Je suis souvent gênée quand vient le temps de commander un café. Je ne comprends rien au jargon et j’ignore comment déguster la boisson. Pour éviter de me mettre dans l’embarras, je demande donc un bon vieux café filtre.

Quand elle a appris ça, la journaliste Ève Dumas a eu l’excellente idée de m’entraîner dans une séance de cupping. Rien de mieux que de plonger dans une pratique archi-pointue pour apprivoiser un monde qui m’intimide, non ?

Comme je ne voulais pas la décevoir, j’ai accepté le défi.

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Avant de moudre puis d’infuser le café, on doit d’abord le peser.

Puis, j’ai googlé « cupping »...

C’est une dégustation lors de laquelle on s’intéresse aux goûts et arômes du café en différentes étapes. Hors de question que je me présente là sans préparation !

* * *

J’ai d’abord appelé Geneviève Loignon. La propriétaire du café La Finca offre des ateliers de dégustation à de nombreux néophytes et passionnés. D’ailleurs, comment expliquer cet engouement ?

« Il y a 10 ans, on buvait tous du Caballero de Chile en soupant, lance en riant l’entrepreneure. Comme pour le vin, on s’intéresse maintenant à l’origine et à la qualité du café qu’on boit. En plus, avec la pandémie, on n’a jamais fait autant de café à la maison... Les gens veulent s’améliorer. »

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Le monde du café a énormément évolué dans les 10 dernières années et les gens en sont de plus en plus curieux.

Et quels conseils donnerait-elle à une parfaite inculte ?

Goûte à des cafés sucrés, acides et avec plus de corps. Pense aux pastilles de la SAQ et tente de définir tes préférences. Les baristas seront heureux de t’expliquer ce que tu bois et de te guider vers ce qu’il y a de mieux...

Geneviève Loignon, propriétaire du café La Finca

Vraiment ?

Deuxième appel préparatoire : Gabriel Rousseau, copropriétaire des cafés Névé.

« Sois franc, est-ce que je peux avoir l’air conne en commandant un café ?

– Tout dépend du niveau de confiance avec lequel tu le fais... La plupart du temps, si quelqu’un me demande un flat white avec certitude, il y a des chances que je puisse lui servir n’importe quoi. Sauf un moka, mettons ! »

Gabriel m’explique que le café est fait de nuances. Il n’y a pas de consensus ferme par rapport à ce que c’est, par exemple, un flat white. Les ratios de mousse et la chaleur de la boisson varient, dans le monde. C’est donc normal d’être perdu...

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Les goûts du café se discutent !

« L’idéal serait que je finisse toutes mes demandes par un point d’interrogation ? Comme dans : “J’aimerais un flat white ?” »

– C’est sûr que là, je vais sentir qu’on peut discuter de tes goûts. Je vais te décrire ce que je m’apprête à faire et vérifier que c’est bien ce dont tu as envie... Mais bon, tu te souviens du matin où tu es entrée au Névé en pleurant ?

(C’était il y a huit ans et je venais de perdre mon emploi. Gabriel avait quitté son comptoir pour me prendre dans ses bras.)

– Ma job, c’est de vous donner une tape dans le dos en disant : “Ta journée va bien aller”, poursuit-il. Si quelqu’un commande avec certitude quelque chose d’inexact, je vais le lui offrir avec joie ! »

Personne n’a pas besoin de se faire faire la morale sur le ratio de son drink par rapport à la norme européenne... On veut que nos clients soient heureux.

Gabriel Rousseau, copropriétaire des cafés Névé

Je retiens donc qu’il y a des cafés sucrés et acides. Que je ferais mieux de terminer chaque phrase avec un point d’interrogation et que dans le pire des cas, les experts que je m’apprête à rencontrer vont tout de même essayer de me rendre heureuse.

Je suis prête ?

* * *

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Rose-Aimée Automne T. Morin et Ève Dumas tentent de détecter les arômes du café fraîchement moulu.

