Qu’arrive-t-il quand le pollen d’une courgette fricote avec les fleurs d’une citrouille ? Bien des scénarios sont possibles et peuvent mener à la création de variétés étonnantes de plantes. Maîtriser l’issue de ce type de croisement est l’objectif de rares hybrideurs, ces magiciens du jardin qui jonglent avec le destin pour ajouter des végétaux inédits au patrimoine végétal.

Jouer avec la nature

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Daniel Brisebois, de la ferme TourneSol

Tomates noires au cœur rose, maïs à trois têtes et choux arc-en-ciel… Autant de végétaux qui voient le jour grâce aux manipulations des sélectionneurs de semences, aussi appelés hybrideurs.

« J’ai toujours été curieux d’explorer les possibilités. Quand je vois des choses qui se sont croisées accidentellement ou de manière intentionnelle, je suis inévitablement excité. » C’est ainsi que le semencier-sélectionneur Daniel Brisebois, de la ferme TourneSol, explique sa passion pour l’hybridation des plantes, une activité qu’on ne pratique pas au Québec pour en vivre, mais bien par curiosité.

L’aboutissement

Contrairement aux semenciers, dont l’objectif est d’éviter les croisements pour garantir que la variété vendue sera bien celle promise, les hybrideurs partent d’un croisement qui peut être le fruit du hasard ou de leurs manipulations, et qui devient le point de départ d’une nouvelle lignée de joueurs.

Pour perfectionner une variété inédite, ils investissent des ressources, des années de travail, parfois même une vie.

Daniel Brisebois rêvait d’un radis noir à chair rouge. Depuis 2007, il travaille sur ce projet qui en est aux trois quarts de son parcours pour être stabilisé. À terme, ses semences engendreront une récolte composée à 100 % de radis noirs à chair rouge. Elles passeront alors d’hybrides – des semences qui donnent des résultats aléatoires une fois mises en terre – à semences à pollinisation libre, un statut qui garantira une descendance identique au plant mère.

La naissance d’un radis noir d’exception
  • En plantant des radis noirs à chair blanche à proximité de radis verts à chair rouge, Daniel Brisebois a obtenu des résultats étonnants.

    PHOTO FOURNIE PAR DANIEL BRISEBOIS

    En plantant des radis noirs à chair blanche à proximité de radis verts à chair rouge, Daniel Brisebois a obtenu des résultats étonnants.

  • Les semences issues de chacune des variétés ont été replantées l’année suivante et ont donné une majorité de radis ayant les caractéristiques des plants mères. Quelques-uns se démarquaient toutefois avec leur cœur mauve et une enveloppe tachetée de noire.

    PHOTO FOURNIE PAR DANIEL BRISEBOIS

    Les semences issues de chacune des variétés ont été replantées l’année suivante et ont donné une majorité de radis ayant les caractéristiques des plants mères. Quelques-uns se démarquaient toutefois avec leur cœur mauve et une enveloppe tachetée de noire.

  • En replantant ces spécimens, le sélectionneur a vu émerger une diversité de couleurs, dont une poignée de radis noirs à chair rouge, mauve et blanche.

    PHOTO FOURNIE PAR DANIEL BRISEBOIS

    En replantant ces spécimens, le sélectionneur a vu émerger une diversité de couleurs, dont une poignée de radis noirs à chair rouge, mauve et blanche.

1/3
  •  
  •  
  •  

Entre-temps, ses radis se raffinent de génération en génération grâce à une minutieuse sélection durant laquelle les candidats qui arborent un maximum de caractéristiques désirées sont reproduits entre eux jusqu’à ce qu’ils donnent à coup sûr le résultat souhaité.

De la semence à la cuisine des chefs

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le sélectionneur et maraîcher Michel Lachaume

Celui qu’on a surnommé « le jardinier des chefs » crée des légumes à nul autre pareils. Cinq nouvelles variétés de légumes sont issues des travaux d’hybridation de Michel Lachaume. Depuis 30 ans, le sélectionneur a également introduit plusieurs variétés anciennes qu’il souhaite faire connaître aux Québécois, notamment un persil racine « comme personne ne l’a jamais vu au Québec », où il reste souvent chétif et malade.

« Là, je passe par les chefs, mais mon véritable objectif serait que les gens ordinaires y aient accès et mangent les meilleurs légumes », précise-t-il. Ses tomates cerises se sont frayé un chemin jusqu’aux épiceries. C’est cependant sa pomme de terre Louis Albert à chair orangée – celle qui fait le bonheur des chefs – qui fait sa plus grande fierté.

Hybrider des patates est une véritable drogue, de l’héroïne pure !

Michel Lachaume

Il espère avoir l’occasion de la partager un jour à plus grande échelle.

