Beaucoup moins nombreux que les fromagers, les brasseurs ou les vignerons, les charcutiers artisanaux québécois ne sont pas moins passionnés. Inspirés par des traditions séculaires, ils se réapproprient non sans mal un précieux savoir-faire. Pour le plus grand plaisir de nos papilles.

« Le monde du fromage artisanal a un solide 15 ans d’avance sur nous », lance d’emblée Phillip Viens, un charcutier installé boulevard Saint-Laurent, à Montréal, depuis 2017. « Mais les affaires vont vraiment bien, ajoute-t-il. La gestion de la croissance, c’est quelque chose… Ça va plus vite que je pensais ! »

Le local d’Aliments Viens est minuscule. Pendant la pandémie, il ne peut accueillir qu’un seul client à la fois. Et celui-ci doit parfois céder sa place aux livreurs de carcasses entières et de grosses découpes de porc Berkshire (une race reconnue pour sa chair persillée et savoureuse) transformées chaque jour sur place en alléchantes charcuteries qui vieillissent dans les chambres froides, puis remplissent le comptoir.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La variété des charcuteries dans le comptoir Aliments Viens est épatante. On y trouve aussi des pièces de viande à cuisiner et une sélection de fromages.

Jambon cuit ou persillé, saucisses fraîches, pâté de campagne, cretons, boudin, mortadelle, coppa, soppressata toscane, pancetta, guancial, culatello, sobrassada, lonza ou encore ’nduja : Phillip Viens et ses complices s’en donnent à cœur joie. Ils transforment aussi du bœuf en pastrami, bresaola, salami ou karnatzel, de petits saucissons secs de tradition hébraïque. La variété des charcuteries proposées épate.

« Mon souhait, c’est de célébrer les meilleures charcuteries associées à Montréal », raconte Phillip Viens, qui a grandi à Vancouver dans une famille originaire de Granby. « Autant les charcuteries qui viennent de la France, comme le jambon ou le boudin, que celles, séchées ou fumées, qui sont arrivées ici avec les Italiens ou encore les Polonais, les Hongrois et les Juifs d’Europe de l’Est, par exemple. Je mise sur des recettes qui ont fait leurs preuves et je les prépare comme elles le sont dans leurs pays d’origine, mais avec les meilleurs ingrédients – la viande, les épices, le vin – d’ici. »

Une mission pour le moins exigeante. « J’ai mis 10 ans à perfectionner ma recette de mortadelle, faite dans un moulin à viande et cuite lentement, comme chez un petit artisan de Bologne. La première fois où j’ai été vraiment satisfait de son goût et de sa texture, c’est pour l’ouverture de la boutique », raconte celui qui est arrivé à la charcuterie un peu par hasard, mais qui s’est vite pris de passion pour cette discipline qui ne laisse aucune place à l’improvisation. « J’ai un background en science, et j’aime beaucoup la rigueur que demande la charcuterie. C’est très précis, tout doit toujours être fait exactement de la même façon. Et pour éviter les risques de contamination, parce qu’on ne peut jamais tout contrôler, oui, j’utilise des nitrites, mais très peu. »

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Phillip Viens dans sa petite boutique du boulevard Saint-Laurent, qu’il a aussi transformée en épicerie fine pour contrer la baisse des ventes de charcuteries aux restaurants fermés par la pandémie.

Les efforts du charcutier qui a perfectionné sa technique en restauration à L’Express, rue Saint-Denis, puis à l’ancien DNA, dans le Vieux-Montréal (où il a dirigé un programme complet de charcuterie), semblent porter leurs fruits. Avec son délicieux jambon cuit, sa mortadelle – qui ferait pâlir de honte n’importe quel « baloney » industriel – est aujourd’hui son produit le plus populaire.

Il y a des clients qui viennent jusqu’ici juste pour ma mortadelle !

