La crevette nordique a beau être toute petite, il lui arrive souvent de prendre beaucoup de place dans nos échanges taquins avec nos amis de Matane, de l’autre côté du fleuve.

Même si une bonne partie des stocks est pêchée au large de Sept-Îles et dans le secteur d’Anticosti, la crevette de « Matane » continue d’habiter le menu des grandes tables et de faire la renommée de la petite ville gaspésienne. Mais par quel détour de l’histoire la crevette de Sept-Îles est-elle devenue de « Matane », justement ? Arsenal média décortique le mystère pour vous.

Lorsque Clément Soucy démarre la pêche exploratoire à la crevette nordique, au milieu des années 1960, il lui faut deux choses : un lieu de débarquement et un entrepôt frigorifique pour entreposer ses cargaisons. Le quai de Sept-Îles ne lui convient pas, à l’époque. Celui de Matane non plus, mais la ville dispose par contre des installations nécessaires pour entreposer les petits crustacés. « Entre 1965 et 1969 », nous raconte Carol, le fils de Clément Soucy, « les crevettes sont débarquées à Sainte-Anne-des-Monts, puis transportées à l’entrepôt frigorifique de Matane par camion » où elles sont transformées et distribuées ailleurs au Québec. Comme les crevettes arrivaient sur les marchés à partir de Matane, la coutume s’est installée et l’expression « crevette de Matane » est apparue avant de devenir une marque de commerce déposée en 1983.

C’est donc à un concours de circonstances que nous devons l’existence de la crevette de Matane même si de l’aveu du capitaine Georges Fraser, propriétaire du Maluge qui y débarque ses cargaisons, « Sept-Îles serait le meilleur endroit pour débarquer, parce que c’est plus proche ». Le crevettier, que pilote son fils Jean-François, met 36 heures pour rejoindre sa zone de pêche à partir de Matane.

Des crevettes partout dans le Saint-Laurent

Hugo Bourdages, biologiste à Pêches et Océans Canada, signale que la crevette nordique se trouve à peu près partout dans l’estuaire et le golfe Saint-Laurent, aux endroits où le fond marin atteint entre 150 et 300 mètres de profondeur. C’est toutefois dans les zones de Port-Cartier, Sept-Îles, Anticosti et Esquiman, au nord-ouest de Terre-Neuve, que les stocks sont les plus concentrés, ce qui permet une pêche rentable.

Tout indique que ces zones sont là pour demeurer puisque la localisation des bancs est demeurée stable depuis le début de la pêche commerciale dans le Saint-Laurent. Le capitaine du Maluge, Jean-François Fraser, le fils de Georges, a tenté quelques coups de chalut au large de Matane il y a quelques années. « On s’est essayé pour voir. La crevette était belle, mais on a juste ramassé un fond de poche [de filet]. Ça ne valait pas la peine », nous a expliqué le capitaine avant de reprendre la mer.

La pêche à la crevette nordique a commencé tardivement cette année en raison de la mésentente entre les pêcheurs et les propriétaires d’usine sur le prix au débarquement. Les livraisons à l’usine de Matane ont commencé le premier juin. La pêche doit se poursuivre jusqu’en octobre. La transformation du crustacé se fait exclusivement sur la rive sud du fleuve, aux usines de Matane, Mont-Louis et Rivière-au-Renard.