Soyons honnêtes : quand on souffre de dépression ou d'anxiété, engouffrer un sac de chips ou une barre de chocolat paraît plus intuitif que de se concocter un bon petit plat santé. L'intuition est trompeuse : le lien entre bonne alimentation et bonne santé mentale est clair. Un changement d'alimentation pourrait même contribuer à traiter la dépression...

Un régime alimentaire contre la dépression

Beaucoup de légumes et de céréales à grains entiers. Des fruits, des produits laitiers faibles en gras et non sucrés et une poignée de noix brutes non salées tous les jours. Pour ce qui est des protéines, on alterne entre les légumineuses, le poisson, la viande rouge maigre, le poulet et les oeufs. Et comme corps gras, on opte pour l'huile d'olive, évidemment.

Quant aux « extras » - sucreries, céréales raffinées, friture et boissons sucrées -, pas plus de trois portions par semaine. L'alcool ? Maximum deux verres de vin rouge ou blanc par jour, au repas. La bière et autre boisson comptent dans les extras.

Voilà le régime alimentaire auquel 33 personnes souffrant de dépression se sont soumises dans le cadre d'un essai clinique mené en Australie et en Nouvelle-Zélande et dont les résultats ont été publiés dernièrement dans le journal BMC Medicine. La plupart des participants (25 sur 33) bénéficiaient déjà du soutien d'une médication.

Résultat : au bout de 12 semaines, les participants se portaient mieux. Sur l'échelle MADRS, qui évalue la gravité des symptômes dépressifs, 10 des 33 participants étaient même désormais en rémission. L'amélioration constatée était significativement supérieure à celle observée dans le groupe témoin, qui, au lieu de recevoir des conseils sur l'alimentation, devait participer à des activités de soutien social.

« C'est le premier essai comparatif randomisé à examiner le traitement de la dépression en utilisant une intervention sur l'alimentation, mais il y a eu précédemment une grosse étude, en Europe, qui suggérait qu'on pourrait être capable de prévenir la dépression en amélioration la diète », explique la professeure Felice Jacka.

« Nous avons besoin d'autres preuves, d'autres études, a indiqué à La Presse celle qui est directrice du Deakin's Food and Mood Center, en Australie. Il y a plusieurs défis inhérents aux études sur les interventions alimentaires, mais nous avons tout de même montré que les gens qui souffrent de dépression majeure, malgré la fatigue et le manque d'enthousiasme, parviennent quand même à faire des changements dans leur alimentation et ont constaté des résultats. »

Une vision globale



Nous avons soumis l'étude à la Dre Nancy Low, psychiatre au programme des troubles de l'humeur au Centre universitaire de santé McGill. Elle a noté quelques faiblesses : les participants du « groupe nutritionnel » étaient plus nombreux que ceux du groupe témoin à être sous médication et, contrairement à ces derniers, ils ont eu droit à des entretiens de motivation et à des ateliers sur la pleine conscience.

« Ce n'est pas une très grosse étude, c'est très préliminaire, mais c'est la direction dans laquelle nous voulons aller en psychiatrie : regarder les interventions de façon globale, et pas seulement la médication et les psychothérapies spécifiques, qui ne sont pas si facilement accessibles », souligne la Dre Low. Qui plus est, plusieurs patients ne veulent pas prendre de médication en raison des effets secondaires, souligne-t-elle. Au terme de leur traitement pharmacologique, plusieurs veulent mettre toutes les chances de leur côté pour éviter les rechutes.

La dépression est liée à l'environnement dans lequel on évolue, souligne la Dre Nancy Low. « Parfois, les symptômes psychiatriques sont des signes qui nous indiquent qu'on doit prêter attention à quelque chose dans notre vie. Et je crois que la médication devrait être considérée comme une option parmi d'autres options. » Elle cite comme autres exemples l'activité physique, la méditation pleine conscience, la vie sociale et - effectivement - l'alimentation.

S'il n'est pas démontré clairement que l'amélioration de l'alimentation peut contribuer à traiter la dépression, le lien entre la nutrition et la dépression, lui, est bien connu et bien documenté. La littérature met en évidence un lien entre une alimentation non équilibrée et une augmentation des risques de développer un trouble anxieux ou un trouble de l'humeur. À l'inverse, une alimentation de type méditerranéen est associée à une diminution significative des risques de souffrir de ces troubles, indique Mélanie Massé, nutritionniste à l'Institut universitaire en santé mentale de Montréal.