Je rejoins Ève Dumas au Gia, nouveau restaurant du quartier Saint-Henri, à Montréal. Son cofondateur, Ryan Gray, nous entraîne dans une petite pièce au fond de la bâtisse.

Penché au-dessus d’un comptoir, Brendan Adam verse du café moulu dans huit verres numérotés.

Ryan et Brendan sont copropriétaire de l’entreprise de torréfaction PS Aujourd’hui, ils reçoivent un de leurs clients, Keaton Ritchie. Cette séance de dégustation, c’est pour lui permettre de choisir ce qu’il ajoutera à la carte du restaurant Larrys...

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Keaton Ritchie, sommelier et spécialiste de café depuis plusieurs années, déguste un des cafés de la prochaine « collection » du Larrys, où il travaille.

« Ce n’est pas pour t’intimider, mais Keaton est l’un des pionniers des cafés troisième vague, à Montréal », me glisse Ève avec un sourire en coin.

Super.

Les cafés que nous allons découvrir aujourd’hui viennent de la Colombie et du Rwanda. Ils sont l’œuvre de cultivateurs qui s’adressaient à des communautés locales, à défaut de savoir comment exporter leurs produits. Depuis qu’il les a découverts, Brendan Adam les conseille. Beaucoup trop de producteurs dépendent d’acheteurs étrangers qui ne valorisent pas leur autonomie, déplore-t-il.

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Patrick Latreille, torréfacteur en chef de Café PS, hume les grains moulus.

Puis, vient la première ronde de la dégustation. On doit sentir le contenu de chaque verre et noter silencieusement nos observations. Je me lance : tabac, cerises, fruits, chocolat... Mes connaissances en vin me servent.

Le problème, c’est qu’au cinquième verre, je ne sens plus rien. Ai-je la COVID-19 ?

Keaton Ritchie remarque ma détresse. « Ne pense pas trop », me conseille-t-il.

Deuxième tour : on brasse chaque récipient avant de le sentir de nouveau. Cette fois, même les dernières tasses libèrent des odeurs de fruits rouges ou de sucre.

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Rose-Aimée Automne T. Morin sent le café infusé.

Troisième étape : on plonge doucement une cuillère dans chaque café, maintenant infusé, puis... On le sent. Encore. Le #5 a des effluves de mini-maïs en conserve. (J’espère qu’il ne faudra pas lire nos notes à voix haute.)

Phase 4 : on goûte ! Dois-je recracher ? C’est à ma discrétion, me répond Brendan. Je choisis de boire. Tant qu’à avoir le cœur qui pompe de stress, autant l’avoir qui pompe de caféine.

Puis, vient l’heure du dévoilement...

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Brendan Adams est copropriétaire de Café PS et fondateur de la société d’importation de grains verts Semilla.

Brendan demande d’abord à son client de nous révéler ce qu’il a pensé de chaque échantillon. Keaton Ritchie nous jase d’abricot, de grains et de fleurs d’oranger. Quelques-uns des termes qu’il utilise se retrouvent aussi dans mes notes. Chaque fois, je les encercle avec fierté. (Les mini-maïs en conserve ne seront pas du lot.)

Je suis poche, mais c’est plus accessible que je le croyais. Je pense que j’ai même du plaisir !

Brendan Adam nous dévoile finalement l’origine des cafés dégustés. Je ne saisis pas grand-chose de son discours, mais je remarque son excitation. Il est enchanté de nous révéler les spécificités de chaque grain, en passant par le type de sol et le climat qui l’ont vu naître. Surtout, il nous parle d’humains. Et ça, c’est un langage que je comprends.

Il nous parle des producteurs qui, à l’autre bout du monde, méritent d’être considérés pour tout ce qu’on vient de goûter. De ceux dont on oublie le travail, chaque matin.

Peut-on vraiment être intimidé par tant de passion et d’humanité, au fond ?

(J’avais peur pour rien.)