Depuis 10 ans, les producteurs de bière et de spiritueux mettent les bouchées doubles pour développer des produits sans alcool de qualité, mais peu de vignerons ont suivi la tendance. C’est sur le point de changer grâce au travail de plusieurs grands domaines.

Chef étoilé en Norvège, Odd Ivar Solvod a confié au producteur de vin Josef Leitz qu’il tentait sans succès de créer un accord avec un vin sans alcool. Mission impossible : les produits étaient trop sucrés ou tout simplement mauvais.

De retour en Allemagne, le réputé vigneron s’est donné comme mission de créer un vin sans alcool équilibré. Plus facile à dire qu’à faire. Six ans après les premiers essais, son bras droit, le vinificateur Jan Schmidt, croit y être arrivé. « Avec ou sans alcool, tout commence dans le vignoble, explique l’expert. Si tu achètes un vin industriel sans intérêt en vrac et que tu le désalcoolises, le résultat ne peut pas être bon. »

Frédéric Chouquet-Stringer se spécialise dans la production et la commercialisation de vins sans alcool. Établi en Allemagne, il constate lui aussi que la qualité est à la hausse depuis quelques années, et ce, essentiellement grâce au travail dans la vigne.

Les vignerons commencent à réfléchir dès le départ, alors que le raisin est encore sur la vigne, au type de vin qu’ils vont produire pour le désalcooliser. Ce détail a des impacts énormes sur la qualité finale.

Frédéric Chouquet-Stringer, spécialiste en production et commercialisation de vins sans alcool

Ainsi, avant même de récolter les raisins dans sa région du Rheingau, Jan Schmidt sélectionne une parcelle de jeunes vignes et il augmente les rendements. Cela permet de diminuer la quantité de sucre qu’aura son moût et ainsi de produire un vin contenant moins d’alcool. L’expert procède ensuite à la désalcoolisation.

PHOTO FOURNIE PAR LE DOMAINE LEITZ

Le domaine Leitz utilise depuis quelques semaines un nouvel appareil encore plus performant afin de procéder à la distillation sous vide. Celui-ci permet de mieux conserver les arômes du vin désalcoolisé.  

Pour ce faire, il existe plusieurs techniques. Jan Schmidt privilégie celle de la distillation sous vide. « L’alcool est chauffé afin qu’il s’évapore, explique le vinificateur. Comme les arômes sont plus volatils que l’alcool, on doit diminuer le point d’ébullition et récupérer les arômes perdus. On les réintroduit dans le liquide, comme ça se fait dans les spiritueux. »

Afin de minimiser la perte d’arômes, les producteurs misent sur des cépages aromatiques comme le riesling, le muscat ou encore le sauvignon blanc.

Un processus complexe

De l’autre côté de la frontière, en Alsace, la Cave de Ribeauvillé commercialise depuis un an du vin sans alcool. Le directeur de la cave, David Jaegle, constate que la vraie différence entre le vin avec alcool et celui sans alcool ne se sent pas, elle se goûte.

« L’alcool donne la structure au vin en bouche, dit-il. Quand il n’est plus là, la persistance aromatique est perdue. On perçoit les arômes et les saveurs de façon différente. Il faut réapprendre à déguster. »

David Jaegle note également que la désalcoolisation amplifie les autres saveurs. Le vin sans alcool semble toujours plus acide et parfois plus amer. Pour créer un équilibre, les vignerons ajoutent du sucre de la même manière que les vins effervescents sont dosés. Depuis le 1er janvier 2023, l’utilisation du sucre de canne est proscrite. Une bonne nouvelle, selon Jan Schmidt. « Ce n’est pas logique d’ajouter du sucre de canne dans un produit à base de raisin. On peut ajouter du jus, mais l’idéal et le plus cher, c’est d’ajouter du moût. »

Selon le Master of Wine et éditeur en chef de la revue anglaise The Drink Business, Patrick Schmitt, il existe un autre moyen d’améliorer le goût des vins sans alcool : ajouter du gaz.