« La conclusion de l'étude va de pair avec ce que je peux observer dans ma pratique : l'alimentation à elle seule ne peut pas traiter, mais ça peut augmenter les bienfaits qu'on peut connaître avec le traitement pharmacologique, dit Mme Massé. On a besoin d'études avec de plus grands échantillons pour réaliser des conclusions scientifiques à cet égard-là, à savoir si l'alimentation aurait un pouvoir, même utilisé seul, pour les femmes qui allaitent ou les femmes enceintes, par exemple. »

Plusieurs chercheurs dans le monde sont d'avis que le régime alimentaire devrait être considéré comme un déterminant central de la santé, tant physique que mentale. En 2015, 18 chercheurs internationaux, dont la professeure Felice Jacka, ont signé un article dans The Lancet Psychiatry, dans lequel ils plaident pour un changement de « paradigme » en psychiatrie pour y intégrer les facteurs nutritionnels. Le Médecin du Québec, la revue de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, avait consacré un long article au sujet.

Est-ce que la nutrition occupe la place qu'elle devrait occuper en santé mentale ?

« Loin de là, répond la professeure Felice Jacka. Et c'est surtout parce qu'il s'agit d'un nouveau champ de recherche. Ça prend du temps avant de changer les pratiques cliniques, mais je pense que c'est en train d'arriver. » En 2015, souligne-t-elle, le Royal Australian and New Zealand College of Psychiatrists a émis de nouvelles lignes directrices en ce sens. Avant toute chose, quand un patient ayant un trouble de l'humeur se présente, les professionnels de la santé devraient aborder les questions relatives à l'alimentation, à l'exercice, au sommeil et au tabagisme.

« Il y a plusieurs acteurs qui sont très sensibilisés, mais c'est sûr qu'il reste beaucoup de travail à faire pour que l'importance du plan nutritionnel soit vraiment bien reconnue en santé mentale, par tous les acteurs », croit la nutritionniste Mélanie Massé.

Comment l'alimentation peut-elle influencer les symptômes dépressifs ? Voici quelques mécanismes étudiés.

MICROBIOME

C'est un champ de recherche très émergent, mais le microbiome intestinal jouerait un rôle important dans le développement du cerveau, l'humeur et les comportements. « Des composants des aliments transformés, comme les émulsifiants, auraient des effets délétères sur le microbiome intestinal, tandis qu'une diète santé, riche en fibre et en polyphénols, semble avoir un effet bénéfique important sur le microbiome », indique Felice Jacka.

INFLAMMATIONSelon de récentes études, l'inflammation chronique - une réaction de défense immunitaire qui persiste dans le temps - contribuerait au développement de la dépression. Plusieurs facteurs causeraient l'inflammation chronique, dont une mauvaise alimentation et l'obésité.

STRESS OXYDATIF

Le stress oxydatif - défini comme le déséquilibre entre la production de radicaux libres et les défenses antioxydantes - pourrait jouer un rôle dans la dépression. Des études montrent que le régime alimentaire pourrait avoir une influence sur l'intensité du stress oxydatif.

ÉPIGÉNÉTIQUE

Des études montrent que la dénutrition altère le fonctionnement de gènes qui sont centraux dans le fonctionnement du cerveau et dans les mécanismes qui régularisent l'humeur, dont la sérotonine, un messager chimique du système nerveux central impliqué notamment dans la dépression.

PLASTICITÉ DU CERVEAU

Des études ont montré une association entre la dépression et la taille de l'hippocampe, la partie du cerveau responsable de la mémoire et des émotions. La déficience de nutriments est aussi associée à un plus faible volume de l'hippocampe.

On mange quoi ? On fait quoi ?

Selon Felice Jacka, le « saint Graal », en psychiatrie nutritionnelle, serait de pouvoir proposer une « nutrition personnalisée » pour chaque patient. Mais il reste vraiment beaucoup de choses à comprendre avant d'y arriver. D'ici là, voici quelques conseils à suivre pour optimiser sa santé mentale.