Phillip Viens, Aliments Viens

Consultez le site d’Aliments Viens

Un appétit sans borne

Fondateur d’Ils en fument du bon, Félipé St-Laurent constate aussi l’appétit insatiable des Québécois pour les saucisses de qualité. « Ça va vraiment pour le mieux », constate celui qui a fondé seul son entreprise en 2013 et compte maintenant 30 employés et 7 boutiques, dont la première de toutes, au marché Jean-Talon, à Montréal.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Félipé St-Laurent, fondateur d’Ils en fument du bon, à la boutique du marché Jean-Talon.

« On dirait que les gens ont enfin compris que les charcuteries de qualité, ça ne tue pas le monde ! *, indique-t-il. Je reçois tous les jours des appels de gens qui veulent des conseils ou savoir où trouver des boyaux pour se lancer eux-mêmes, l’intérêt est immense. »

Si cet enthousiasme l’enchante au point où, croit-il, « chaque Québécois devrait avoir un fumoir à la maison », Félipé St-Laurent rappelle que la bonne charcuterie est un art. « J’ai tout appris auprès d’un vieil homme aujourd’hui décédé, Ulysse, un Suisse-Allemand qui avait 70 ans et faisait tout dans son garage. Pendant deux ans et demi, tous les lundis, j’ai travaillé à ses côtés. Pour lui, la charcuterie, c’était une religion. »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Quelques-unes des variétés de saucisses fraîches proposées chez Ils en fument du bon.

C’est un paquet de petits détails qui font qu’à la fin, c’est wow !

Félipé St-Laurent, d’Ils en fument du bon

Ils en fument du bon fabrique aujourd’hui 80 variétés de saucisses fraîches, parfois tout simplement décadentes, avec smoked meat, côtes levées et Jack Daniel’s, homard et cognac, bacon et fromage en grains, pâté chinois, rondelles d’oignon et miel ou, bientôt, ail noir. Dans ses boutiques, Félipé St-Laurent vend aussi des rillettes, quelques autres produits, mais pas de saucissons secs. « J’en fais un peu pour moi, à l’italienne, mais les lois sont tellement sévères ici pour le vieillissement que ça m’a découragé d’en produire pour les vendre. »

Consultez le site d’Ils en fument du bon

Un métier assez rare

Le cadre réglementaire très strict lié à des « procédés de fabrication à risques », selon les mots du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, explique peut-être en partie la rareté persistante des saucissons secs artisanaux. Mais pour Nathalie Joannette, cofondatrice en 2005 de Fou du cochon et scie, à La Pocatière, dans le Bas-Saint-Laurent, le véritable problème pour les artisans, c’est le manque de soutien des gouvernements. « Au Québec, il n’y en a que pour les produits laitiers, dit-elle. Le soutien en recherche et développement pour la viande, il est dans l’Ouest canadien, pas ici. »

PHOTO MAUDE CHAUVIN, FOURNIE PAR FOU DU COCHON ET SCIE

Nathalie Joannette, propriétaire de Fou du cochon et scie.

Nathalie Joannette fait dans le haut de gamme de tradition française. En 2018, son Grelot des battures, un saucisson confectionné à partir de fesse et d’épaule de porc, sans nitrites, et dont la croûte est composée de flore indigène, a remporté un prestigieux prix en France, à la barbe de charcutiers renommés. « Ils sont tombés sur le cul », se souvient-elle.

L’exploit est d’autant plus grand que Nathalie Joannette a tout appris sur le tas, avec son ex-conjoint, Samuel Gaudet. « Mon père a longtemps été chef en France, c’est peut-être quelque chose d’un peu inné chez moi. Mais on s’est quand même acheté des livres, dont un qui a coûté 450 $ ! » Et ce n’est pas comme si elle avait eu vraiment le choix : il n’y a pas de véritable école de charcuterie ici, dénonce-t-elle.

En France, ça prend sept ans pour devenir charcutier. Ici, à l’Institut de technologie agroalimentaire, la formation se boucle en à peine 35 heures. On n’est pas de niveau.

Nathalie Joannette, de Fou du cochon et scie

Dans ce contexte, la transmission du savoir-faire est pour le moins problématique.

