Les années nomades et expérimentales de l’étiquette de vin (et maintenant de cidre et de piquette) Lieux communs ont porté leurs fruits. Après quatre vendanges, le quatuor de vignerons s’enracine un peu plus, avec des vignes à Oka puis un chai urbain, le premier à Montréal. Nous lui avons rendu visite dans un local près du Marché central.

Les deux dernières années ont été très, très chargées pour Guillaume Laliberté, Daniel Gillis, Thibaud Gagnon et Laurent Noël. En 2021, en plus de leurs occupations respectives de sommeliers, architecte et pilote maritime, ils ont loué un bout de terre d’exception à Oka, propriété d’Hugo Grenon, des cidres Polisson, ils ont planté leurs premières vignes, loué un espace commercial rue Legendre, transformé celui-ci en chai, fait des vendanges, élevé leurs vins, expérimenté avec la pomme, etc.

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Daniel Gillis, Laurent Noël et Guillaume Laliberté sont trois des quatre partenaires de Lieux communs, avec Thibaud Gagnon (absent sur la photo).

« Et si tu bois du 2020 de Lieux communs, sache que Dan a dormi dans le camion U-Haul loué pour déménager les cuves et le raisin, que Laurent, après avoir conduit un bateau sur la voie maritime du Saint-Laurent, ne dormait pas, mais allait plutôt presser du raisin, que Thibault faisait sa maîtrise en architecture en même temps que les vendanges et que moi, je me suis endormi au volant après 36 heures sans dormir, raconte Guillaume. On peut dire que 2020 et 2021 nous ont fait peur, nous ont fait mal, mais après ces millésimes-là, on se sentait vraiment capables ! »

Les années expérimentales ont aussi été celles des… jus bruns ! Lorsqu’on ne « protège » pas le moût avec du soufre, il s’oxyde au contact de l’air et brunit. « La première fois qu’on a vu ça, on a paniqué, dit Daniel Gillis. C’est le seul vin qu’on a sulfité de toute notre vie ! Aujourd’hui, on sait que ça va se corriger tout seul avec la fermentation, même que l’oxydation des moûts, ça protège le vin et ça a un effet super intéressant sur les cépages acides. Depuis, on brunit nos vins par exprès ! »

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Le chai urbain de Lieux communs se trouve à deux pas du Marché central.

Que du fruit

Fondamentalement, la philosophie qui sous-tend depuis le début les projets de Lieux communs, finaliste aux Lauriers cette année dans la catégorie Brasseur, vigneron ou producteur de boisson de l’année, a toujours été la même, d’une désarmante et paradoxale simplicité. « On a entendu dire que si tu presses du raisin, que tu prends le jus, que tu ne mets rien dedans et que t’attends un peu, ça va donner quelque chose de l’fun », résume un des quatre fondateurs de Lieux communs dans l’épisode 12 de la balado Vendanges au verre, diffusée en mars dernier.

Jusqu’à ce que leurs propres vignes produisent du beau fruit, dans quelques années, Lieux communs continue de travailler en négociant, c’est-à-dire en achetant sa matière première à d’autres viticulteurs et, maintenant, pomiculteurs, puis en la transformant à son goût, avec le moins d’interventions possible.

On a une urgence de faire du vin, et on n’a pas envie d’attendre que nos vignes soient prêtes, dans cinq ans. En construisant notre chai en ville, on a peut-être trouvé une manière d’en faire notre carrière avant qu’on ait 50 ans.

Guillaume Laliberté

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Guillaume Laliberté et Laurent Noël déplacent un fût dans leur nouvelle « cave ».

Méconnu négoce

Contrairement à la France et même à la côte ouest américaine, le Québec n’a pas de cadre législatif pour régir cette activité. Lorsqu’ils utilisaient les installations du Domaine du Grand Saint-Charles et du Château de cartes, les jeunes vignerons bénéficiaient des permis de ces derniers. Avec un chai en ville — plutôt que sur la terre où le fruit est cultivé —, Lieux communs a dû prendre un permis industriel, plutôt qu’artisanal.

Cette catégorie de permis vient avec ses avantages et ses inconvénients. Dans la catégorie « avantages », il y a la possibilité d’acheter du raisin dans la province voisine, comme le bon riesling ontarien qu’on a l’occasion de goûter sur fût lors de notre visite.

Quant aux inconvénients, notons l’impossibilité de vendre directement aux épiceries. Ainsi, les prochains vins de Lieux communs seront distribués en « ip » (lire : dans les restaurants), par l’entremise de l’agence que les vignerons ont dû fonder pour s’autoreprésenter. Il faudra donc les boire, dès l’automne, dans les bonnes adresses amies comme Denise, Hélicoptère, Mon Lapin, vin vin vin, Candide, Paloma, Supernat, etc., ou les acheter chez les nouveaux « cavistes » québécois. Les produits de la pomme, eux, peuvent être vendus en épicerie. Nous avons d’ailleurs acheté plusieurs bouteilles du désaltérant cidre Mélisse, ce printemps, compagnon d’apéro tout désigné.

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La sommelière Morgane Muszynski est de passage au chai pour goûter aux plus récentes cuvées.

Des vins plus « sérieux » et des ovnis

Maintenant que le quatuor lâche son fou avec ses cidres et ses piquettes, il amène les vins dans une direction un peu plus sérieuse, plus cérébrale, plus classique, pour la table. Les élevages s’allongeront, avec une mise en marché un an après la vendange, au minimum, et quelques cuvées se pérenniseront.

« On sort de notre période laboratoire. En 2020, on a fait 12 vins et un cidre. On a peut-être un peu perdu du monde. Là, on veut fixer certaines cuvées », explique Guillaume Laliberté.

Envol, par exemple, est un frizzante de cépages rouges avec un peu de blanc qui devrait revenir année après année. Les monocépages bien droits de frontenac blanc et de frontenac gris aussi.

En attendant les vins, on peut goûter à deux délicieux ovnis, en vente dans plusieurs commerces spécialisés, comme Pascal le boucher, Butterblume, Veux-tu une bière, Comptoir Sainte-Cécile et Fromagerie Edel Weisz. Débuts est un cidre sur lies de riesling, tandis que Reflets est une macération de pommes dans du jus de raisin Sainte-Croix, avec ajout de piquette de vidal, le tout aromatisé au tagète. Wow ! Bonne dégustation !

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