OPTER POUR LES VÉGÉTAUX

« Jusqu'à ce qu'on puisse comprendre comment le microbiome intestinal affecte la santé de tout un chacun, on peut donner un conseil : manger des aliments non transformés, pas trop, et surtout des végétaux », résume la professeure Felice Jacka, directrice du Deakin's Food and Mood Centrer. Et cela ne se résume pas au fameux régime méditerranéen : il existe des habitudes alimentaires santé partout dans le monde, que ce soit dans la cuisine japonaise, chinoise, norvégienne ou anglaise. On conseille aussi d'augmenter sa consommation de légumineuses, de céréales de grains entiers, de noix et de graines.

MANGER DU POISSON GRAS

Des études ont conclu que les gens qui consomment souvent du poisson riche en acides gras oméga-3 courent un moins grand risque de souffrir de dépression. « Sur le plan clinique, on encourage la personne à manger deux ou trois repas de poisson gras par semaine et d'ajouter des sources d'oméga-3 d'origine végétale ici et là dans son alimentation pour favoriser une baisse des symptômes », indique Mélanie Massé, nutritionniste à l'Institut en santé mentale de Montréal.

LIMITER LES PRODUITS TRANSFORMÉS

Les produits industriels sont non seulement peu nutritifs, mais ils contiennent aussi des composantes qui pourraient affecter la santé intestinale. Ce serait le cas des émulsifiants, des sucres artificiels et des régimes alimentaires trop riches en sucre et en gras, énumère Felice Jacka. « Ce n'est pas la consommation de produits transformés à l'occasion qui rend la personne à risque de développer des troubles de l'humeur ni la consommation d'un seul repas sans légume, nuance Mélanie Massé. On parle vraiment d'une vue d'ensemble de nos habitudes. »

NE PAS TOMBER DANS L'OBSESSION

Les intervenants à qui nous avons parlé s'entendent : oui, il faut faire attention aux aliments transformés, mais cela ne doit pas devenir une obsession non plus. La néophobie alimentaire est un trouble de plus en plus prévalent, souligne le Dr Howard Steiger, chef du continuum des troubles alimentaires de l'Institut Douglas. « La personne se rend dénutrie non pas parce qu'elle a peur d'engraisser, mais par peur de manger des choses impures, résume-t-il. Ils vérifient s'il y a des additifs... Les gens deviennent incapables de manger. »

ÉCOUTER SON CORPS

Les gens devraient accorder une attention toute particulière à la façon dont leur corps et leur esprit réagissent quand ils consomment de la nourriture, selon la Dre Nancy Low, psychiatre au CUSM. « Les gens consomment un repas très riche pour le dîner, se sentent fatigués, et compensent en prenant un café », illustre la Dre Low. On devrait aussi être attentif à l'impact que le sport a sur soi, que des sorties entre amis ont sur soi, que la médication a sur soi. Cela permet d'avoir un plus grand contrôle, croit la Dre Low. « Vous êtes le décideur de ces choses. »

ET LES SUPPLÉMENTS ?

Une carence en certains nutriments spécifiques -  omega-3, mais aussi vitamine B, vitamine D et le zinc - est associée à une hausse des symptômes dépressifs. Faut-il courir à la pharmacie pour faire le plein de suppléments ? « Tout le monde veut la solution miracle, dit Felice Jacka en riant, mais il n'existe pas de preuves solides selon lesquelles la prise de vitamines et de minéraux en suppléments soit particulièrement efficace pour la santé mentale. Un supplément de multivitamines et de minéraux peut aider chez les personnes qui ont une très, très mauvaise alimentation, mais ce n'est certainement pas l'équivalent de manger une diète santé. »

S'HYDRATER... ET RALENTIR SUR LA CAFÉINE

C'est bien, manger sainement, mais il faut aussi s'hydrater correctement. Même une légère déshydratation peut avoir un effet négatif sur l'humeur, souligne la nutritionniste Mélanie Massé. « Il vaut mieux boire avant que les signes de la soif soient perçus », conseille Mme Massé, qui rappelle qu'on recommande de boire environ huit verres d'eau par jour. Autre conseil : « La caféine peut être un ennemi chez ceux qui ont tendance à être anxieux », indique Mélanie Massé. On leur suggère de limiter la consommation à environ quatre tasses de café ordinaire par jour.