Au Québec, historiquement, ce transfert de connaissances se faisait sur les fermes, où les cochons abattus avant les Fêtes ou tôt au printemps étaient notamment transformés en jambon, cretons, bacon et lard salé, mais pas en saucissons (voir onglet « Au Québec depuis la nuit des temps »). « Le climat est trop froid pour le séchage ici, rappelle Mme Joannette. La viande gèle l’hiver. »

Or, « la génération des baby-boomers s’est désintéressée de ces traditions en même temps que de la religion, constate l’historien de la cuisine québécoise Michel Lambert. La transmission aux enfants ne s’est pas faite. Heureusement, sans pour autant être fermés à ce qui vient d’ailleurs, les plus jeunes semblent vouloir connaître leurs racines. Pour la charcuterie comme pour le reste. »

PHOTO FOURNIE PAR FOU DU COCHON ET SCIE

Affinage de saucissons chez Fou du cochon et scie. Trop peu de gens connaissent le goût des vraies bonnes charcuteries, estime la charcutière Nathalie Joannette.

Si Nathalie Joannette refuse encore de penser à ce qui se passera quand elle devra accrocher son tablier, elle révèle volontiers ses secrets à ses employés. Et planche activement sur son prochain projet : la construction d’un bâtiment où elle pourra élever quelques bêtes pour étoffer encore sa pratique et proposer aux visiteurs des produits rares en petites éditions, avec d’autres délices du Kamouraska. Une belle façon de faire découvrir le goût des vraies bonnes charcuteries, encore trop peu connu au Québec, selon elle.

Félipé St-Laurent rêve pour sa part d’ouvrir un centre d’interprétation de la saucisse dans les Cantons-de-l’Est, ce qui lui permettrait à la fois de transmettre son savoir et de susciter une saine émulation chez les charcutiers.

Quant à Phillip Viens, il s’engage à maintenir des prix accessibles, malgré la demande croissante, dans l’espoir de nourrir une culture d’appréciation de la qualité. « Il faut que les gens s’habituent à avoir des attentes plus élevées », dit-il, pour que toute la chaîne de production, des éleveurs aux transformateurs, devienne meilleure. Et que la charcuterie artisanale prenne enfin son véritable envol partout au Québec.

Consultez le site de Fou du cochon

* En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé la viande transformée, essentiellement la charcuterie, dans la catégorie des agents « cancérogènes pour l’homme ». Or, sauf pour les très grands mangeurs de viande transformée, ce risque est faible, a conclu un groupe de chercheurs dans une étude publiée par l’American College of Physicians, en 2019. Ces chercheurs ont du même coup remis en cause les recommandations de limiter la consommation de viande rouge et de charcuterie pour prévenir les cancers et les maladies du cœur.

Des saucissons dans le garage

Les traditions culinaires sont encore souvent très fortes dans les familles d’origine italienne du Québec, où les corvées de saucisses ne sont pas rares. Mais la pratique est beaucoup moins répandue pour les charcuteries vieillies, plus difficiles à réaliser. Giuseppe Gammieri, lui, tient bon. Portrait.

Giuseppe Gammieri est tombé dans la charcuterie quand il était petit, grâce à son grand-père Antonio, un immigrant italien qui s’est installé dans Ahuntsic après son arrivée au pays, dans les années 1950. « J’ai commencé à faire des saucissons avec lui quand j’avais 15 ans, dit l’homme qui en a aujourd’hui 50. Comme les Italiens de sa génération, il avait appris à les faire par nécessité, pour avoir de la viande tout l’hiver. Mais moi, je le fais parce que j’aime ça et pour garder la tradition vivante. »

  • La Jaguar blanche de Giuseppe Gammieri passe l’hiver dehors parce que son garage devient une petite fabrique de charcuteries.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    La Jaguar blanche de Giuseppe Gammieri passe l’hiver dehors parce que son garage devient une petite fabrique de charcuteries.

  • Saucisses sèches, cappicolo, pancetta rolata, prosciutto… Giuseppe produit pour sa famille et lui toutes sortes de charcuteries, selon des recettes familiales perfectionnées depuis une vingtaine d’années.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Saucisses sèches, cappicolo, pancetta rolata, prosciutto… Giuseppe produit pour sa famille et lui toutes sortes de charcuteries, selon des recettes familiales perfectionnées depuis une vingtaine d’années.