« Brasser deux pollens pour les mettre ensemble, ce n’est pas très difficile. Le gros de la job, c’est de faire les bonnes sélections. Je garde les meilleurs spécimens en fonction de critères de goût d’abord et toujours, puis de résistance aux maladies et aux pressions environnementales. L’apparence vient ensuite. La nature fait généralement de fort jolies choses par elle-même. »

Enrichir le patrimoine

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Poivrons de la ferme expérimentale du semencier Michel Lachaume

Le radis noir à chair rouge de Daniel Brisebois, de la ferme TourneSol, est un exemple d’hybridation spectaculaire. Mais l’exercice de sélection a d’autres fonctions, comme celle d’isoler les meilleurs piments pour rendre les prochaines générations plus savoureuses ou plus résistantes, explique le semencier-hybrideur. « Si les gens l’aiment, ça prend graduellement de la place dans la communauté. La variété s’adapte à l’endroit où elle se trouve. Et c’est comme ça qu’on crée un terroir. »

La sélection permet de voir naître de nouvelles variétés de fruits et légumes, là où d’autres meurent. « Les banques génétiques se vident de leur contenu. Ça existait avant, des choux-fleurs qui résistaient à - 25 °C et même sous la neige. Malheureusement, c’est un patrimoine qui a disparu à jamais », déplore le semencier et sélectionneur Michel Lachaume. Ce chou-fleur était-il plus difficile à cultiver ou à transporter ? On l’ignore. Chose certaine, la préservation passe par la conservation, et les petits semenciers sont aujourd’hui les gardiens de ce patrimoine.

PHOTO FOURNIE PAR NICOLAS PESKIR

Maïs à éclater à plusieurs épis

Jouer à la roulette

Les grandes entreprises de semences mettent sur le marché une majorité de variétés hybrides ou dites F1 (de première génération). Or, une variété hybride produira des semences dont le résultat sera incertain une fois ressemées. Pour obtenir les tomates savoureuses qui nous ont charmés l’été dernier, il faudra donc revenir à la source et acheter les mêmes semences... À moins de vouloir s’amuser à jouer à la roulette, pour le meilleur ou le pire.

C’est exactement la carte qu’a choisi de jouer Teprine Baldo, de la ferme Le Noyau.

En parallèle de ses activités, la maraîchère et semencière vend ses semences hybrides de première génération sous le nom de Zombie Seedz. La collection comprend des semences qui seraient normalement éliminées en raison du caractère incertain de leur rendement. Présentées dans des sachets-surprises illustrés par différentes artistes, ces semences ne viennent avec aucune garantie sur le résultat, sinon de s’amuser avec des fleurs et des plantes potagères issues de croisements plus ou moins étranges, prévient la semencière, ici en contre-emploi.

Les semences Zombie
  • Illustration d’Alma Soleada sur un sachet d’absinthe

    IMAGE TIRÉE DU SITE DE ZOMBIE SEEDZ

    Illustration d’Alma Soleada sur un sachet d’absinthe

  • Illustration de Camille Lussier sur un sachet de cerises de terre

    IMAGE TIRÉE DU SITE DE ZOMBIE SEEDZ

    Illustration de Camille Lussier sur un sachet de cerises de terre

  • Illustration d’Andréa McDonald sur un sachet d’absinthe

    IMAGE TIRÉE DU SITE DE ZOMBIE SEEDZ

    Illustration d’Andréa McDonald sur un sachet d’absinthe

  • Du maïs à éclater, vu par Alma Soleada

    IMAGE TIRÉE DU SITE DE ZOMBIE SEEDZ

    Du maïs à éclater, vu par Alma Soleada

1/4
  •  
  •  
  •  
  •  

« C’est une façon d’amener un peu d’art dans mon travail, d’ouvrir mon offre et de me distinguer sur le marché des semenciers, parce que vendre des semences, c’est dur !, dit-elle. C’est tout de même un long processus que de vouloir stabiliser une variété hybride. J’ai fait quelques expériences avec des tomates cerises orangées qui ont donné des résultats sans grande saveur. Je me suis dit que je ne perdrais plus mon temps pour les semer, les tuteurer, les arroser... Pour le moment, j’observe. »

La quête de la plante parfaite

L’hybridation est une affaire de zélé, estime Teprine Badlo. Un travail d’amour...

Avant que les semences portent à coup sûr les caractéristiques souhaitées, il aura fallu des années de travail – généralement entre 5 et 12 ans. Du temps, de l’argent, de l’énergie. Une passion solide.

Il y a trois ans, Nicolas Peskir laissait tomber un emploi dans la construction pour se consacrer à un passe-temps démarré quelques années plus tôt dans sa cour, vite devenue trop petite pour ses ambitions de sélectionneur amateur. La ferme du Domaine Quinchien où il travaille désormais au maraîchage lui permet d’utiliser une parcelle de terre où il fait ses expériences.

PHOTO FOURNIE PAR NICOLAS PESKIR

La tomate Black Leb, en processus de stabilisation

Certains sont geek d’informatique. Nicolas Peskir est geek d’hybridation. « J’aime l’idée de participer à la création d’une diversité de plantes que les gens pourront apprécier », indique l’autodidacte qui a hybridé un maïs donnant maintenant plus de trois épis par plant. Il a aussi généré une nouvelle pomme de terre et des tomates. L’une d’elles, la « Brandywine Sunset », est maintenant stabilisée. L’objectif ultime de ce passionné est de développer une variété de camerises dont le taux de sucre sera assez élevé pour en faire du vin.

Pour qui est tenté de voir ce que la nature peut produire comme curiosités, il est pratique de savoir que certaines plantes se pollinisent entre elles plus efficacement que d’autres. Les tomates, pois, haricots et laitue, dont les fleurs sont petites, ont peu d’occasions de se croiser naturellement au jardin. Les pommes de terre ? Nicolas Peskir les pollinise à la main avec une brosse à dents électrique. Les courges, dont les grandes fleurs agissent comme des capteurs de pollen, se reproduiront facilement avec d’autres spécimens du potager, voire du quartier... Qui sait ? Ce genre d’accident pourrait bien être le point de départ d’une quête personnelle pour obtenir le légume plus que parfait !