Le populaire site internet américain Epicurious, qui rassemble 180 000 recettes, a annoncé qu’il fait ses adieux au bœuf. « Cette décision n’est pas anti-bœuf, mais plutôt pro-planète », ont justifié sur le site Maggie Hoffman et David Tamarkin, respectivement rédactrice en chef et ex-directeur numérique d’Epicurious. Quant au chic restaurant Eleven Madison Park, de New York, il rouvrira le 10 juin, après avoir été fermé pendant la pandémie. Grande différence : aucun produit animal ne sera au menu. Est-ce un mouvement qui a des échos au Québec ?

Coupable d’être le pire

PHOTO J. SCOTT APPLEWHITE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Produire 1 kg de viande bovine émet en moyenne 32,5 kg de CO2, selon Nature (2018). Produire la même quantité de volaille ? Seulement 1,4 kg…

Le bœuf n’apparaît plus dans les nouvelles recettes d’Epicurious, un site culinaire (souvent primé) de Conde Nast Digital. Il est aussi banni de ses articles, de ses infolettres et de ses publications Instagram. « Ce changement n’est motivé que par la durabilité, ont indiqué Maggie Hoffman et David Tamarkin, le 26 avril. On ne veut plus donner de temps d’antenne à l’un des pires contrevenants climatiques du monde. »

Citant l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Epicurious souligne que près de 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre proviennent de l’élevage. Produire 1 kg de viande bovine émet en moyenne 32,5 kg de CO2, selon Nature (2018). Produire la même quantité de volaille ? Seulement 1,4 kg... « La conversation sur la cuisine durable doit de toute évidence être plus bruyante ; cette politique est notre contribution », explique Epicurious.

Ricardo n’imite pas Epicurious

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le chef et animateur Ricardo Larrivée

Le bœuf pourra demander l’asile à... Ricardo, qui n’a pas l’intention de le bannir de ses plateformes. « Nous n’avons pris aucune position en ce sens », indique Nathalie Carbonneau, vice-présidente aux communications de Ricardo Media. « Il nous est toujours apparu essentiel de faire connaître tous les ingrédients et de publier tout type de recette » pour rassembler les gens, précise-t-elle.

Sont donc présentées, chez Ricardo, « autant des recettes végés que des recettes véganes, ou avec de la viande et des poissons, dit Nathalie Carbonneau. Nous souhaitons ainsi permettre à tous ceux qui nous suivent de cuisiner ce qui leur plaît, sans jugement ».

Éviter la catastrophe

PHOTO THIERRY DU BOIS, FOURNIE PAR ROSALIE THIBAULT

Rosalie Thibault, étudiante au baccalauréat en environnement et économie à l’Université McGill et militante de la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES)

Au contraire, il est urgent d’imiter Epicurious, estime Rosalie Thibault, étudiante au baccalauréat en environnement et économie à l’Université McGill et militante de la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES). « La science indique clairement que la réduction de la consommation de viande et de produits laitiers est incontournable pour éviter les catastrophes d’un réchauffement planétaire important », dit-elle.

Pour y arriver, il faut rediriger les subventions offertes au secteur de l’élevage vers des solutions de rechange végétales, selon Rosalie Thibault. « L’absence de cet enjeu dans les plans de lutte contre les changements climatiques de nos gouvernements est déplorable, estime-t-elle. Ça porte à croire que les intérêts des industries ont priorité, pour les décideurs. Plus que la protection de la population face à la crise. »

Un trois étoiles végane

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le chef new-yorkais d’origine suisse Daniel Humm, de passage à Montréal en 2013

Chez Eleven Madison Park, restaurant trois étoiles Michelin de New York, tous les produits animaux seront exclus de la carte lors de la réouverture, le 10 juin. « Nous avons réalisé que non seulement le monde a changé, mais que nous avions changé aussi », écrit le chef, Daniel Humm, sur le site internet du restaurant.