  • Le capicollo est préparé avec un muscle entier d’épaule de porc, saumuré, mariné dans le vin, puis assaisonné (ici avec des épices et du piment), avant d’être enveloppé d’un boyau de collagène.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Le capicollo est préparé avec un muscle entier d’épaule de porc, saumuré, mariné dans le vin, puis assaisonné (ici avec des épices et du piment), avant d’être enveloppé d’un boyau de collagène.

  • Le morceau de viande est ensuite emmailloté dans un filet élastique grâce à cet instrument artisanal.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Le morceau de viande est ensuite emmailloté dans un filet élastique grâce à cet instrument artisanal.

  • Giuseppe Gammieri ficelle finalement le saucisson en devenir. Il serre si fort qu’il n’est pas rare qu’il se blesse les doigts.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Giuseppe Gammieri ficelle finalement le saucisson en devenir. Il serre si fort qu’il n’est pas rare qu’il se blesse les doigts.

  • Chaque saucisson doit ensuite vieillir pendant quelques mois, au garage l’hiver, puis dans une chambre froide.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Chaque saucisson doit ensuite vieillir pendant quelques mois, au garage l’hiver, puis dans une chambre froide.

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À Laval, la Jaguar blanche de Giuseppe Gammieri passe l’hiver dehors (sous abri, tout de même), car le garage est réservé à d’autres trésors, qui sèchent tranquillement sur des crochets. Capicollo, prosciutto, pancetta rolata, guanciale, saucisses… Giuseppe produit pour sa famille et lui toutes sortes de charcuteries, selon des recettes familiales perfectionnées depuis une vingtaine d’années, notamment avec l’aide de son beau-père, lui aussi italien, qui possédait une boucherie au marché Jean-Talon.

Je suis le seul dans ma famille à faire autant de sortes de saucissons. Le savoir-faire est en train de se perdre. J’ai espoir que ma fille de 19 ans, qui m’aide parfois, pourra aussi en faire un jour avec les siens.

Giuseppe Gammieri

M. Gammieri le dit d’emblée, il est un vrai « foodie ». En voyage, quand sa femme et sa fille visitent les attraits touristiques, il fait le tour des boucheries. « C’est par la nourriture qu’on découvre vraiment les gens. » Pour ses charcuteries, il n’hésite pas à mettre le prix afin de se procurer des pièces de viande, des épices, des filets et des boyaux de collagène de première qualité. « À part pour le prosciutto, ça me coûte plus cher à faire qu’à acheter. Mais je sais exactement ce qu’il y a dans mes charcuteries ! » Nitrite et produits chimiques n’entrent pas dans ses préparations.

Le jour de notre visite, Giuseppe assaisonne des capicollos qui ont trempé un temps dans le vin rouge après avoir été saumurés. Avant d’être bien ficelé, chaque muscle entier d’épaule de porc est recouvert d’une épaisse couche d’épices, un mélange de piments pour les piquants ou de poivres noir et blanc pour les poivrés. Ou encore, une combinaison d’épices et de café, son autre passion (il torréfie lui-même ses grains). « J’ai inventé cette recette pour le déjeuner, dit-il. Mais mon capicollo au café devenu très populaire, tout le monde m’en parle. » Le mariage des saveurs, après deux mois de séchage, est en effet fort réussi.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Giuseppe Gammieri

Deux immenses saucissons de plus de 15 livres, prisonniers de colliers de serrage, détonnent parmi les autres charcuteries suspendues. « La ventricina, c’est une spécialité de Campobasso, d’où vient mon grand-père. C’est fait avec des morceaux, traditionnellement les retailles, de toutes les autres charcuteries. À l’origine, tout était mis dans une vessie de porc, ça fait donc un immense saucisson qui doit vieillir environ un an et demi. Au goût, c’est formidable ! », dit Giuseppe, qui se réjouit à l’idée de les déguster… pour célébrer la fin de la pandémie !