Le spécialiste a organisé l’an dernier une dégustation de plus d’une centaine de produits sans alcool à Londres. Il a constaté que les mousseux désalcoolisés ont meilleur goût que les autres.

Boire un Coca-Cola sans bulles, ce n’est pas très rafraîchissant. C’est la même chose avec le vin. En remplaçant la perte de texture de l’alcool par du sucre, les vins sans alcool ont besoin de fraîcheur. C’est ce qu’apporte le gaz.

Patrick Schmitt, éditeur en chef de la revue The Drink Business

L’ajout de gaz explique en partie le succès des bières sans alcool et aussi des liqueurs amères ou des nouveaux spiritueux sans alcool comme Seedlip qui sont servis avec de l’eau pétillante ou du tonic.

Nouveaux consommateurs, nouveaux vins sans alcool

Dans le sud de la France, la gamme sans alcool de Pierre Chavin est commercialisée dans 60 pays. Cette catégorie représente 50 % du chiffre d’affaires de la maison de négoce. Ses bouteilles se trouvent même sur la carte de restaurants étoilés comme celle du Ritz à Paris.

Le secret de sa réussite : bien cibler le consommateur, croit la directrice de la maison, Mathilde Boulachin.

« La grossesse n’est plus l’unique raison pour ne pas prendre d’alcool, observe-t-elle. La prise de médicaments, la religion et même la pratique intense du sport incitent à prendre moins d’alcool. Il faut répondre à cette clientèle qui aime le vin, mais qui en consomme moins. »

Mathilde Boulachin ne s’en cache pas. Même sans alcool, les bouteilles doivent être « instagrammables ». Mais avant tout, le contenu doit être bon. Très bon.

Selon Patrick Schmitt, l’arrivée de gros domaines comme Jackson aux États-Unis, Santa Rita au Portugal et même de la chanteuse Kylie Minogue dans la production de vin sans alcool tire la qualité vers le haut.

C’est une bonne nouvelle, car cette catégorie est en croissance au Québec, avec une augmentation de 4 % au cours de la dernière année. Des ventes records ont été établies en décembre avec une hausse de 43 % par rapport à la même période l’an dernier.

Deux suggestions sans alcool

Délicat et complexe

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA SAQ

Leitz Eins-Zwei-Zero Riesling

Le riesling est une variété de raisin très parfumé, mais aussi très acidulé. Ces deux caractéristiques demeurent même si le vin ne contient pas d’alcool. C’est ce que démontre le blanc allemand du domaine Leitz. Son bouquet discret dévoile des parfums de chèvrefeuille, de poivre blanc et de citron. En bouche, l’attaque mordante est suivie de nuances amères qui amènent beaucoup de complexité. Il accompagnera avec brio les plats épicés et sera idéal pour créer une version sans alcool d’une sangria blanche.

Leitz Eins-Zwei-Zero Riesling, 12,45 $ (13477043)

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Effervescent et parfumé

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA SAQ

Torres Natureo 0.0

Moins cher, moins sucré et surtout, sans alcool, ce mousseux désalcoolisé de la maison espagnole Torres évoque l’odeur et le goût du moscato d’Asti. Tout comme les vins effervescents de cette région italienne, il est produit avec du muscat, une variété de raisin très aromatique. On reconnaît d’ailleurs ses parfums typiques de rose et de fleur d’oranger. En bouche, l’attaque est croquante, parfumée et la douceur, le sucre, est bien dosée. Miguel Torres travaille depuis plus d’une décennie à l’élaboration de vins sans alcool. Au cours de son passage au Québec en 2015, il racontait que des traitements contre le cancer l’avaient empêché de consommer de l’alcool momentanément. Cet obstacle a été le point de départ d’une longue quête pour élaborer de bons vins sans alcool. Aujourd’hui, l’entièreté de sa gamme de produits désalcoolisés prouve qu’il a réussi.

Torres Natureo 0.0, 10,65 $ (14724561)

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