaire ?

« Je viens de là, me répond-elle du tac au tac. J’ai vu comment ma mère a géré les transitions en tant que femme célibataire et immigrante... Elle a fait beaucoup de sacrifices pour que j’aie une meilleure vie. Et tout ça, sans le soutien des organismes qui existent aujourd’hui. Je me sens une responsabilité de redonner. »

Ma nouvelle idole, comme je disais.

Consultez le site du Collectif Curry de Parc-X