La préparation du prosciutto est plus technique, notamment à cause du vieillissement de deux ans, en partie avec l’os. Si la moisissure prend, c’est tout le jambon qui est jeté aux ordures. « Le prosciutto ne doit jamais rien sentir, explique-t-il en mettant le nez au-dessus d’une belle cuisse de porc qui saumure dans un grand bac. Par la grâce de Dieu, je n’ai jamais eu de mauvaises expériences ! »

Coupé en tranches très fines, son jambon cru fond en bouche comme par magie. Le sourire de Giuseppe quand il le savoure ne ment pas. L’honneur et la tradition d’Antonio sont saufs !

Au Québec depuis la nuit des temps

Bien avant l’arrivée des immigrants italiens et polonais et de leurs saucissons au fenouil ou à l’ail dès le XIXsiècle, avant même celle des Français avec leurs jambons ou leurs terrines au XVIIsiècle, les autochtones fumaient et séchaient de la viande de caribou ou d’orignal, rappelle l’historien Michel Lambert, qui lancera en mars avec Élisabeth Cardin, du restaurant Manitoba, le livre L’érable et la perdrix, une histoire culinaire du Québec à travers ses aliments.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Les Italiens ont transporté leur riche tradition charcutière aux quatre coins du monde, y compris au Québec.

« Certaines nations faisaient sécher des lèches de viande au-dessus d’un feu de bois très sec pendant deux ou trois jours, raconte-t-il. Pour fumer la viande, elles utilisaient du bouleau pourri, de l’érable ou même, chez les Innus de la Côte-Nord, des branches d’épinette noire qui donnaient un goût âcre très prononcé à la viande. »

Plus tard, les Canadiens français se sont inspirés de ces méthodes pour fumer et ainsi préserver les viandes congelées, notamment d’agneau, que l’arrivée du printemps risquait de gâter. Mais les charcuteries traditionnelles importées de France avec les premiers colons étaient en général produites lors de l’abattage des porcs et des veaux au début ou à la fin de l’hiver, « pour Noël et pour Pâques », donc. Au menu : jambon, boudin, bacon, saucisses fraîches à congeler, lard salé (conservé comme corps gras à utiliser pendant tout l’été), pâtés de foie et terrines. Les viandes d’oie et de canard étaient aussi confites dans leur gras pour être préservées. Mais les recettes de saucissons secs, pourtant bien présentes dans certaines régions de France depuis le Moyen Âge, ne semblent pas avoir fait le grand voyage de ce côté-ci de l’Atlantique à l’époque de la colonisation française. Pas facile, en effet, de faire sécher de la viande gelée !

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Les immigrants européens débarqués au Québec aux XIXe et XXe siècles ont importé leur savoir-faire séculaire. On trouve encore un peu partout à Montréal des charcuteries préparées selon ces traditions, comme le célèbre smoked meat de chez Schwartz’s, en activité depuis 1928.

Les saucissons comme on les connaît aujourd’hui sont arrivés beaucoup plus tard au Québec, donc, avec les vagues d’immigration européenne des XIXe et XXsiècles. Les Italiens, bien sûr, ont transporté ici leur riche tradition charcutière. Mais les Polonais aussi, rappelle Michel Lambert. « Les immigrants polonais qui travaillaient sur les chemins de fer ont apporté leurs keilbasas, évoque-t-il. En Abitibi, certaines boucheries préparent d’ailleurs encore des saucissons faits selon de vieilles recettes polonaises. »

À Montréal, la boucherie Mako, avenue Querbes, dans Parc-Extension, est un bel exemple de cette tradition est-européenne toujours bien présente dans la métropole. Certains clients font de longs détours pour y mettre la main sur un pâté fait à partir de bajoues et de foies de porc.

« J’aime dire que la nouvelle cuisine québécoise est une cuisine ouverte sur le monde », lance M. Lambert, pour parler de l’évolution de la charcuterie au Québec, qui marie aujourd’hui des traditions autochtones et européennes, en y ajoutant des ingrédients locaux récemment redécouverts, comme le poivre des dunes, la livèche, les petites noisettes ou les atocas. La promesse de belles choses à venir, selon lui.

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