« Il devient de plus en plus clair que le système alimentaire actuel n’est tout simplement pas durable, à bien des égards », ajoute le chef d’origine suisse. Avis aux intéressés : les réservations sont déjà complètes pour le menu dégustation à 335 $ US par convive. En France, au début de 2021, le restaurant ONA a été le premier établissement végane à recevoir une étoile Michelin, selon l’Agence France-Presse.

Chefs influenceurs

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Bernard Lavallée, nutritionniste

« Les chefs ont manifestement un rôle à jouer dans les virages alimentaires », analyse Bernard Lavallée, nutritionniste et coanimateur de la balado On s’appelle et on déjeune. « Si on convainc les gens que du tofu, des edamames ou des légumineuses, ça peut être bon et le fun à manger, on n’a même pas besoin de donner des arguments environnementaux. »

« Le pouvoir des grands restaurants, c’est de faire de la recherche et du développement et de lancer des tendances en alimentation, explique Bernard Lavallée. Ils disent : “Nous, on a décidé qu’on n’a pas besoin de viande. On va être cool pareil et on va quand même être au top. Vous pouvez faire comme nous.” »

Nouveaux restos végés à Montréal

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Assiettes véganes du restaurant Casa Kaizen

« C’est une excellente nouvelle de voir qu’un restaurant aussi prestigieux que l’Eleven Madison Park prend le virage 100 % végétal, permettant ainsi à cette gastronomie de gagner ses lettres de noblesse », se réjouit Florence Scanvic, présidente de l’Association végétarienne de Montréal.

À Montréal, une quinzaine de restaurants végés ont ouvert (souvent en formule pour emporter...) au cours de la dernière année, estime Florence Scanvic. Il y a Burger Fiancé, Nopalito, Élirestor, Casa Kaizen, Obscène Végane, Le Mariachi, etc.

ITHQ version végétale

PHOTO PATRICIA BROCHU, FOURNIE PAR L’ITHQ

Pâtes cavatelli avec ragoût de légumes à la bourguignonne et pistou de fanes de carottes, du restaurant de l’ITHQ

Depuis l’automne 2020, une formation en alimentation végétale est offerte à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ). « Il y a eu un super bel engouement pour ce programme dès qu’il est sorti, indique Ophélie Simoncelli, responsable des relations publiques de l’ITHQ. Il y a toute une réflexion derrière. Comment offrir un menu végétalien complet, sans essayer de faire une copie ? »

Autre nouveauté : le restaurant de l’ITHQ offre un alléchant menu végétalien pour emporter, en plus du menu omnivore. On y trouve en amuse-bouche un churro au céleri-rave, servi avec une mayonnaise aux cèpes et à l’ail noir. Comme plat ? Des pâtes cavatelli avec ragoût de légumes à la bourguignonne et pistou de fanes de carottes...

Réaction de Bœuf Québec

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Bœuf haché de marque Famille Fontaine, produit au Québec

Comment les producteurs perçoivent-ils ce mouvement antibovin ? « Ça ne nous énerve pas vraiment », indique Jean-Sébastien Gascon, coordonnateur du programme Bœuf Québec et directeur général de la Société des parcs d’engraissement du Québec. « On a plus que quadruplé nos chiffres de ventes de bœuf dans les grandes enseignes comme IGA, Metro, Provigo, Maxi » de mars 2020 à mars 2021, fait-il valoir. « On ne dit pas au monde de manger plus de viande, on dit : “Si vous mangez du bœuf, pourquoi ne pas manger du bœuf local ?” »

« Nous sommes assurément en démarche pour un bœuf moins dommageable pour l’environnement », ajoute Jean-Sébastien Gascon. Beaucoup d’espoirs sont mis dans la captation de carbone par les pâturages et dans les suppléments alimentaires qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre des ruminants. « Est-ce qu’on peut devenir une production carboneutre dans les cinq prochaines années ? s’interroge-t-il. Je le crois. »

> Consultez le site d’Epicurious (en anglais)

> Consultez le site d’Eleven Madison Park (en anglais)

> Plus d’information sur le diplôme en alimentation végétale de l’ITHQ